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Article du mois

Publié le 07 fév 2022Lecture 10 min

Intérêt de combiner mammographie et échographie pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes jeunes

Daniel ROTTEN, Paris

La mammographie reste l’examen pivot du dépistage organisé du cancer du sein. C’est le seul examen pour lequel on a pu démontrer qu’il était corrélé à une réduction de la mortalité.

Les performances de la mammographie sont généralement considérées comme acceptables lorsque le tissu graisseux est prédominant. Une sensibilité située dans la fourchette 80-98 % est alors régulièrement obtenue. Mais son efficacité est réduite en cas de densité tissulaire élevée chez les femmes jeunes. La sensibilité peut alors être inférieure à 50 %. Outre le fait qu’une densité mammaire élevée est un facteur de risque indépendant de cancer du sein, elle rend plus difficile la lecture des mammographies. Dans ces cas, deux examens sont envisagés pour améliorer les performances du dépistage. Le premier est l’IRM, mais il est lourd à déployer dans ce cadre. Le second est l’utilisation systématisée de l’échographie, mais son apport reste discuté. Le gain de sensibilité attendu n’est pas retrouvé dans toutes les études. Premier volet de l’étude J-START C’est souligner l’intérêt de l’essai randomisé prospectif qui a été mené au Japon, intitulé Japan Strategic Anti-cancer Randomized Trial (J-START). Son but est d’évaluer l’apport de l’association systématique d’une échographie à la mammographie de dépistage. Pour focaliser l’intérêt sur les performances de ces examens en cas de seins de densité élevée, la population retenue pour l’étude a une spécificité : elle est constituée de femmes jeunes. Les résultats sont rapportés dans deux publications successives. Dans un premier volet, Noriaki Ohuchi et coll. rapportent les résultats globaux de l’essai(1). Un article complémentaire analyse les données en fonction de la densité mammaire(2). Protocole Les femmes incluses sont âgées de 40 à 49 ans. Elles sont à risque standard de cancer du sein. En effet, il y a une seule restriction à l’inclusion : les femmes ne doivent pas avoir d’antécédent de cancer mammaire (invasif ou non) ou d’autre localisation depuis au moins 5 ans. L’étude est multicentrique. Elle s’est déroulée entre 2007 et 2011, et a été réalisée dans 42 sites répartis sur l’ensemble du territoire japonais. Dans le groupe Contrôle (groupe « mammographie seule »), les femmes bénéficient d’une mammographie, répétée selon un intervalle qui est au maximum de 2 ans. La mammographie est éventuellement associée à un examen clinique mammaire. Dans le groupe intervention, le dépistage décrit précédemment est systématiquement complété par une échographie (groupe « mammographie + échographie »). Les examens sont réalisés par des radiologues ou des techniciens d’imagerie clinique. Les clichés font ensuite l’objet d’une double lecture par des praticiens. Les résultats pris en compte portent sur la première ronde de dépistage et la période qui suit jusqu’à la deuxième ronde. Ils excluent cette dernière. L’objectif principal est d’évaluer la performance du dépistage selon les modalités utilisées. L’analyse de la distribution des stades cliniques lors du diagnostic constitue un objectif secondaire. Résultats Le groupe « mammographie + échographie » est constitué de 36 752 femmes. Le nombre de cancers découverts dans ce groupe est de 202 (cancers d’intervalle). Le groupe « mammographie seule » comporte 35 965 femmes. Le nombre de cancers découverts dans ce groupe est de 152. L’âge moyen des participantes est de 44,0 (± 3,0) ans. La figure 1 montre, pour chaque groupe, le nombre de cancers détectés selon les modalités de dépistage. Dans le groupe « mammographie + échographie », 37,6 % des cancers sont dépistés à la fois par la mammographie ou l’échographie lors de la première ronde. Mais 20,3 % des cancers sont dépistables uniquement par la mammographie et 33,2 % uniquement par l’échographie. Enfin, 8,9 % des cancers ont échappé totalement au dépistage et ont été diagnostiqués dans l’intervalle entre les 2 rondes (figure 1). Au total, le taux de dépistage dans ce groupe a été de 91,1 % (tableau, figure 2A). Figure 1. Nombre de cancers détectés selon les modalités de dépistage. Population de l’ensemble de la population de l’essai J-START.  La figure détaille le nombre de cancers visibles en mammographie (MAMMO +), en échographie (US +) ou dépistés par la palpation (EXAMEN CLINIQUE +).  Le nombre de cancers non dépistés est également indiqué (cancers de l’intervalle). Figure 2. Sensibilité observée selon les modalités de dépistage.  Panneau A : population de l’ensemble de la population de l’essai J-START. Panneau B : population de la seule population de la préfecture de Miyagi. M + É : groupe « mammographie + échographie » ; M : groupe « mammographie seule ». Dans le groupe « mammographie seule », 71,7 % des cancers ont été diagnostiqués par la mammographie et 5,3 % par le seul examen clinique. Près d’un quart (23 %) des cancers ont constitué des cancers d’intervalle (figure 1). Au total, le taux de dépistage dans ce groupe a été de 77 %. Il est donc inférieur de 14,1 % à celui du groupe « mammographie + échographie » (tableau, figure 2A). Le gain de sensibilité de 14,1 % permis par l’adjonction de l’examen échographique est acquis aux dépens d’une perte de spécificité de 3,7 % (tableau, figure 3A). Cette perte est expliquée par le fait que les faux positifs des deux techniques s’additionnent. Le taux de dépistage plus élevé dans le groupe « mammographie + échographie » s’accompagne également d’un taux de dépistage de formes plus précoces. Les formes de stade clinique 0 ou I constituent 71,3 % des cancers dépistés dans le groupe « mammographie + échographie » contre 52,0 % (p = 0,019) dans le groupe « mammographie seule ». Le pourcentage de formes invasives est similaire dans les deux groupes (69,6 % et 73,5 %, respectivement). Il n’y a donc pas d’excès de formes in situ dans le groupe «mammographie + échographie», contrairement à ce que l’on pourrait craindre. On peut remarque que le taux global de cancers détectés est plus élevé dans le groupe « mammographie + échographie » (n = 202) comparé à celui des cancers découverts dans le groupe « mammographie seule » (n = 152). Or, le nombre de participantes est pratiquement identique dans chaque groupe (36 752 femmes et 35 965, respectivement), et les caractéristiques démographiques ne diffèrent pas statistiquement entre les deux groupes. Les auteurs proposent que ce nombre plus élevé de cancers découverts dans le groupe « mammographie + échographie » soit à mettre au compte des performances de l’échographie. Seul un suivi à long terme de la cohorte pourrait confirmer cette hypothèse. Second volet : l’analyse selon la densité mammaire Ce volet de l’étude, réalisé par Narumi Harada-Shoji et coll.(2), consiste en une analyse secondaire des résultats obtenus au cours de l’essai J-START décrit précédemment. Les résultats du dépistage sont confrontés à l’analyse de la densité mammaire radiologique. On le sait, la densité mammaire rend les cancers plus difficiles à détecter en mammographie. Lorsque la densité est élevée, la législation américaine impose d’ailleurs aux radiologues de le notifier sur le compte-rendu. Dans plusieurs états, elle enjoint aux assureurs de prendre en charge dans ces cas la réalisation d’une échographie complémentaire. C’est cet aspect qui est exploré ici. Protocole Trois radiologues se sont attelés à la tâche de relire les clichés mammographiques enregistrés au cours du premier volet de l’étude J-START. Pour chaque femme, la densité mammaire a été évaluée. Les estimations sont réparties en 2 catégories, à partir de la classification BI-RADS. La catégorie « non dense » regroupe les aspects BI-RADS « pratiquement entièrement graisseux » et « aires de tissu fibroglandulaire éparses ». La catégorie « dense » regroupe les aspects « densité hétérogène » et « extrême densité ». Pour des raisons techniques (disponibilité des clichés, tenue d’un registre du cancer), seules les femmes du centre situé dans la préfecture de Miyagi ont fait l’objet de cette réanalyse. L’étude a été réalisée de mars à septembre 2019. Résultats L’analyse concerne 19 213 femmes (9 705 femmes dans le groupe « mammographie + échographie » et 9 508 femmes dans le groupe « mammographie seule »). La moyenne d’âge est de 44,5 (± 2,8) ans. Le nombre de femmes ayant des seins classifiés « denses » est de 11 390 (59,3 %). Une seule caractéristique démographique diffère entre les différents groupes : le taux de seins « denses » est plus élevé chez les nulligestes, quel que soit le groupe d’étude auquel elles appartiennent. La sensibilité du dépistage pour la population de l’ensemble des femmes de la préfecture de Miyagi est présentée dans la figure 4. On observe sur les femmes de la population de la préfecture de Miyagi, comme c’était le cas sur l’ensemble de la population de J-START, que la sensibilité du dépistage combiné « mammographie + échographie » est supérieure au dépistage par « mammographie seule », avec un taux de détection de 93,2 % contre 66,7 % (figure 4A). Le gain de sensibilité apporté par l’adjonction de l’échographie est donc proche de 25 %. Il se fait, comme précédemment, aux dépens d’une perte de spécificité (figure 3B). Figure 3. Spécificité observée selon les modalités de dépistage. Panneau A : population de l’ensemble de la population de l’essai J-START ; Panneau B : population de la seule population de la préfecture de Miyagi ; M + E : groupe « mammographie + échographie » ; M : groupe « mammographie seule ». Figure 4. Nombre de cancers détectés selon les modalités d'examen et la densit" mammaire. Les chiffres se rapportent à la seule population de la préfecture de Miyagi. Panneau A : ensemble de la population. Panneau B : répartition selon la densité mammaire. La figure 4B présente la sensibilité en fonction de la densité mammaire. Dans le groupe « seins denses », le taux de cancers de l’intervalle est nette- ment plus bas en cas de dépistage combiné « mammographie + échographie», comparé à la « mammographie seule » (6,8 % contre 29,4 %). Contrairement au résultat attendu, on observe la même différence en cas de seins « non denses ». Alors que le taux de cancers de l’intervalle est de 39,4 % dans le groupe « mammographie seule », ils sont de 6,9 % dans le groupe « mammographie + échographie » (figure 4B). Le nombre de cancers détectés selon les différentes modalités d’examen est analysé dans la figure 5. Le gain de sensibilité apporté par l’échographie est net dans le groupe « seins denses » comme dans le groupe « seins non denses ». Figure 5. Nombre de cancers détectés selon les modalités de dépistage et la densité mammaire. Panneau A : groupe « mammographie + échographie ». Panneau B : groupe « mammographie seule ». Exprimé en taux de cancers détectés pour 1000 dépistages, le dépistage combiné est près de 2 fois plus efficace que le dépistage par mammographie seule (figure 6A). On constate le même phénomène que l’on considère le groupe des seins « denses » ou « non denses » (figure 6B). Le taux de stades 0 et I dépistés tend à être plus élevé en cas de dépistage combiné « mammographie + échographie » comparé au dépistage par « mammographie seule », mais les effectifs par groupe sont trop bas pour être statistiquement analysés. Figure 6. Taux de cancers détectés selon les modalités de dépistage utilisées (pour 1000 dépistages). Panneau A : population de l’ensemble de la population. Panneau B : répartition selon la densité mammaire. En résumé Première conclusion. Dans cette population de femmes jeunes (40-49 ans lors de l’inclusion), l’adjonction systématique d’un examen échographique à la mammographie radiographique a permis d’améliorer le taux de dépistage des cancers du sein. Le bénéfice porte tant sur les formes in situ que les formes invasives. Cette amélioration de la performance se traduit par une diminution du taux de cancers de l’intervalle qui passe de 23,0 % à 8,9 %. Elle s’accompagne également du dépistage d’un taux plus élevé de cancers aux stades 0 et I. Seconde conclusion. L’augmentation de sensibilité liée à l’adjonction d’une échographie est indépendante de la densité mammaire, puisqu’elle est observée tant en cas de densité mammaire élevée que de densité faible. Ce dernier résultat est inattendu. Dans les deux cas, l’augmentation de sensibilité se fait aux dépens d’une baisse de la spécificité. Les résultats obtenus dans cette étude sont-ils généralisables ? Plusieurs points plaident en faveur d’une généralisation possible des conclusions. L’évaluation prend bien en compte les échecs de dépistage (cancers de l’intervalle, formes évoluées d’emblée), ce qui en fait un bon paramètre intermédiaire pour juger de l’efficacité oncologique. L’essai est randomisé, prospectif, et inclut un nombre élevé de sujets. Les examens ont été faits dans une population à risque de cancer standard et dans plusieurs sites répartis sur l’ensemble du territoire japonais. Les clichés ont été obtenus dans des conditions habituelles de pratique des centres. On est donc proche de conditions d’exercice « en vie réelle ». Reste l’existence d’une éventuelle spécificité ethnique. L’étude a été réalisée uniquement dans une population de femmes japonaises. Les conclusions sont-elles applicables à d’autres populations ? Plusieurs publications ont montré que le tissu mammaire des jeunes femmes asiatiques est d’une densité plus élevée que celui de femmes d’autres origines ethniques. Cette particularité pourrait théoriquement favoriser les performances de l’échographie. Mais comme cela est montré dans l’étude, plus que la densité, c’est l’âge des femmes qui influe sur la performance de l’échographie. En conclusion, les résultats fournis par l’essai J-START plaident pour l’adjonction systématique d’une échographie lorsque l’on pratique un dépistage mammaire chez des femmes dont l’âge se situe dans la tranche 40 à 49 ans. Bien sûr, cette étude ne répond pas à la question plus générale de l’opportunité de faire ou pas le dépistage avant 50 ans. Mais cela est une autre histoire.

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