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Cancérologie

Publié le 27 fév 2013Lecture 13 min

Cancer et hyperplasies atypiques de l’endomètre - Place du traitement conservateur

M. KOSKAS, C. YAZBECK, D. LUTON, P. MADELENAT, Hôpital Bichat, Paris
Dans les cas d’adénocarcinome ou d’hyperplasie atypique de l’endomètre chez la femme jeune, le principe d’un protocole alternatif à l'hystérectomie consiste à proposer un traitement antigonadotrope dont le but est d’assurer la régression des lésions pour permettre une grossesse sous le couvert d’une surveillance attentive. Depuis les premiers cas de grossesse publiés, plusieurs études suggèrent la sécurité d’une telle prise en charge. Toutefois, plusieurs questions demeurent, parmi lesquelles le choix du traitement, sa durée, le mode de conception proposé après rémission (AMP, fécondation spontanée), etc.
Une récente revue de la littérature indique que le traitement conservateur d’hyperplasie atypique (HA) et d’adénocarcinome (ADK) intramuqueux permet l’obtention d’une grossesse chez un tiers des patientes. Si de rares décès sont survenus, un tiers des patientes ont connu une progression tumorale extra-endométriale, le plus souvent limitée au corps utérin. Les progestatifs constituent le traitement le plus évalué avec un taux de rémissions de 80 % et un risque de récidive de 25 % environ. L’expérience française fait état d’une cinquantaine de cas avec des résultats similaires. L’adénocarcinome et l’hyperplasie atypique de l’endomètre se rencontrent essentiellement chez des femmes ménopausées. Cependant, dans environ 5 % des cas, ces entités concernent des femmes en âge de procréer. Chez ces patientes dont la prise en charge classique reposait jusqu'alors sur le principe intangible de l'hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale, le principe d’un traitement conservateur devrait aujourd’hui être considéré. Le protocole fondé sur la conservation de la fonction utéroannexielle repose sur le contrôle local de la lésion endométriale et la prescription d’un traitement antigonadotrope dont le but est d’obtenir la régression des lésions sous le couvert d’une surveillance attentive. Ainsi, l’objectif poursuivi est de traiter la lésion endométriale sans recourir à l’hystérectomie à la seule raison de préserver la fertilité. En conséquence, l’évaluation du traitement conservateur doit tenir compte des performances gravidiques en les confrontant à la sécurité carcinologique.   Revue de la littérature Une récente revue de la littérature(1) nous a permis d’inclure 437 patientes (311 ADK, 126 HA) âgées en moyenne de 31,2 ans et obèses pour un tiers d’entre elles. Près de 9 femmes sur 10 traitées de manière conservatrice étaient nulligestes ou nullipares. Plus de la moitié d’entre elles étaient infertiles et plus d’un tiers souffraient de dysovulation ou d’un authentique syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). La grande majorité des ADK était de type endométrioïde et de grade 1. Parmi ces patientes, 355 ont été traitées par progestatif oral, essentiellement par acétate de médroxyprogestérone (MPA) ou par acétate de mégestrol (MA) ; 41 patientes ont été traitées par agoniste de la GnRH, associé au DIU au lévonorgestrel (LNG) dans 34 cas ; 8 patientes ont été traitées par un DIU au LNG seul. La plupart des patientes étaient traitées initialement entre 3 et 6 mois (261/408). La réponse au traitement a pu être analysée pour 408 patientes (290 ADK, 118 HA) : – parmi les 290 patientes atteintes d’un ADK, 78 % ont vu leur lésion endométriale régresser et le taux de récidives était de 29 % ; – parmi les 118 patientes atteintes d’une HA, 91 % ont vu leur lésion endométriale régresser et 21 % de ces lésions ont récidivé. Parmi les 408 patientes traitées et évaluées après traitement antigonadotrope, 173 (42,4 %) ont été hystérectomisées. Dans 30 cas, l’extension tumorale n’était pas renseignée. Parmi les 143 hystérectomies dont l’examen anatomopathologique était disponible, dans 90 cas (62,9 %), la pièce d’hystérectomie ne montrait pas de lésion endométriale ou seulement une lésion d’HA ou d’ADK limitée à l’endomètre. À l’inverse, 53 patientes sur 143 (37,1 %) des patientes hystérectomisées ont vu leur lésion endométriale progresser (sous réserve d’une stadification initiale exacte). Dans la majorité des cas, la tumeur ne franchissait pas l’utérus, mais dans 12 cas le stade était ≥ II (FIGO 1988). Deux études rapportent chacune un cas de décès après prise en charge conservatrice(2,3) parmi les 408 patientes non perdues de vue et traitées de manière conservatrice de cette revue de la littérature (0,49 %). Parmi les 408 patientes traitées et évaluées, 130 patientes ont pu obtenir au moins une grossesse (31,9 %). Au total, 154 grossesses ont permis la naissance de 114 enfants vivants. Le mode d’obtention des grossesses n’a été renseigné que 3 fois sur 4 (124/157) ; 83 patientes au minimum ont été prises en charge par AMP (majoritairement par FIV), une fois la rémission lésionnelle obtenue. La majorité des patientes enceintes l’ont été après AMP (67/124, 54 %). Dans 46,0 % des cas, la grossesse était spontanée.   L’expérience française En France, nous avons recensé une cinquantaine de patientes traitées de manière conservatrice pour HA ou ADK intramuqueux depuis 15 ans. Outre l’obésité, une dysovulation, voire un authentique SOPK, participait aussi souvent au tableau. Dans plus de la moitié des cas, c’est au cours d’un bilan d’infertilité que la lésion d’HA ou d’ADK a été mise en évidence. La très grande majorité des ADK traités de manière conservatrice étaient des adénocarcinomes endométrioïdes bien différenciés. Ce sont les progestatifs qui ont été le plus souvent utilisés, permettant la rémission dans 75 % des cas avec un risque de récidive de 25 % environ. Aucun cas de décès n’a été rapporté, mais 3 patientes ont connu une progression tumorale avec extension extra-utérine sous la forme d’une atteinte ovarienne (2 cas) ou ganglionnaire pelvienne (1 cas). Le pronostic de fertilité est similaire à celui rapporté dans la littérature, puisque près d’un tiers des patientes françaises ont obtenu une ou plusieurs grossesses.   Discussion Les résultats de cette revue de la littérature et du registre français(4,5) indiquent que le traitement conservateur d’HA et ADK de l’endomètre en vue de préserver la fertilité est légitime puisque plus d’un tiers des patientes ont pu obtenir une grossesse après rémission lésionnelle. Toutefois, sur le plan carcinologique, deux décès sont survenus et un tiers des patientes hystérectomisées ont connu une progression tumorale au-delà de l’endomètre, le plus souvent limitée au corps utérin.   Le traitement conservateur d’hyperplasie atypique et adénocarcinome de l’endomètre en vue de préserver la fertilité permet l’obtention d’une grossesse chez un tiers des patientes après rémission lésionnelle.   Caractéristiques des patientes et des lésions : bilan d’inclusion L’HA et l’ADK sont des lésions estrogéno-dépendantes et les patientes présentant précocement ces lésions partagent souvent un certain nombre de caractéristiques communes aux états d'hyperestrogénie. Outre l’obésité, une dysovulation, voire un authentique SOPK, participent souvent au tableau. Dans plus de la moitié des cas, c’est au cours d’un bilan d’infertilité que la lésion d’HA ou d’ADK est mise en évidence. Toutes les études retenues dans la revue de la littérature s’assuraient avant l’inclusion des patientes d’une double relecture des lames. Nous pensons aussi que cette précaution est indispensable. La très grande majorité des ADK traités de manière conservatrice sont des adénocarcinomes endométrioïdes bien différenciés. On ne devrait pas proposer aux cancers de type II un traitement conservateur pour plusieurs raisons : – leur pronostic est moins favorable que celui des lésions de type I ; – le risque d’extension extrautérine des cancers de type II est plus élevé ; – ils sont souvent dépourvus de récepteurs aux antigonadotropes utilisés dans le traitement conservateur : progestérone et GnRH.   Le traitement conservateur des cancers de l’endomètre ne devrait concerner que les adénocarcinomes endométrioïdes bien différenciés limités à l’endomètre. La réalisation d’une coelioscopie avant de décider ou non de l’opportunité d’une telle prise en charge trouve son intérêt dans plusieurs objectifs : – évaluation de l’aspect macroscopique des ovaires ; – réalisation d’une cytologie péritonéale première ; – occlusion temporaire des trompes à l’aide d’une pince atraumatique, le temps de l’hystéroscopie, afin de diminuer le risque de contamination péritonéale d’une lésion endocavitaire (figure) ; – traitement d’un éventuel SOPK par drilling ovarien. Le traitement conservateur s’adresse aux patientes ayant un âge « raisonnable », laissant penser à un espoir réel de grossesse, en tenant compte éventuellement des possibilités de l’AMP. Le bilan doit toujours comporter une évaluation de la réserve ovarienne et de la qualité du sperme du conjoint. Le bilan tubaire par le biais d’une hystérosalpingographie est discutable en raison du risque théorique de dissémination intrapéritonéale de cellules néoplasiques.   Occlusion temporaire (durant le temps de l'intervention hystéroscopique) des deux conduits tubaires à leur émergence utérine au moyen de pinces atraumatiques. Le but est d'éviter le passage par migration transtubaire de cellules malignes lors de l'hystéroscopie.   "Le traitement conservateur s’adresse aux patientes ayant un âge « raisonnable », laissant penser à un espoir réel de grossesse, en tenant compte éventuellement des possibilités de l’AMP."   Modalités du traitement et surveillance • Les progestatifs demeurent le traitement antigonadotrope de référence dans le but d’une conservation utérine. Les analogues de la GnRH ont été moins étudiés en première intention. En plus des quelques cas recensés dans cette revue, certaines équipes ont utilisé les dispositifs intra-utérins au LNG dans cette indication. Leur utilisation pourrait théoriquement améliorer leur efficacité sans majorer les effets systémiques. Toutefois, un cas rapporté fait état de la progression d’une HA traitée par dispositif intra-utérin au LNG vers un authentique adénocarcinome chez une jeune femme désireuse de grossesse(6). Mais dans le cas de cette patiente, le dispositif intra-utérin était utilisé seul, sans traitement antigonadotrope systémique associé. Ainsi, lorsque le choix est fait d’un traitement par DIU au LNG, le plus prudent est probablement d’y associer un traitement par agonistes de la GnRH(7). "Les progestatifs oraux demeurent le traitement antigonadotrope de référence dans le but d’une conservation utérine." • Il apparaît légitime de proposer un premier contrôle endométrial après 3 mois de traitement, ce d’autant qu’un délai d’attente plus long expose à certains risques : méconnaissance d’une progression de la lésion initiale, perte de confiance de la patiente envers le projet thérapeutique, majoration des effets secondaires liés aux antigonadotropes. Les modalités de surveillance dans les cas où la rémission lésionnelle a été obtenue ne font l’objet d’aucune recommandation. Une surveillance mensuelle paraît excessive dans la mesure où les lésions endométriales impliquées sont censées être modérément agressives. À l’inverse, un rythme annuel semble imprudent en raison notamment du risque d’atteinte ovarienne (cancer synchrone ou métastase)(8). Tout comme la majorité des auteurs, une fréquence de surveillance tous les 3 à 6 mois nous paraît adaptée, par le biais d’une hystéroscopie diagnostique associée à une biopsie d’endomètre.   Décision d’hystérectomie Deux circonstances bien différentes peuvent motiver la réalisation d’une hystérectomie après traitement conservateur : – après un accouchement : la plupart des auteurs préfèrent une surveillance prolongée à un rythme biannuel, puis annuel. À notre avis, elle doit être proposée de manière systématique(9,10) ; – dans les cas de persistance, de récidive ou de progression de la lésion initiale, la décision d’hystérectomie est plus facile à prendre. Toutefois, en cas de persistance ou de récidive lésionnelle, plusieurs auteurs rapportent des cas de rémission secondaire.   Pronostic de fertilité Cette revue indique que 54 % des grossesses obtenues après traitement conservateur l’ont été par AMP. Il apparaît que l’AMP trouve une place de tout premier plan une fois la rémission lésionnelle obtenue pour plusieurs raisons : – souvent, d’autres facteurs d’infertilité sont associés à la lésion endométriale ; – compte tenu du risque de récidive, la rapidité d’obtention d’une grossesse est décisive. "L’AMP trouve une place de tout premier plan une fois la rémission lésionnelle obtenue." Depuis l’essor des techniques d’AMP dans les années 1990, les publications concernant des grossesses menées à terme avec succès malgré une lésion endométriale se multiplient : toutes les techniques ont fait leur preuve, mais de façon trop sporadique pour que l’on puisse en privilégier une par rapport aux autres dans ce contexte.   Conclusion   Proposition de protocole de prise en charge Le traitement conservateur des HA et ADK s’adresse souvent à des patientes infertiles, parfois porteuses d’un SOPK. Il convient de le réserver aux HA et aux ADK endométrioïdes intramuqueux de grade 1 après une relecture des lames histologiques. Le bilan d’extension complet devrait comprendre une coelioscopie afin de s’assurer de l’absence d’extension extra-endométriale. Dans la mesure où ils demeurent les plus évalués, ce sont les progestatifs qui ont notre préférence, pour une durée initiale de 3 mois. Dans l’hypothèse d’une rémission lésionnelle et en l’absence de facteur d’infertilité associé (réserve ovarienne conservée, intégrité tubaire, spermogramme normal…), une période d’attente d’une fécondation spontanée peut être envisagée. En présence d’éléments susceptibles d’altérer les chances de fécondation spontanée, le recours à l’AMP sans délai se justifie. Dans tous les cas, une surveillance endométriale étroite vérifiant la réalité de la régression lésionnelle est indispensable. En l’absence de rémission lésionnelle, la question du recours à l’hystérectomie doit être reposée. En cas de refus de la patiente, un traitement de deuxième intention peut être envisagé. Parce qu’ils ciblent d’autres récepteurs et qu’ils ont fait la preuve d’une certaine efficacité dans cette indication, les agonistes de la GnRH nous semblent alors indiqués. Après l’obtention d’une grossesse, la question d’une hystérectomie de clôture doit aussi être posée. En cas de refus de la patiente, une surveillance étroite (hystéroscopie et biopsie endométriale biannuelle) paraît indispensable.

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