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Article du mois

Publié le 14 juin 2022Lecture 11 min

Pour une approche raisonnée de la prise en charge de l’endométriose

Daniel ROTTEN, Paris

Dans les traités de gynécologie, l’endométriose a longtemps été présentée de manière inchangée. Il s’agit de la présence de issu d’aspect endométrial, glandes et stroma, en situation ectopique, avec présence fréquente d’hémosidérine. Affection chronique, invalidante, responsable de douleurs pelviennes et d’infertilité, elle impacte la qualité de vie et représente un lourd fardeau socioéconomique. Elle atteint 5 à 10 % des femmes d’âge reproductif. Il en existe trois formes essentielles : l’endométriose pelvi-péritonéale superficielle, les kystes endométriosiques et les lésions infiltrantes (plus de 5 mm d’invasion au-delà du péritoine ou présence dans la couche musculaire des viscères creux).

Dans la revue générale qu'ils présentent, Hugh S. Taylor et coll. proposent de faire évoluer notre regard sur l’affection, pour mieux prendre en compte son aspect de pathologie globale. En effet, l’endométriose constitue une véritable affection systémique. Ces auteurs présentent également les apports récents de la biologie. Comprendre les mécanismes en jeu doit conduire à une utilisation mieux raisonnée des outils thérapeutiques actuellement disponibles. Une pathologie de diagnostic difficile Alors que l'impact sur la qualité de vie souligne l’importance de poser le diagnostic et de commencer le traitement de la façon la plus précoce possible, le délai entre la survenue des premiers symptômes et le diagnostic est souvent de plusieurs années. Il peut prendre jusqu’à 10 ans. D’après certaines études, dans plus de la moitié des cas, le diagnostic initial est erroné. Une clinique non pathognomonique Les symptômes cliniques, dont les plus fréquents sont la dysménorrhée, les douleurs pelviennes non cycliques et l’infertilité, ne sont pas pathognomoniques. D’autres pathologies gynécologiques partagent ce symptôme tels que la dysménorrhée primaire, les kystes ovariens, les pathologies inflammatoires pelviennes ou les adhérences digestives. En cas de douleurs pelviennes, la découverte d’une adénomyose ou de léimyomes utérins doit faire penser à une possible association, vu la fréquence de leur coexistence avec une endométriose. Enfin, des pathologies non gynécologiques ont des symptômes voisins, tels les troubles fonctionnels digestifs et vésicaux ou les fibromyalgies. Incertitudes du diagnostic chirurgical La cœlioscopie couplée à l’examen histologique a longtemps été considérée comme un gold standard. Mais l’aspect visuel des lésions est disparate, pas toujours évocateur, et leur localisation hautement variable. L’absence de lésion visible ou un examen histologique négatif ne permet pas d’exclure le diagnostic. Inversement, des lésions histologiques d’allure endométriosique, de rencontre incidente sur des spécimens obtenus pour d’autres indications, peuvent simplement représenter des variantes de la normale. Changer de paradigme diagnostique La combinaison de l’histoire clinique et de l’examen physique permet d’identifier les patientes chez lesquelles la suspicion diagnostique est élevée. On complète l’investigation par de l’imagerie, échographie endovaginale et/ou IRM selon les cas. Le recours à l’étape chirurgicale n’est plus considéré comme indispensable. Devant une forte suspicion clinique, il faut savoir donner la primauté à l’affirmation clinique du diagnostic et commencer le traitement. Une infection à large spectre Même si l'on ne prend pas en compte la présence de localisations extra-pelviennes, les résultats des recherches expérimentales et des investigations cliniques obtenus ces 15 dernières années montrent que l’endométriose doit être envisagée comme une affection qui n’est pas limitée au pelvis. Il existe une augmentation de la prévalence de différentes pathologies systémiques (tableau). Deux mécanismes sont mis en cause. Le premier est un environnement inflammatoire étendu, avec présence de cytokines pro-inflammatoires et modifications des populations de cellules immunes circulantes. Le deuxième est la présence de micro-ARN circulants qui modulent l’expression de différents gènes. Physiopathologie Une meilleure connaissance de la physiologie de l’endométriose acquise depuis quelques années permet de proposer une prescription thérapeutique raisonnée. Elle ouvre également la voie à la mise au point de thérapeutiques nouvelles, non hormonales. Pathogénie La théorie la plus communément admise est que l’endométriose a pour origine le flux rétrograde de sang menstruel. Les fragments de muqueuse endométriale, emmenés par l’écoulement rétrograde de sang qui se produit au moment des règles à travers les trompes, de l’utérus vers le péritoine, s’y implanteraient pour aboutir aux lésions d’endométriose. L’augmentation du taux de cellules de type basal dans la couche fonctionnelle de l’endomètre (celle qui desquame) au moment de la menstruation vient en appui de cette théorie. Il s’agit de cellules souches, qui se comportent comme des progéniteurs, et sont capables, après migration, de se différencier en lésions endométriosiques. Le fait que des lésions d’endométriose aient été observées uniquement chez des espèces qui présentent le phénomène de menstruation (femmes, primates) plaide en faveur de l’hypothèse du reflux sanguin. Mais alors que le phénomène de reflux est observé chez presque toutes les femmes, la fréquence de survenue de l’endométriose concerne 5 à 10 % d’entre elles. Des facteurs locaux, modifications inflammatoires et immunitaires, favorisant l’implantation des fragments d’endomètre devraient donc être associés. également, la théorie du reflux rétrograde n’explique pas les lésions extra-péritonéales d’endométriose. Une hypothèse alternative à la différentiation de cellules non endométriales en cellules endométrioïdes est qu’il s’agit localement de la transformation de cellules mésothéliales péritonéales en tissu d’aspect endométrial (métaplasie), ou de la transformation de cellules souches d’origine médullaire après migration par voie sanguine. Le blocage de l’implantation des cellules souches par l’inhibition des chémokines impliquées est une voie thérapeutique potentielle, mais reste lointaine. • Altérations génomiques L’existence d’une contribution génétique à la genèse de l’endométriose est attestée par l’existence d’un risque familial. Les études génomiques ont permis d’incriminer des anomalies au niveau de plusieurs gènes : gènes de signalisation cellulaire, carcinogènes, gènes impliqués dans la réparation des mésappariements de l’ADN. Des anomalies épigénétiques ont également été mises en évidence au niveau de la régulation de la stéroïdogenèse. En revanche, aucun gène isolément responsable n’a pu être individualisé. État inflammatoire local L’inflammation est une caractéristique essentielle de l’endométriose. Le tissu endométriosique est caractérisé par des réponses inflammatoires, immunitaires, d’angiogenèse et apoptotiques déséquilibrées, favorisant la survie et le renouvellement du tissu ectopique. Le tissu endométriosique se distingue du tissu endométrial normal par la formation intratissulaire excessive de prostaglandines. On observe une surexpression de cyclooxygénase- 2 (COX-2), enzyme qui permet la transformation d’acide arachidonique en prostaglandines. En conséquence, le taux tissulaire des prostaglandines PGE2 et PGF2α est élevé. Les taux de métalloprotéases et de cytokines inflammatoires (interleukines IL- 1βou IL-6, TNF) sont également élevés, ce qui concourt probablement à faciliter l’implantation péritonéale des fragments de muqueuse endométriale. On observe également des taux élevés de chémokines, qui attirent granulocytes, cellules natural-killer et macrophages, toutes cellules typiquement rencontrées en nombre dans les tissus endométriosiques. Il n’est pas déterminé actuellement si cet état inflammatoire fait partie du processus initiateur des lésions, ou s’il en est la conséquence. Mais c’est un phénomène central dans la compréhension et la prise en charge de l’endométriose. Rôle de l’estradiol La croissance des implants endométriosiques est dépendante de l’estradiol. En situation normale, l’estradiol a deux sources. La première est la sécrétion ovarienne. La seconde est l’interconversion d’androstènedione (d’origine surrénalienne) en estradiol par l’aromatase présente dans le tissu adipeux et la peau. Contrairement à ce qui se passe dans le tissu endométrial normal, le tissu endométriosique est aussi le lieu d’une synthèse d’estradiol. Alors qu’il n’est pas exprimé dans l’endomètre normal, le récepteur nucléaire steroidogenic factor-1 (SF-1) est exprimé dans les cellules stromales du tissu endométriosique. SF-1 induit l’expression des gènes de la stéroïdogenèse (figure 1), ce qui aboutit à une synthèse locale d’estradiol à partir du cholestérol. également, dans le tissu endométriosique, la PGE2 stimule la synthèse d’estradiol, qui à son tour stimule la synthèse de PGE2 (figure 2). In fine, il existe une boucle de rétrocontrôle positif : l’estradiol produit localement contribue à la survie cellulaire, entretient l’inflammation, qui elle-même stimule la synthèse d’estradiol (figure 2). Enfin, l’effet de l’estradiol sur ses cibles est amplifié du fait de la surexpression du gène du récepteur β de l’estradiol d’origine épigénétique (il est hypométhylé). Le blocage du métabolisme de l’estradiol fait partie des voies thérapeutiques disponibles pour la prise en charge de l’endométriose. Résistance à la progestérone Dans l’endomètre normal, la progestérone a un effet anti-estrogénique. Elle inhibe la croissance épithéliale induite par l’estradiol, entraîne la différenciation des cellules stromales en cellules déciduales, et, sous son influence, les cellules épithéliales acquièrent le phénotype sécrétoire. également, la progestérone stimule la transformation de l’estradiol circulant en estrone, biologiquement beaucoup moins puissante. Enfin, elle est anti- inflammatoire. Par assimilation, on a longtemps considéré que la progestérone devait jouer un rôle similaire dans l’épithélium endométriosique. Mais plusieurs preuves expérimentales démontrent que le tissu endométriosique est résistant à l’action de la progestérone. Cette résistance est attribuée à la présence d’un taux bas de récepteurs de la progestérone dans le tissu endométriosique. Dans le tissu endométrial normal, les deux isoformes α et β du récepteur de l’estradiol sont en équilibre (figure 3). Ce n’est pas le cas dans le tissu endométriosique où il existe un déséquilibre entre les deux isoformes α et β du récepteur de l’estradiol (figure 4). Une modification épigénétique concourt également à expliquer le taux bas de PRB. Son gène est hyperméthylé. Conséquence du faible taux de ses récepteurs, la progestérone n’est pas active sur ses cibles habituelles, que sont la différenciation du tissu endométrial et le rétrocontrôle du taux local d’estradiol. Ainsi, le taux d’interconversion d’estradiol en estrone, qui est sous la dépendance de la progestérone, est bas, et le taux tissulaire d’estradiol reste élevé. Or, l’estradiol est un estrogène biologiquement plus puissant que l’estrone. Le phénomène de résistance à la progestérone doit être pris en considération dans le choix des thérapeutiques utilisables. Dans une étude restée préliminaire, il a été montré que le taux des récepteurs de la progestérone présent dans le tissu endométriosique pourrait avoir une valeur prédictive sur la réponse thérapeutique aux progestatifs. Traitement Les résultats de nombreuses études montrent que le traitement chirurgical n’est pas le choix le plus efficace dans l’immédiat lorsqu’on porte le diagnostic d’endométriose. Les traitements dont on dispose, y compris la chirurgie, ne sont pas curatifs. La figure 5 synthétise l’arbre décisionnel thérapeutique. En cas de douleurs et en l’absence de désir immédiat de fertilité L’option médicale doit être privilégiée en priorité. Le but des traitements est de bloquer la croissance des lésions et de traiter la douleur. La première ligne thérapeutique est un AINS et/ou un progestatif. Celui-ci est administré de manière continue ou non : contraceptif oral combiné minidosé ou progestatif microdosé. En cas d’échec ou d’intolérance, on a recours à un agoniste du GnRH. En cas d’administration prolongée de ce dernier, il est conseillé d’adjoindre une add-back thérapie, généralement par contraceptif oral combiné mini-dosé. En cas d’échec, on discute le recours à la chirurgie. En cas d’infertilité En cas de désir de fertilité immédiat, après échec d’une période de tentatives naturelles, le recours à l’assistance médicale à la procréation est indiqué. Les inséminations intra-utérines avec stimulation ovarienne sont discutées en raison de l’effet défavorable potentiel de l’inflammation péritonéale. En tout état de cause, le nombre de tentatives est limité. Rapidement, FIV ou ICSI sont indiquées. Chirurgie Sa place devient plus mesurée, car elle peut avoir comme conséquence une baisse de la réserve ovarienne. Elle est indiquée s’il existe un doute diagnostique sur la nature d’une image kystique ovarienne, ou en présence d’une lésion obstructive digestive ou tubaire. Un geste tubaire peut-être indiqué en préparation d’une FIV. Dans certains cas une procédure de préservation de la fertilité sera proposée. Thérapeutiques en développement La meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques ouvre la perspective de l’avènement de traitements non hormonaux curatifs, qu’il s’agisse d’agents immunomodulateurs, de modulateurs des micro-ARN ou de traitements à base de cellules souches. Mais cette échéance paraît encore lointaine. Dans un avenir plus rapproché, de nouvelles pistes thérapeutiques à base de traitements antiestrogènes sont explorées. Antagonistes du GnRH Administrées par voie orale, des molécules de cette classe ont démontré leur efficacité sur les symptômes. Les études qui les concernent sont encore à un stade préliminaire. Modulateurs sélectifs des récepteurs de stéroïdes Deux modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone (selective progesteron receptor modulator, SPRM) ont été testés. La mifépristone entraîne une atrophie endométriale et une diminution de la synthèse de prostaglandines. En clinique, elle permet d’observer une aménorrhée et une diminution de l’intensité des douleurs. L’ulipristal permet d’observer une diminution franche des douleurs. La survenue de complications hépatiques, exceptionnelles mais sévères, est un obstacle à son utilisation. Un modulateur sélectif du récepteur des estrogènes (selective estrogen receptor modulator, SERM) a également été évalué. Le bazédoxifène agit dans l’endomètre comme antiestrogène, en provoquant la dégradation de leur récepteur. Il a été associé à une add-back thérapie sans perdre son efficacité sur le contrôle des douleurs. Inhibiteurs de l’aromatase Ils inhibent la synthèse d’estradiol, en particulier localement, donc minimisent la croissance des lésions d’endométriose. Anastrozole et létrozole ont été testées dans de courtes séries. On observe une diminution effective des douleurs. Ces molécules n’ont pas l’AMM dans l’indication endométriose. Leur utilisation en traitement de recours a été envisagée. Elles doivent être associées à un progestatif pour supprimer la folliculogenèse qu’elles induisent.

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