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Thérapeutique

Publié le 16 oct 2019Lecture 6 min

De l'importance des effets indésirables des placebos

D. ROTTEN, Hôpital Delafontaine, Saint-Denis

Au préalable, deux définitions. Un effet placebo désigne l’amélioration des symptômes cliniques présentés par une personne lorsqu’on lui administre une substance inerte ou qu’elle bénéficie d’une procédure neutre. L’effet nocebo désigne l’aggravation des symptômes cliniques ou l’apparition d’effets indésirables (EI) dans les mêmes conditions. ces phénomènes sont anciennement connus, mais l’intérêt qui leur est porté s’est accru à mesure que les essais contrôlés, randomisés contre placebo, sont devenus la norme en recherche médicale.

L'effet placebo peut entraîner une amélioration psychologique. Plusieurs études ont montré qu’il pouvait aussi être associé à une réponse clinique objective. L’importance des EI observés en cas d’administration de placebo a été beaucoup moins étudiée. Une recherche rapide dans Medline (avec le critère de tri « best match ») recense 84 359 articles pour l’effet placebo et 508 pour l’effet nocebo. Or, l’importance de ces derniers ne peut être négligée car, du fait de leur sévérité, ils peuvent interférer avec le projet thérapeutique. M.R. Chacón et al. ont fait le point sur l’importance réelle de l’effet nocebo au cours d’une prise médicamenteuse, et plus précisément en cancérologie, lors de l’administration de thérapies ciblées ou d’immunomodulateurs(1). Pour cela ils ont recensé les publications incluant deux bras portant sur le sujet, produit actif contre placebo, et en ont fait la métaanalyse (encadré). Résultats Dix essais répondent aux critères d’inclusion. Ils concernent 4 types histologiques de cancer : mélanomes (n = 4) ; carcinomes bronchiques non à petites cellules (n = 1) ; tumeurs stromales gastro-intestinales (n = 1) ; et carcinomes à cellules rénales (n = 4). Cela correspond à un total de 11 143 patients, soit 6 270 patients dans les groupes « principe actif » contre 4 873 dans les groupes recevant un placebo.   L’incidence totale des EI est de 93,6 % (IC95 % = 86,7-100) pour les patients ayant reçu le « principe actif » et de 85,1 % (IC95 % = 79,3-90,8) pour les patients ayant reçu un placebo (figure). Elle est donc tout à la fois élevée et comparable dans les deux groupes. Les taux d’EI sévères (grades 3 et 4 selon le score du National Cancer Institute, tableau) sont ensuite spécifiquement  analysés. Le taux est de 45,3 % (IC95 % = 33,3- 57,3) chez les patients ayant reçu le « principe actif ». Il est significativement plus bas, mais loin d’être négligeable, chez les patients ayant reçu le « placebo », chez qui il est de 18,2 % (IC95 % = 15,3-21,2). À noter, le taux est pratiquement le même qu’il s’agisse d’un placebo oral ou parentéral (respectivement 19 % et 17 %). Il n’y a eu aucun décès lié à la prise de placebo.   Le retentissement des EI sur le déroulement du traitement est ensuite analysé. Cinq essais sont informatifs sur ce point. Dans le groupe « principe actif », les effets secondaires sont suffisamment sévères pour obliger à une diminution de dose, ou même à une interruption du traitement dans près de la moitié des cas (42,4 % et 48,2 %, respectivement). Les chiffres sont bien plus bas dans le groupe placebo, mais restent tout de même notables (4,9 % et 11,6 %, respectivement).   Les EI sévères (grades 3 et 4) les plus souvent observés chez les patients du groupe placebo sont l’hypertension (2,8 %), la fatigue (1 %) et la diarrhée (0,8 %). Il existe une corrélation positive entre l’incidence des EI observée dans le groupe « principe actif » et celle observée dans le groupe placebo. Il existe également une corrélation entre la nature des EI survenant dans les deux groupes. Discussion Les placebos utilisés dans les essais contrôlés, randomisés contre placebo, ne sont donc pas aussi neutres qu’on peut le penser a priori. On connait bien l’effet bénéfique possible des placebos. Mais leur effet nocif est moins bien documenté. On n’est pas étonné que des patients atteints d’une affection sévère, récemment opérés, rapportent une foule de petits maux, qui passeraient inaperçus hors du cadre d’une étude médicale, où ils sont systématiquement recherchés lors des visites de surveillance. C’est probablement ce dont témoigne un taux global d’effets adverses de plus de 80 % dans le groupe placebo. En particulier, la fatigue n’est pas inattendue chez ces patients en cours de traitement.   Mais l’administration d’un placebo peut aussi s’accompagner d’EI marqués. Ainsi la métaanalyse de Chacón et al. fait apparaître un taux d’EI sévères, c’est-à-dire de grade 3 et 4 de 18 % chez les patients du groupe placebo, ce qui est loin d’être négligeable et d’autant moins qu’il y a des conséquences sur la poursuite du traitement. Ces EI ont amené les cancérologues à diminuer la posologie dans près de 5 % des cas et même à interrompre le traitement dans 11,6 % des cas. La nature des symptômes fréquemment rencontrés interroge également : hypertension, diarrhée, augmentation des aminotransférases ne sont pas simples à expliquer.   Comment expliquer l’effet nocebo ? Nous avons vu précédemment la possibilité d’une confusion possible entre les conséquences retardées de la séquence thérapeutique initiale et les effets délétères attribués au placebo. Parmi les autres hypothèses avancées, plusieurs sont psychologiques. La première met en cause l’état de stress et l’anxiété dans lesquels se trouvent les patients. Stress de la situation en général (avoir un cancer, avoir subi des interventions et des traitements agressifs, être soumis à des consultations médicales répétées, fréquenter de façon régulière des lieux de soins techniques, être en contact avec d’autres malades, dont certains ne sont pas dans une forme éblouissante…). L’anxiété liée au fait de ne pas savoir si on bénéficie de la molécule active plutôt que du placebo, donc de ne pas avoir toutes les chances de guérison a également été évoquée. Une deuxième piste mérite d’être explorée : l’effet « praticien ». La nature de l’information que le praticien en charge du patient lui donne et la manière dont il le fait sont peut-être à prendre en considération . Deux observations plaident en faveur de cette hypothèse. D’ une part, dans de nombreuses études, il existe une proportionnalité entre le taux d’effets indésirables relevés dans le groupe « principe actif » et dans le groupe « placebo ». D’autre part, au sein d’une même étude, les symptômes le plus souvent allégués par les patients des deux groupes sont les mêmes. La manière dont le praticien délivre l’information en vue du consentement éclairé à l’étude, la façon dont il souligne la fréquence et la gravité de certains symptômes semble directement en cause. La réaction des sujets se rapproche alors de ce qu’ ils pensent devoir advenir. Il s’agirait donc d’un phénomène d’anticipation auto-réalisatrice.   Du fait de leur importance, les phénomènes placebo et nocebo font l’objet de multiples recherches. Les investigations psychologiques sont les plus anciennes, souvent focalisées sur la maîtrise de la douleur. Mais actuellement se développent des recherches plus physiologiques. Elles concernent la neuro-imagerie, IRM fonctionnelle et PET-scan en premier lieu. Les neurobiologistes se sont également impliqués sur ce sujet. Plusieurs études ont montré que les endorphines, la dopamine, la cholestesto-kinine, leurs récepteurs et leurs variants génétiques sont impliqués(2,3) . Ces résultats conduisent également à étudier un champ nouveau, les interactions entre neuro-transmetteurs et effets psychologiques. Comme le soulignent S. Dodd et al., voilà encore un domaine où beaucoup de recherches additionnelles restent à réaliser.   Mais d’ores et déjà, le travail de M.R. Chacón et al. souligne l’attention qu’il faut porter au contenu des messages que nous délivrons lors du recueil des consentements éclairés et à la manière dont nous les délivrons, et cela au-de là même des implications judiciaires.  

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