publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Article du mois

Publié le 07 nov 2022Lecture 7 min

Les grossesses des femmes médecins sont-elles plus compliquées  ?

Daniel ROTTEN, Paris

Cusimano MC, Baxter NN, Sutradhar R et al. Evaluaion of adverse pregnancy outcomes in physicians compared with nonphysicians. JAMA Netw Open 2022 ; 5(5):e2213521

Observe-t-on plus de grossesses compliquées chez les femmes médecins, en comparaison avec celles qui exercent des activités professionnelles non médicales de niveau de technicité équivalent ? Les études disponibles font état de conclusions variables, confirmant cette hypothèse ici, la réfutant ailleurs. La méthodologie des études est peut-être à l’origine de cette variabilité. Beaucoup sont le résultat d’enquêtes déclaratives et sont donc entachées d’un risque de biais élevé. La multiplicité des étiologies envisageables pour expliquer une éventuelle augmentation de pathologies est une autre source possible d’explication de la disparité des résultats. Les hypothèses étiopathogéniques susceptibles d’étayer une augmentation de complications peuvent être regroupées en deux catégories totalement différentes. Les premières peuvent être considérées comme biologiquement plausibles. Elles relèvent en effet des risques professionnels. On évoque des expositions spécifiques (radiations ionisantes, gaz et drogues cytotoxiques, agents infectieux), des conditions de travail physiquement contraignantes (horaires à rallonge, longues périodes de station debout, travail de nuit par roulement) ou le fait d’avoir à affronter des situations émotionnellement stressantes (Quensah, 2009). L’autre piste évoquée est indirecte. Elle se réfère à un âge moyen des praticiennes plus élevé. En effet, beaucoup de médecins en formation reculent leur grossesse jusqu’à obtention de leur diplôme. On associe à ce délai, outre un effet intrinsèque de l’âge, une possible augmentation du nombre de comorbidités. Répondre à la question de manière fiable nécessite donc de disposer d’un échantillon d’enquête de taille suffisante. Maria C. Cusimano et coll. ont mis à profit l’existence d’une base de données médicoadministratives disponible dans la province de l’Ontario au Québec, à la fois large et exhaustive. Ces caractéristiques sont liées à la spécificité de la prise en charge assurantielle dans cette province, à savoir la gratuité des soins médicaux, de proximité comme hospitaliers.   Protocole d'étude • Sujets Il s’agit d’une étude rétrospective de cohorte. Les dossiers de toutes les femmes âgées de 20 à 50 ans ayant accouché en Ontario, à un terme de 20 semaines d’aménorrhée et plus, d’un enfant vivant ou mort-né, pendant la période 2002-2018 ont été identifiés. Le « groupe médecins » inclut des collègues à deux stades de leur curriculum. Les praticiennes sont répertoriées par leur inscription (obligatoire pour exercer) au collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Le deuxième groupe est constitué par les médecins en formation postdoctorale (internes, résidentes). Pour les praticiennes, une analyse par sous-groupes (médecins de famille, spécialistes exerçant une discipline non chirurgicale, disciplines chirurgicales) est également réalisée. Le « groupe témoin » est constitué de femmes non-médecins. Pour limiter l’influence du niveau socio-économique sur les résultats, seuls les dossiers de femmes à revenu élevé (identifiées par leur résidence dans des zones géographiques d’habitants ayant des revenus situés dans le quintile supérieur) sont retenus. • Critères de jugement Les deux critères de jugement principaux sont constitués par des scores composites de morbi-mortalité sévère. Le score de morbi-mortalité maternelle sévère combine, outre la mort maternelle, une soixantaine d’indicateurs se référant à des diagnostics (éclampsie…) ou à des procédures thérapeutiques (hystérectomie d’hémostase…). Ces indicateurs sont recueillis pour la période qui court depuis la grossesse jusqu’au 42e jour post-partum. Le score de morbi-mortalité néonatale sévère combine, outre la mort néonatale, une dizaine d’indicateurs se référant à des diagnostics (hypoxie anoxo-ischémique…) ou à des procédures thérapeutiques (réanimation néonatale…). Ces indicateurs sont recueillis pour la période qui court jusqu’au retour du nouveau-né au domicile. Certains items constitutifs des scores composites, choisis pour leur pertinence, sont analysés isolément dans un deuxième temps, et constituent des critères de jugement secondaires. • Analyse statistique Les données recueillies sont présentées sous forme de résultats bruts, à partir desquels sont calculés des odds ratio non ajustés. Les données font ensuite l’objet d’une régression logistique. Dans une première étape, une analyse multivariée prend en compte une dizaine de facteurs de confusion possibles, comme la parité, un antécédent d’accouchement prématuré, l’index de comorbidités, le nombre de fœtus, le mode d’accouchement. Le résultat est un odds ratio ajusté pour les comorbidités. Dans un second temps, l’âge des femmes lors de l’accouchement est inclus dans l’analyse multivariée (il s’agit de l’âge lors du premier accouchement répertorié dans l’étude). Le résultat est exprimé sous forme d’odds ratio ajusté pour les comorbidités et l’âge maternel.   Résultats Le « groupe médecins » (n = 6 161) diffère du « groupe témoins » (n = 221 191). L’âge des femmes est plus élevé, avec un âge médian (intervalle interquartile de 34 [31-36] ans vs 32 [29-35] ans) et comporte plus de nullipares (48,2 % vs 43,2 %). En revanche, les femmes du « groupe médecins » ont un score de comorbidités plus faible. • Morbi-mortalité maternelle sévère Le taux brut de morbi-mortalité maternelle sévère est plus élevé dans le « groupe médecins ». La prise en compte des divers facteurs de confusion sélectionnés (dont la parité et les comorbidités, voir le protocole) n’apporte pas de changement à ce résultat. Après prise en compte de l’âge maternel, il n’y a plus de différence entre les deux groupes (figure 1). Figure 1. Morbi-mortalité maternelle sévère. La figure représente les odds ratio brut et après correction pour les facteurs de confusion. • Morbi-mortalité néonatale sévère Le taux brut de morbi-mortalité néonatale sévère est plus bas dans le « groupe médecins ». La différence persiste après la prise en compte des facteurs de confusion et celle de l’âge maternel (figure 2). Figure 2. Morbi-mortalité néonatale sévère. • Critères de jugement secondaires Parmi les items spécifiquement analysés, certains méritent mention. Le taux de pathologies hypertensives est inférieur dans le « groupe médecins » (6,6 % vs 7,4 %, p = 0,03), et le demeure après ajustement pour les comorbidités et l’âge maternel. Le taux d’accouchements prématurés ne diffère pas entre les deux groupes après ajustement pour les comorbidités. Il y a plus de nouveau-nés petits pour l’âge gestationnel dans le « groupe médecins ». L’observation vaut pour le taux de nouveau-nés de poids de naissance inférieur au 10e percentile (10,4 % vs 8,3 %, p < 0,001) et celui des nouveau-nés de poids de naissance inférieur au 5e percentile (4,9 % vs 4,0 %, p < 0,001). La structure de la base de données ne permet pas de distinguer retards de croissance et enfants constitutionnellement petits. Plusieurs arguments plaident contre l’hypothèse de retards de croissance : les femmes du « groupe médecins » ont un taux de comorbidités inférieur, elles présentent moins de complications hypertensives de la grossesse, et les nouveau-nés des mères de ce groupe ont un score de morbi-mortalité néonatale sévère plus faible. Néanmoins, des retards de croissance, liés aux contraintes professionnelles (horaires, stress, etc.) ne peuvent être exclus en l’état. • Analyse par spécialités médicales Les scores de morbi-mortalité maternelle ou néonatale sévères ne diffèrent pas lorsqu’ils sont comparés entre praticiennes exerçant la médecine de famille, une spécialité non chirurgicale ou une spécialité chirurgicale.   En résumé Cette vaste étude observationnelle montre l’absence de surcroît de morbi-mortalité maternelle ou néonatale intrinsèque chez les femmes médecins par comparaison avec des femmes à revenu élevé non médecins. L’effet délétère du métier sur la morbi-mortalité maternelle traduit en fait l’effet néfaste du report de l’âge de la grossesse. Il est frappant d’observer que cet effet est apparent pour une différence d’âge médian de 2 ans. Dans un précédant article(1), Maria C Cusimano et coll. avaient montré une structure chronologique de natalité différente entre le « groupe médecins » et le « groupe nonmédecins ». Le nombre final de grossesses est identique dans les deux groupes. Mais le nombre de naissances aux âges les plus jeunes (15-28 ans) est plus bas dans le « groupe médecins ». Il y a un « rattrapage » aux âges plus élevés (29-36 ans et surtout à 37 ans et plus). Les auteurs de l’étude avaient répertorié une série de contraintes rencontrées par les femmes médecins en formation les amenant à retarder leur grossesse jusqu’à la fin de leurs études : horaires de travail étendus, possibilités de congé parental restreintes, options limitées de garde d’enfant, sans compter la stigmatisation par les supérieurs hiérarchiques et les pairs. Conséquence : les femmes médecins sont exposées à un risque accru de complications reproductives liées à l’avancement en âge, que celles-ci concernent la fertilité ou la grossesse. Avec une parité numérique de genre croissante dans les effectifs de médecins, c’est certainement un chantier de plus à mettre au calendrier des planificateurs appelés à gérer la crise du système de santé.  

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème