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Infertilité

Publié le 31 mar 2008Lecture 9 min

Don de gamètes : faut-il respecter l’anonymat ?

J. Belaisch, PARIS

L’anonymat dans le don des gamètes et le secret qui entourent ces dons est un sujet représentatif de l’état d’esprit régnant aujourd’hui et ce, sur deux plans : celui de la pression exercée sur l’ensemble de la population par des personnes affirmant un point de vue excessif et celui d’un désir de transparence à tout prix, comme si c’était là une qualité majeure qui avait « le droit » d’écraser tous les autres points de vue.

 
Depuis quelque temps, une tendance se manifeste dans le monde entier en faveur de la révélation de l’IAD et pour l’abandon complet de l’anonymat des donneurs. Le débat sur les avantages respectifs du secret et de la révélation reste cependant largement ouvert. En France, une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée Nationale le 28 juin 2006 ; elle serait cependant caduque du fait des résultats des dernières élections. Georges David, au nom de l’Académie de Médecine, a posé à ce sujet quelques questions essentielles. La littérature internationale témoigne de l’ampleur du sujet. Le but de cet exposé est de connaître et de transmettre l’opinion spécifique et l’expé-rience des gynécologues intéressés, afin de les confronter aux publications récentes parues dans la presse mondiale. Ils savent mieux que quiconque ce qu’est la situation du père légal qu’ils connaissent et dont ils comprennent qu’il ne veuille pas que son handicap soit connu. Il est pour eux normal qu’il souhaite que son enfant l’aime comme un père au plein sens du terme, et ils pensent aussi que l’enfant pourrait en bénéficier en retour. Les psychothérapeutes ont un point de vue nécessairement particulier. Ils croient, en raison de l’expérience qu’ils ont acquise au contact de sujets qui leur ont décrit leurs souffrances existentielles, que la levée de l’anonymat pourrait avoir sur eux des effets bénéfiques. Leur bonne foi est totale. Madame Delaisy de Perceval (1) a pris la défense de cette catégorie de patients. Pour elle, seuls les hommes de stérilité définitive et incontestable ont recours au don de sperme, ce qui n’est pas le cas, et souvent l’enfant est le fils de son père légal, alors que ce dernier était seulement sévèrement oligospermique. D’autre part, elle admet que, par principe, l’enfant est descendant du donneur, comme si la mère était enfermée dans un harem. C’est-à-dire qu’elle néglige la double incertitude biologique et sociale. En outre, on peut penser que ces expériences sont biaisées car ces psychothérapeutes ne rencontrent que les personnes pour lesquelles le secret a été un échec. Or, il est nécessaire de peser, pour l’ensemble de la population, les avantages et les inconvénients de l’attitude adoptée. Et dans cette situation, les tenants du secret ne peuvent se faire entendre que par leur silence (mais on verra que celui-ci « parle » tout de même en faveur de son maintien). Et c’est en cela qu’il est indispensable que chacun puisse bénéficier de l’opinion des gynécologues ayant suivi pendant des années les couples après une insémination. Personne ne peut ignorer les inconvénients potentiels du secret. La mère est probablement hantée par de nombreuses questions : a-t-elle fait le bon choix par rapport à son mari ? Et pour l’enfant, qu’arriverait-il s’il se doutait un jour de ce qui lui est caché et davantage encore s’il en avait la preuve ? Nous n’avons eu qu’une seule fois l’occasion d’observer un échec du secret, contre de très nombreuses évolutions parfaitement banales et très satisfaisantes. Mais il est vrai que plusieurs couples n’ont pas été suivis longtemps. La littérature montre les deux facettes de la réflexion théorique de ce délicat problème. Elle apporte aussi des informations chiffrées d’un certain intérêt pratique. Que se passerait-il si la levée du secret et de l’anonymat du donneur étaient décidés ? Deux problèmes sont intimement liés : l’effet de la levée de l’anonymat sur les dons et les conséquences de la révélation sur la vie de l’enfant.   Point de vue des donneurs En 1985, la législation suédoise donne accès à l’identité du donneur. Depuis cette date, des études ont été réalisées pour connaître les effets possibles sur la collecte des dons de sperme. Elles révèlent un fait largement attendu : la réponse des donneurs varie selon les pays. Aux États-Unis, la motivation pécuniaire est primordiale : 69 % des donneurs refuseraient de continuer à donner s’ils n’étaient pas rémunérés et de préférence dans l’anonymat(2). En Australie, selon Rowland (3), la majorité d’entre eux ne refuse pas que l’on donne quelques informations, mais pas leur nom ; et la moitié accepterait de rencontrer à 18 ans leur enfant. Une enquête danoise (4) montre que 20 % seulement des donneurs persisteraient si l’anonymat était levé : 60 % donnent pour des raisons à la fois altruistes et financières ; 76 % acceptent que l’on fournisse des informations phénotypiques non identifiantes, mais 28 à 40 % seulement des données psychosociales. En France, le don est gratuit et l’altruisme (avec toutes les réflexions que comporte ce concept) est la principale motivation. Une publication de 2007 (5) apporte un éclairage complémentaire : les banques de sperme nord-américaines se dirigent vers l’« open identity donor insemination », c’est-à-dire que le donneur accepte que l’enfant, avant ou à 18 ans, puisse connaître son identité s’il le souhaite et accepte de le rencontrer au moins une fois. Depuis 10 ans, la proportion de ces banques et des donneurs acceptant l’absence d’anonymat s’est accrue régulièrement. Cette information met-elle un point final à ces interrogations ? Non, car les dernières lignes de l’article précisent que les couples de lesbiennes et les femmes seules sont la première « force » qui pousse vers cette évolution. Et dans ce cas, les réticences masculines, principale justification et moteur du secret, sont absentes ! Les personnes intéressées devront lire un article récent, farouchement en faveur de la levée de l’anonymat, analysant la situation en Europe. Il ne s’agit pas d’un article médical stricto sensu (et il est d’ailleurs impossible de connaître la profession des auteurs). Il fait preuve d’une objectivité légale, sans doute volontairement, dépourvue de tout sentiment ou émotion (6).   Les parents potentiels En 1997, Brewaeys (7) a rapporté la préférence des parents : 57 % préféreraient un don anonyme ; 31 % des informations non identifiantes. De même pour Rowland (3), les trois quarts des couples potentiels maintiendraient le secret. En miroir, dans un travail français, 70 % des couples ayant bénéficié d’un don d’ovocytes ont gardé le secret pour leur enfant (8). En somme, que le don soit de sperme ou d’ovocytes, les couples ont une préférence affichée pour le secret.   Du côté des enfants Certains enfants peuvent souffrir d’une atmosphère particulière provoquée soit par les efforts du père social pour conserver le secret(9), soit due aux perturbations psychologiques pouvant exister chez la mère. La religion des psychothérapeutes est faite sur ce point. En outre, le droit des enfants à connaître leur origine ne leur est pas donné si le secret reste (10). Pourtant 3 observations objectives tempèrent ces réflexions : Sangren (11) au Danemark n’a observé aucun effet délétère dans le développement psychosocial chez les enfants nés après insémination (mais aucun adulte n’avait été interrogé). Les 22 couples sélectionnés par Schilling (Allemagne) avant IAD ont témoigné que leurs enfants étaient proches de l’image idéale de l’enfant qu’ils se faisaient. Enfin et surtout, Georges David (12) élargit la question en rapportant que sur les 15 dernières années, moins de 25 adolescents ou adultes conçus par IAD ont spontanément pris contact avec l’ensemble des CECOS, en vue d’obtenir des informations déterminantes les concernant. Si l’on se souvient de ce que 50 000 enfants sont nés dans cette situation et que la moitié d’entre eux sont adolescents ou plus âgés, on relativise le retentissement du secret quant à la fréquence des troubles (mais non à leur degré). D’autre part, un psychologue lyonnais, après de multiples appels par la presse, n’a pu rencontrer que 21 jeunes dont seulement 2 auraient souhaité connaître le donneur ! Il n’est donc pas exclu qu’il pourrait y avoir plus d’inconvénients que d’avantages à modifier l’état des choses. Qu’en serait-il aussi de ces révélations sur les enfants nés de père inconnu (environ 15 000 par an) ? Et quel serait le sort des enfants nés dans des couples constitués et qui ne sont pas les enfants du conjoint légal ? En bref, la situation est loin d’être idéale et des progrès sont nécessaires pour éviter des souffrances à venir par une anticipation raisonnée. Les gouvernants et les parlementaires ont raison de se pencher sur ces sujets, à condition de tenir compte de la diversité des situations et des opinions de toutes les personnes impliquées. Les gynécologues sont en pre-mière ligne pour les y aider. Il y a plus de 30 ans déjà, un couple d’universitaires avait accepté d’être interviewé dans un film que nous réalisions sur les traitements de la stérilité et de faire part de leurs réflexions devant l’azoospermie incurable du mari. Leur analyse était remarquablement pointue. Six mois plus tard, ils étaient revenus pour dire qu’ils avaient renoncé à l’IAD, parce que la femme estimait qu’il fallait révéler à l’enfant les conditions de sa naissance et que son mari pensait qu’il fallait les taire ! Aucun n’ayant pu convaincre l’autre, ils avaient abandonné. La question reste toujours d’actualité, mais la recherche d’une réponse entièrement satisfaisante, sans la pression agressive que mettent certains, est digne des efforts poursuivis. Une des causes de la révélation non désirée d’un don tient dans les confidences, faites par les couples à des parents ou amis, de leur grave stérilité. Il serait peut-être préférable de se contenter, quand le besoin de se confier est insurmontable, de parler de difficultés à concevoir sans les qualifier et de décrire la souffrance qu’elles provoquent sans aller plus loin, quelle que soit la confiance que l’on a dans ses amis !          

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