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Infertilité

Publié le 25 fév 2020Lecture 9 min

Bases moléculaires et physiopathologiques des tératozoospermies monomorphes

Pierre RAY, Zine‐Eddine KHERRAF, Christophe ARNOULT, Grenoble

Ces dernières années ont vu l’avènement de nouvelles technologies de séquençage haut débit qui sont en train de révolutionner la génétique médicale et tout particulièrement la génétique de l’infertilité masculine. Le nombre de nouvelles causes génétiques identifiées ne cesse d’augmenter. Parmi les phénotypes étudiés, les tératozoospermies monomorphes représentent un des meilleurs modèles d’étude en raison de leur forte composante génétique et d’une relative homogénéité génétique observée pour chaque phénotype. Une meilleure compréhension de la pathogénie moléculaire de l’infertilité masculine permet d’améliorer l’orientation du couple dans le parcours de soins et d’envisager le développement de nouvelles thérapies personnalisées.

L’infertilité masculine L’infertilité masculine est un trouble reproductif fréquent caractérisé par une pathogénie extrêmement hétérogène mais souvent due à une altération de la production des gamètes mâles au cours de la spermatogenèse. Ce processus, très complexe, évolue en trois étapes successives : la prolifération mitotique des cellules souches spermato géniques, ou spermatogonies, la division méiotique des spermatocytes et finalement la spermiogenèse, une phase de différenciation cellulaire au cours de laquelle les spermatides rondes se différencient en spermatides allongées puis en spermatozoïdes. Cette différenciation est marquée par trois modifications morphologiques majeures : la condensation du noyau, la biogenèse de l’acrosome et la formation du flagelle. Pour être considéré comme normal, le spermatozoïde doit avoir une tête ovale avec un acrosome normal localisé sur le pôle antérieur du noyau et un flagelle d’environ 50 µm de long pourvu d’une pièce intermédiaire de 4-5 µm de diamètre. Les tératozoospermies monomorphes Bien que la majorité des cas d’infertilité masculine soient liés à un trouble quantitatif de la spermatogenèse, de nombreux cas sont liés à une altération qualitative de ce processus qui aboutit à la production de spermatozoïdes non fonctionnels. Lorsque les anomalies spermatiques constatées sont morphologiques, on parle alors de tératozoospermie. Les tératozoospermies monomorphes sont définies par la présence dans l’éjaculat de spermatozoïdes atypiques concernés par les mêmes anomalies morphologiques(1,2). Trois formes de tératozoospermie monomorphe, représentant environ 1 % des infertilités masculines, sont présentées ici : la macrozoospermie, la globozoospermie et le phénotype MMAF (Multiple Morphological Anomalies of the sperm Flagellum). La macrozoospermie La macrozoospermie est un phénotype très rare d’infertilité masculine caractérisé par la présence dans l’éjaculat d’un pourcentage élevé de spermatozoïdes présentant une tête large atypique et plusieurs flagelles. Depuis sa description il y a 40 ans, plusieurs études ont rapporté un taux élevé d’aneuploïdie et de polyploïdie dans ces spermatozoïdes. Ces observations suggèrent que cette anomalie est liée à la non-disjonction des chromosomes au cours de la méiose. En 2007, Dieterich et coll. ont identifié la même délétion (c.144delC) dans le gène AURKC (AURora  Kinase  C) chez l’ensemble des patients inclus dans l’étude, soit 14 patients nord-africains(3). Le gène AURKC, code pour une protéine kinase sérinethréonine-dépendante qui fait partie du CPC (chromosomal passenger complex). Ce complexe agit comme un régulateur de la méiose en contrôlant essentiellement l’alignement et la ségrégation des chromosomes. En 2012, Ben Khelifa et coll. avaient génotypé 44 individus macrozoospermiques et identifié une nouvelle mutation homozygote délétère (c.744C>G, p.Y248X) sur le gène AURKC chez 11 individus d’origines européenne et nord-africaine. L’étude cytogénétique de ces spermatozoïdes a révélé l’existence d’une tétraploïdie homogène expliquant que les cellules germinales ne peuvent pas se diviser après la réplication de leur ADN. Malgré ce défaut méiotique, la spermiogenèse n’est pas abolie chez ces patients et aboutit à des spermatozoïdes macrocéphales multiflagellés (figure 1)(4). Figure 1. La macrozoospermie. A. Au cours de la méiose, les chromosomes homologues s’apparient et s’alignent au niveau de la plaque équatoriale grâce à l’équilibre des tensions subies par chacun des kinétochores (en jaune) d’un chromosome. À la fin de chaque division méioique (ici la méiose II n’est pas présentée), les cellules filles se séparent (cytokinèse). Le gamète mâle produit est haploïde. B. Chez les paients porteurs de mutaions homozygotes du gène AURKC, on observe un déséquilibre d’alignement et une non-disjoncion des chromosomes au cours de la méiose I. On observe aussi un échec de la cytokinèse ; les spermatozoïdes produits sont tétraploïdes et pourvus de plusieurs flagelles. La prise en charge de ces patients devrait commencer par la recherche de cette mutation dans le gène AURKC. La FIV-ICSI est alors formellement contre-indiquée chez les patients présentant des mutations homozygotes en raison de la présence constante de polyploïdie incompatible avec le développement embryonnaire. Concernant les patients qui ne présentent pas de mutation du gène AURKC, l’ICSI pourrait être envisagée après une analyse chromosomique par FISH (Fluorescence In Situ Hybridization) des spermatozoïdes afin d’évaluer le taux d’aneuploïdie. Un suivi rapproché de la grossesse devrait alors être instauré. Un diagnostic préimplantatoire pourrait également être envisagé dans certains cas présentant un taux d’aneuploïdie intermédiaire. La globozoospermie La globozoospermie est aussi un phénotype rare observé chez moins de 0,1 % des hommes infertiles. Elle est caractérisée par la présence dans l’éjaculat d’une majorité de spermatozoïdes présentant une tête globulaire dépourvue d’acrosome et une enveloppe nucléaire anormale. La présence de mariages consanguins dans les familles affectées par la globozoospermie suggère la contribution d’une composante génétique transmise sous un mode autosomique récessif. Deux gènes impliqués dans la biogenèse de l’acrosome et l’organisation de la tête du spermatozoïdes ont été identifiés dans la globozoospermie(7) . En 2007, Dam et coll. avaient identifié une mutation homozygote (c.848G>A, p.R283Q) dans le gène SPATA16 (spermatogenesis-associated protein 16) chez trois frères d’une famille consanguine ashkénaze(5). La protéine produite est exprimée pendant la spermiogenèse. Elle est localisée dans l’appareil de Golgi et les vésicules proacrosomales qui fusionnent sur le pôle antérieur du noyau pour former l’acrosome. En 2011, Harbuz et coll. avaient étudié une cohorte de 20 individus tunisiens globozoo-spermiques et identifié une délétion homozygote de 200 kb emportant le gène DPY19L2 (dpy-19 like 2) chez 15 individus(6). D’autres études ont par la suite confirmé la prévalence élevée des altérations du gène DPY19L2 dans la globozoo-spermie dans d’autres régions du monde(7-9). La protéine DPY19L2 est localisée dans la membrane interne du noyau à partir du stade de spermatide ronde, où elle est impliquée dans le positionnement de l’acroplaxome, une structure dérivée du cytosquelette et localisée au niveau du pôle antérieur du noyau spermatique qui va accueillir l’acrosome. L’absence de DPY19L2 fragilise cette structure d’attache et cause la perte de l’acrosome au cours de la spermiogenèse (figure 2). Figure 2. La globozoospermie. A. Représentaion schémaique de la morphologie d’un spermatozoïde globocéphale dépourvu d’acrosome (à droite) comparé à un spermatozoïde normal (à gauche). B. Biogenèse normale de l’acrosome au cours de la spermiogenèse : l’appareil de Golgi produit des vésicules proacrosomales qui fusionnent sur l’acroplaxome posiionné sur le pôle antérieur du noyau de la spermaide pour former l’acrosome. C. Le déficit en SPATA16 chez les paients globozoospermiques empêche la fusion des vésicules proacrosomales et l’acrosome ne se forme pas. D. En cas de déficit en DPY19L2, l’acroplaxome est fragilisé et l’acrosome en formaion se détache du pôle antérieur du noyau des spermaides. Finalement, l’acrosome est perdu avec l’excès cytoplasmique du spermatozoïde au cours de sa maturation. L’absence de l’acrosome rend les spermatozoïdes globocéphales incompatibles avec la fécondation in vitro (FIV) standard. Quant à la FIV-ICSI, l’échec de fécondation observé est attribué à un déficit en facteur d’activation ovocytaire. Il s’agit d’une phospholipase spécifique des cellules germinales testiculaires, la PLCζ qui est perdue avec l’acrosome au cours de la spermiogénèse. Cependant, l’absence de la PLCζ peut être remplacée par l’injection concomitante d’un ionophore calcique avec le spermatozoïde lors de l’ICSI. Cependant les taux de grossesses sont modérés en raison de la présence de défauts de condensation de la chromatine et d’une fragmentation de l’ADN spermatique. Par ailleurs, l’utilisation d’un ionophore calcique n’est actuellement pas permise en France. Les anomalies multiples du flagelle spermatique (phénotype MMAF) Le flagelle spermatique acquise au cours de la spermiogenèse joue un rôle essentiel dans la fécondation grâce à la mobilité qu’elle procure au spermatozoïde pour parvenir à sa cible, l’ovocyte, et traverser la zone pellucide qui l’entoure. Le flagelle spermatique est composé de trois pièces morphologiquement distinctes : la pièce intermédiaire, la pièce principale et la pièce terminale. Sa structure interne est marquée par la présence d’un axonème, une structure microtubulaire de type 9+2 qu’on retrouve aussi dans les cils mobiles et des structures paraxonémales propres au flagelle spermatique comme le manchon mitochondrial, la gaine fibreuse et les fibres denses. Le phénotype MMAF est caractérisé par une mosaïque d’anomalies morphologiques du flagelle spermatique incluant des flagelles absents, courts, enroulés ou de calibre irrégulier, et une architecture centrale profondément altérée concernant à la fois l’axonème et les structure para-axonémales (figure 3). Figure 3. Le phénotype MMAF. A. À gauche, un spermatozoïde normal et une coupe transversale au niveau de la pièce principale du flagelle. On note du centre vers la périphérie : un axonème avec un complexe central et 9 doublets périphériques de microtubules, sept fibres denses, une gaine fibreuse et une membrane cytoplasmique. B. À droite, un spermatozoïde typique d’un paient MMAF avec un flagelle de morphologie anormale et une structure interne profondément désorganisée. En 2014, Ben Khelifa et coll. avaient montré que le gène DNAH1 (dynein axonemal heavy chain 1) est muté chez approximativement un tiers des patients analysés porteurs de ce syndrome. Lorsque la protéine DNAH1 est absente, l’architecture axonémale est désorganisée, avec souvent une perte de la paire centrale de microtubules(10). Plusieurs études ont montré une élévation du taux d’aneuploïdie et une altération de la qualité nucléaire spermatique chez les patients MMAF. Cependant, chez les patients mutés pour DNAH1, ces anomalies sont rares et la FIV-ICSI a un bon pronostic(11). D’autres gènes ont été récemment identifiés dans le phénotype MMAF comme CFAP43 et CFAP44(12). Ces résultats soulignent l’hétérogénéité génétique de ce phénotype et suggèrent l’implication d’autres causes génétiques jusqu’à présent inconnues. On peut penser alors que de nouveaux gènes associés à ce phénotype seront identifiés dans les années à venir par l’étude de plus larges cohortes de patients par séquençage haut débit. Conclusion Plus d’un millier de gènes sont exprimés pendant la spermatogenèse, dont environ 500 sont spécifiques de ce processus. Il est donc attendu que l’altération de l’un de ces gènes soit responsable d’anomalies spermatiques et conduise à une infertilité masculine. Le développement du séquençage de nouvelle génération et la diffusion de son utilisation en clinique permettront l’identification de nouveaux gènes dans l’infertilité masculine et on peut s’attendre en particulier à ce que ces analyses permettent également des avancées majeures pour diagnostiquer les azoospermies (absence de spermatozoïdes dans l’éjaculat). Bien que les tératozoospermies monomorphes soient rares, la macrozoospermie, la globozoospermie et le phénotype MMAF ouvrent une nouvelle voie pour explorer la spermatogenèse. L’identification des causes génétiques permet d’affiner le diagnostic de l’infertilité masculine et de comprendre la pathogénie moléculaire sous-jacente pour, in fine, développer de nouvelles thérapies ciblées, éviter des explorations invasives et raccourcir le parcours de soins des couples infertiles.

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