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Nutrition

Publié le 10 oct 2017Lecture 7 min

Nutrition et origines développementales des maladies

Anne TARRADE, Delphine ROUSSEAU-RALLIARD, Pascale CHAVATTE-PALMER, UMR BDR, INRA, ENVA, Université Paris Saclay, Jouy-en-Josas

L’hypothèse d’une origine fœtale des maladies de l’adulte a été émise par D. Barker, puis ce concept a évolué vers les origines développementales de la santé et des maladies ou DOHaD. Grâce aux données expérimentales et cliniques, il a été établi que les périodes pré-, périconceptionnelles, gestationnelles et d’allaitement étaient des fenêtres d’exposition vulnérables à l’environnement maternel et que des modifications nutritionnelles au cours de ces périodes impactaient le phénotype de la descendance. Par ailleurs, ce phénotype est aussi influencé par la nutrition et le statut métabolique du père. Il résulterait de multiples mécanismes biologiques parmi lesquels des modifications épigénétiques. Il semble donc indispensable de sensibiliser précocement les individus en âge de procréer à des mesures hygiéno-diététiques afin d’optimiser la santé de leur descendance et de limiter la prévalence des maladies non communicables.

Dans les années 1990, des études épidémiologiques ont mis en évidence un risque accru de maladies métaboliques chez les individus nés avec un petit poids de naissance. Ces résultats ont permis d’établir le concept selon lequel la nutrition maternelle au cours de la grossesse jouerait un rôle crucial dans le risque, pour la descendance, de développer des maladies métaboliques (concept de Barker). Ce concept a été illustré par l’étude de la famine hollandaise où la ville d’Amsterdam a subi un blocus au cours de l’hiver 1944-1945. Selon le trimestre de grossesse exposé à la restriction alimentaire, une incidence plus élevée d’hypertension ou d’intolérance au glucose et de surpoids a été observée chez la descendance à l’âge adulte. Connu sous le nom de DOHaD chez l’Homme (Developmental Origins­ of­ Health­and­ Disease), ce concept admet qu’il existe une mémoire des impacts précoces de l’environnement maternel avec des effets à long terme sur le phénotype de l’individu. Plus récemment, l’hypothèse d’une « réponse adaptative prédictive » a été émise. Elle stipule que le fœtus anticiperait son environnement énergétique futur, in utero, et ajusterait son métabolisme en prévision d’un environnement post-natal de même nature que l’environnement anténatal, on parle alors de « phénotype économe ». Rôle du père Récemment, des études épidémiologiques ont permis d’établir un impact de la nutrition paternelle dans la programmation fœtale. Ainsi, les cohortes humaines suédoises ont démontré que la surnutrition des grands-pères paternels, pendant la période prépubertaire, augmente significativement le risque de développer un diabète de type 2 chez les petits-enfants. En revanche, une restriction alimentaire chez les pères, au cours de cette même période, protège leur descendance contre les maladies cardiovasculaires. L’utilisation de modèles animaux a confirmé ces observations. En effet, l’administration d’un régime hypoprotéiné à des souris mâles, depuis le sevrage jusqu’à la mise à la reproduction, modifie l’expression de gènes hépatiques chez sa progéniture. De même, l’exposition chronique de rats mâles à un régime obésogène induit un dysfonctionnement des cellules pancréatiques chez la descendance femelle. Périodes pré- et périconceptionnelles Au cours de la période préconceptionnelle, les femmes en léger surpoids à 20 ans et qui ont perdu du poids par la suite, seraient plus à risque d’avoir un enfant en RCIU, soulignant l’importance de la trajectoire pondérale maternelle. Dans le cas de la supplémentation en acide folique recommandée au cours de la période périconceptionelle pour prévenir les anomalies de développement du tube neural, il a été rapporté une modificaion de la méthylation du gène IGF2chez l’enfant. Ces données ont été confirmées grâce à des modèles animaux démontrant l’importance de la nutrition maternelle au cours de ces deux périodes sur la descendance. Concernant les pratiques de procréation médicale assistée (PMA), peu d’effets à long terme ont été observés, hormis une augmentation discutée des syndromes de Beckwith-Wiedemann et d’Angelman liés à une perturbation de gènes soumis à l’empreinte parentale. Quant aux adolescents issus d’ICSI (Intra­Cytoplasmic­Sperm­Injecion), cette technique induirait une augmentation de leur indice de masse corporelle. Période gestationnelle De nombreuses données cliniques et expérimentales montrent que des perturbations au cours de la vie in­utero agissent sur le développement et la croissance de l’unité fœto-placentaire, impactant le poids de naissance de la descendance et conditionnant le risque de pathologies chroniques à l’âge adulte. Ainsi, les femmes en surpoids ou obèses au cours des périodes préconcepionnelles et gestationnelles sont plus à risque d’avoir un enfant macrosomique à la naissance. D’après l’étude d’une cohorte finlandaise, un lien entre l’indice de masse corporelle élevé des mères et le risque de surpoids des adolescents a pu être établi. Il existe également un lien entre le faible poids de naissance et une réponse anormale au test de tolérance au glucose ou l’augmentation de la pression sanguine systolique chez des hommes et des femmes âgés d’environ 50 ans. Le rapport du poids du nouveau-né sur le poids placentaire correspond à l’efficacité placentaire (nombre de grammes de fœtus produit par gramme de placenta), et l’augmentation ou la diminution de ce facteur est à relier à un risque de diabète, de maladies cardiovasculaires et d’asthme à l’âge adulte. L’utilisation de modèles animaux a aidé au décryptage de l’impact de la nutrition maternelle au cours de la gestation sur le phénotype de la descendance en faisant varier les apports nutritionnels ainsi que les fenêtres d’exposition. Chez des rattes gestantes, une restriction alimentaire protéique isocalorique diminue la masse de cellules bêta pancréatiques chez la descendance. Le maintien de cette sous-nutrition chez la descendance jusqu’à l’âge adulte conduit à une intolérance au glucose. L’administration d’un régime hypergras, dans un modèle lapin, depuis la période prépubertaire et pendant toute la gestation, induit une hypotrophie fœtale associée à un surpoids et une hypertension à l’âge adulte. Dans un modèle murin, l’administration d’un régime obésogène, 6 semaines avant la mise à la reproduction et pendant toute la gestation et la lactation, induit chez la descendance une hypertrophie cardiaque. Ces exemples soulignent la vulnérabilité de la période gestationnelle. Période postnatale précoce La période postnatale précoce peut aussi être associée à des risques de pathologies à long terme. En effet, un faible poids à l’âge de 1 an conduit à des risques de décès par maladies cardiovasculaires. Par ailleurs, une prise de poids rapide dans les premiers mois de vie est également un facteur de risque d’obésité à l’âge adulte. De nombreuses études ont porté sur l’impact de l’allaitement maternel ou artificiel et le risque d’obésité à long terme. Les effets à long terme de la promotion de l’allaitement maternel sur le risque de surpoids à 11 ans n’ont pas été montrés. Concernant les préparations infantiles, il a été montré qu’une teneur réduite en protéines a un effet protecteur sur le risque de surpoids à 6 ans. Nutrition et mécanismes épigénétiques Le terme « épigénétique » regroupe les modifications de la structure de la chromatine stables ou réversibles, sans altération de la séquence d’ADN, qui conduisent au contrôle de la transcription des gènes dans un issu donné et selon une fenêtre temporelle définie. Les mécanismes incluent la méthylation de l’ADN, les modifications post-traductionnelles des histones et les ARN non codants. Cette machinerie épigénétique est très sensible aux perturbations environnementales, en particulier au cours du développement fœtal, de la période néonatale et de la puberté où des marques épigénétiques peuvent s’apposer de manière irréversible, modulant ainsi l’expression des gènes et le phénotype d’un individu. De nombreuses études rapportent l’association entre l’environnement nutritionnel précoce d’un individu, son épigénome et son phénotype. Un exemple très connu concerne la couleur du pelage des souris mutantes Agoui viables yellow. Dans ce modèle, la supplémentation maternelle en acide folique, donneur de méthyl, au cours de la gestation induit la méthylation d’une séquence transposable localisée en amont du site d’initiation de la transcription du gène qui code pour la couleur du pelage. Il en résulte alors une modification de la couleur du pelage variant de jaune à brun, en fonction de degré de méthylation de cette région. Conclusion L’ensemble de ces données montre qu’il existe plusieurs fenêtres de vulnérabilité, sensibles à la nutrition maternelle et qui impactent le phénotype de la descendance. De plus, la descendance est aussi sensible à la nutrition paternelle. Dans la prochaine décennie, on estime à 17 % l’augmentation des maladies chroniques. Afin de limiter la propagation de ces maladies aux générations futures, l’OMS a lancé l’initiative des 1 000 jours (htp://www.thousanddays.org). Cette période s’étend de la conception pour s’achever à la fin de la 2e année de l’enfant, et il est suggéré de l’étendre à la période préconceptionnelle. Au cours de cette période, l’environnement, qu’il soit nutritionnel, écologique, psycho-affecif ou socio-économique, imprime sur nos gènes des marques épigénétiques durables qui vont conditionner la santé et le risque de maladie d’un individu. Par conséquent, la mise en place de changements nutritionnels pendant cette fenêtre temporelle permettrait d’optimiser le capital santé de la descendance.

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