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Infectiologie

Publié le 15 avr 2020Lecture 6 min

COVID-19 : les prépublications en médecine émergent enfin !

Hervé MAISONNEUVE*, Paris

La communauté médicale, après avoir été résistante au phénomène des préprints, semble avoir rapidement changé ses pratiques pendant l’épidémie du SARS-CoV-2. Les bonnes pratiques de prépublication ne sont pas assez connues.

Qu’est-ce qu’un préprint ? Le rédacteur en chef (editor en anglais) et le comité de rédaction d’une revue scientifique reçoivent des manuscrits. Ils sont évalués par le comité de rédaction avec des relecteurs externes pour décider de les accepter, réviser ou rejeter. Ce processus, appelé évaluation par les pairs (peer-review), doit garantir la qualité des articles publiés. Le manuscrit accepté est revu par l’éditeur (publisher) pour un contrôle qualité (mises en forme, corrections orthographiques, etc.). Le peer-review est critiqué car des biais existent dans la sélection des manuscrits et il prend en général de 1 à 3 mois. Les revues n’ont pas de meilleur système pour sélectionner les articles. Le "manuscrit auteur" est la version initiale du compte rendu de recherche, avant soumission à une revue. Cette version qui précède l’évaluation par un comité de rédaction est appelée "prépublication, préprint ou preprint". Elle ne comprend ni les modifications que fera l’auteur après le peer-review, ni les corrections et la mise en page de l’éditeur. Des chercheurs ont proposé de mettre en ligne gratuitement ces préprints pour communiquer au plus vite les résultats des recherches. Les préprints peuvent être soumis à des revues scientifiques pour publication. Les plateformes hébergeant ces manuscrits sont supportées par des institutions publiques, parfois par des organisations lucratives. Nombreuses ont été les controverses sur la validité de ce mode de publication ; si dès 1991, les physiciens ont accepté ce mode de publication, ce n’est qu’en 2019 que la communauté médicale a découvert les préprints, précédée par la communauté des biologistes dans les années 2015. Le développement des préprints en science De grandes variations existent entre les disciplines ; les plateformes de préprints sont nombreuses. • Les préprints ont été diffusés en physique dès 1991 sur un serveur arXiv (https://arxiv.org/) qui a évolué et est hébergé par Cornell University. En 2020, cette archive ouverte a 1 683 615 articles scientifiques (10/04/2020) dans les domaines suivants : physique, mathématique, computer science, biologie, finance, statistiques, sciences de l’ingénieur et économie. Les utilisateurs se disent satisfaits. L’ouverture d’un domaine "quantitative biology" a été faite en 2003, et le 30 mars 2020, arXiv a annoncé l’ouverture d’un domaine COVID-19 qui contient 398 préprints (10/04/2020). (https://arxiv.org/search/advanced?advanced=&terms-0-operator=AND&terms-0-term=COVID-19&terms-0-field=title&terms-1-operator=OR&terms-1-term=SARS-CoV-2&terms-1-field=abstract&terms-3-operator=OR&terms-3-term=COVID-19&terms-3-field=abstract&terms-4-operator=OR&terms-4-term=SARS-CoV-2&terms-4-field=title&terms-5-operator=OR&terms-5-term=coronavirus&terms-5-field=title&terms-6-operator=OR&terms-6-term=coronavirus&terms-6-field=abstract&classification-physics_archives=all&classification-include_cross_list=include&date-filter_by=all_dates&date-year=&date-from_date=&date-to_date=&date-date_type=submitted_date&abstracts=show&size=200&order=-announced_date_first&source=home-covid-19&start=0) • En novembre 2013, apparition de bioRxiv (https://www.biorxiv.org/) pour héberger des préprints en biologie. En 2020, bioRxiv héberge la plupart des préprints en biologie ; bioRxiv est géré par Cold Spring Harbor Laboratory, un laboratoire de plus de 600 chercheurs dans l’état de New York, et supporté par la Chan Zukerberg Initiative. bioRxiv a 27 domaines, mais pas de domaine "medicine" et les domaines "clinical trials’"et "epidemiology" ont été fermés avec l’arrivée de medRxiv. bioRxiv devrait bientôt accueillir son 100 000e préprint. • D’autres plateformes accueillent des préprints, que ce soit F1000research en Angleterre (https://f1000research.com/) depuis 2012, ou les 26 serveurs de Open Science Framework (OSF) à Charlottesville, USA (https://osf.io/preprints/). De la résistance de la communauté médicale à la déferlante COVID-19 Il existe une archive ouverte pour les préprints en médecine depuis juin 2019. L’archive medRxiv, avec une cinquantaine de domaines, est hébergée par Cold Spring Harbor Laboratory avec deux partenaires (Yale University et BMJ) (https://www.medrxiv.org/). Les débats ont été nombreux, avec des articles opposés aux préprints dans des revues médicales dont le JAMA et des revues d’orthopédie. Les principaux arguments étaient : 1. Les préprints peuvent être perçus par des chercheurs peu scrupuleux comme des preuves même si les études n'ont pas fait l'objet d'un examen par les pairs, ni été publiées dans une revue scientifique. 2. Contrairement aux autres sciences, la recherche clinique sera lue par des patients et familles, le public et les médias. Il existe une appétence pour interpréter les données ; la recherche clinique est plus facile à lire que d’autres disciplines scientifiques. 3. Les manuscrits sous forme de préprints ressemblent aux articles acceptés par les revues, et des confusions sont possibles. Ne serait-il pas possible de les discuter sur des blogs, des réseaux sociaux, plutôt que les publier dans ces archives ouvertes ? 4. Les serveurs de préprints peuvent conduire à 2 versions concurrentes, voire contradictoires, du "même" contenu disponible en ligne en même temps, ce qui peut causer de la confusion voire des dommages. Le COVID-19 a rapidement changé la vision des préprints en médecine. En trois mois (janvier à mars 2020), ce sont probablement plus de 3000 articles "Coronavirus") qui ont été publiés par des revues scientifiques. Le 10 avril 2020, une seule banque de données, PubMed, en liste 2636 pour 2020 (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/?term=coronavirus&filter=ds1.y_1). Combien de préprints ont été déposés par des chercheurs depuis l’arrivée du SARS-CoV-2 ? Probablement plus de 2000. Car les archives bioRxiv et medRxiv en listent 1 375 le 10 avril 2020 (https://connect.medrxiv.org/relate/content/181), et des préprints sont déposés sur d’autres archives, dont les 398 sur l’archive des physiciens ! Les bonnes pratiques des préprints seraient-elles méconnues ? Il existe des recommandations pour la communauté scientifique : • Lorsqu’un préprint est déposé par un auteur sur une archive, un contrôle avant mise en ligne doit être fait ; il s’agit de vérifier qu’il est formaté correctement, et qu’il n’a pas de propos infamants, sexistes, confessionnels, etc… • Les archives doivent avoir, comme medRxiv une note de ce type « Attention : Les préprints sont des rapports préliminaires de travaux qui n'ont pas été certifiés par un examen par les pairs. Ils ne doivent pas servir à orienter la pratique clinique ou les comportements liés à la santé et ne doivent pas être présentés dans les médias comme des informations établies ». • Le comité international des rédacteurs de revues médicales a ajouté en décembre 2018 un paragraphe dans ses recommandations : « Les auteurs qui choisissent de déposer leurs travaux sur une plateforme de préprints devraient en choisir une qui identifie clairement les préprints comme n'ayant pas fait l'objet d'un examen par les pairs et qui comprend une déclaration des conflits d'intérêts. C’est la responsabilité de l’auteur d’informer la revue si le travail a déjà été déposé sur une plateforme de préprints. De plus, c’est la responsabilité de l’auteur (et pas des rédacteurs des revues) de s’assurer que les préprints mentionnent les versions successives aux lecteurs, ainsi que la version finale publiée. » • Lorsqu’un préprint a été accepté sous forme d’article par une revue scientifique, un lien doit être ajouté sur l’archive ouverte ; quand un article est publié, il doit mentionner l’existence d’un préprint. Pour bioRxiv, il semble qu’au moins 30 % des préprints ne donnent jamais lieu à publication dans une revue scientifique. La sacro-sainte règle d’Ingelfinger, ancien rédacteur du NEJM, préconisant que des recherches ne devaient être prises en compte qu’après publication dans une revue scientifique, a été totalement démentie par les préprints ? Est-ce que l’apparition des préprints signe une mort annoncée des revues scientifiques ? Le COVID-19 a fait rapidement évoluer les publications en médecine, et c’est intéressant. Est-ce un progrès ? Les préprints utilisent des TGV alors que les trains de banlieue restent indispensables ! La communication échappe aux chercheurs… surtout quand la science est faite par des sondages d’opinions de La Provence ou du Parisien que des politiques en quête d’électeurs doivent prendre en compte…. *Médecin de santé publique et rédacteur de https://redactionmedicale.fr Le 10/04/2020

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