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Médecine fœtale

Publié le 01 avr 2008Lecture 12 min

Un enjeu essentiel pour la médecine régénératrice : des cellules souches embryonnaires humaines

S. Tondeur*, S. Assou**, S. Hamamah***, J. de Vos* * Hôpital Saint-Éloi, INSERM, U847, Université Montpellier 1 ** MacoPharma, Tourcoing *** Hôpital Arnaud de Villeneuve, Montpellier
Les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) sont issues de l’embryon au stade blastocyste. Les CSEh sont capables de se différencier dans tous les tissus au cours du développement embryonnaire, et dans de très nombreux tissus différenciés in vitro. Du fait de ces propriétés, les CSEh sont un modèle d’étude privilégié pour le développement d’une médecine régénératrice et pourraient constituer, si l’on arrive à lever un certain nombre de verrous, une source cellulaire très intéressante pour traiter un grand nombre de pathologies aujourd’hui incurables.
La médecine régénératrice Malgré les progrès scientifiques et médicaux majeurs des 50 dernières années, de nombreuses pathologies restent des impasses thérapeutiques. C’est le cas tout particulièrement des situations cliniques où les cellules qui assurent la fonction de l’organe sont profondément altérées ou ont complètement disparu : l’infarctus du myocarde, la maladie de Parkinson, le diabète insulino-dépendant, l’arthrose, etc. La médecine régénératrice, qui consiste à utiliser des cellules saines comme médicament pour régénérer un organe, va constituer pour ces pathologies-là un progrès considérable.   La médecine régénératrice et la thérapie cellulaire La médecine régénératrice consiste à remplacer les cellules défaillantes ou disparues d’un organe, par des cellules jeunes et fonctionnelles pour restituer la fonction de l’organe atteint. La thérapie cellulaire est la production et la qualification de cellules à usage thérapeutique. Les cellules à usage thérapeutique sont aussi appelées « cellules médicament » et peuvent être des cellules souches, comme, par exemple, les cellules souches hémato-poïétiques pour une médecine régénératrice de la moelle osseuse lors du traitement de la leucémie aiguë, ou des lymphocytes T dans le cadre d’une immunothérapie.   C’est un enjeu médical très important, car pour de nombreuses situations cliniques dont l’incidence est grande dans la population générale (cf. supra), les médicaments ou la chirurgie ne peuvent avoir, au mieux, qu’une action symptomatique. L’injection dans l’organe lésé de cellules fonctionnelles permettra d’envisager une action curative. De nombreux modèles animaux ont fait la démonstration de la faisabilité de cette approche, par exemple pour traiter le diabète insulino-dépendant ou l’infarctus du myocarde chez la souris, ou la myopathie de Duchêne chez le chien. Cependant, le passage à des applications chez l’homme nécessite d’identifier avec une grande rigueur les cellules qui seront utilisées. Les cellules souches apparaissent comme le type cellulaire idéal pour la thérapie cellulaire. Ce sont des cellules indifférenciées capables à la fois d’autorenouvellement et de différenciation vers un ou plusieurs types cellulaires matures. Elles sont responsables du maintien tout au long de la vie d’un renouvellement cellulaire, en particulier dans des organes tels que le système hématopoïétique, l’épithélium cutané ou l’épithélium digestif. Il existe différentes catégories de cellules souches : – des cellules souches capables de se différencier en de multiples populations cellulaires différenciées : les cellules souches multipotentes ; – des cellules souches capables de se différencier en toutes les populations cellulaires, y compris les cellules germinales : les cellules souches pluripotentes. Le potentiel de différenciation des cellules souches multipotentes peut être restreint (cellules souches tissu spécifiques) et être uniquement capables de restaurer la fonction de l’organe dont elles sont issues. C’est l’exemple des cellules souches hématopoïétiques, que l’on sait très bien manipuler in vitro y compris chez l’homme et qui sont à la base des traitements par greffe de moelle osseuse dans le traitement de la leucémie aiguë ou du myélome multiple. Le potentiel de différenciation des cellules souches multipotentes peut être plus large avec la capacité théorique de réparer plusieurs tissus tels que les cellules souches mésenchymateuses qui peuvent donner en culture des cellules du cartilage, de l’os, de la graisse ou encore du muscle. Compte tenu de leur potentiel très large de différenciation, les cellules souches pluripotentes apparaissent très séduisantes pour la médecine régénératrice car une seule source cellulaire permettrait d’obtenir des cellules pour réparer n’importe quel organe en théorie. Des cellules souches pluripotentes ont été isolées à partir d’embryon précoce (cellules souches embryonnaires humaines ou CESh) et à partir de tissus adultes.   Les cellules souches embryonnaires humaines Les cellules souches embryonnaires (CSE) sont des cellules isolées in vitro à partir de la masse cellulaire interne du blastocyste au 4e (souris) ou 6e jour (homme) de l’embryogenèse (figure 1).   Figure 1. Cellules souches embryonnaires humaines et médecine régénératrice. Les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) sont issues de la masse cellulaire interne de l’embryon humain à J5-6 (stade blastocyste). Il est possible de maintenir les CSEh en culture de manière illimitée. À tout moment, l’on peut amener des CSEh à se différencier dans un type cellulaire d’intérêt thérapeutique par changement des conditions de culture.  À ce jour, les CSEh n’ont pas encore été utilisées en thérapeutique humaine. Ces cellules sont particulièrement intéressantes car elles ont la propriété in vivo, au cours de l’embryogenèse normale, et dans une large mesure in vitro, de donner naissance aux trois feuillets primordiaux (endoderme, mésoderme et ectoderme), puis à tous les tissus d’un organisme adulte. Depuis 1981 chez la souris, grâce aux travaux de Evans et Kaufman, et depuis 1998 chez l’homme, grâce aux travaux de James Thomson et Joseph Itskovitz (Thomson et coll. 1998), il est possible d’isoler et de cultiver ces cellules souches embryonnaires in vitro et de les faire proliférer indéfiniment tout en maintenant leur capacité de pluripotence. En modifiant les conditions de culture, on peut à tout moment faire différencier les CSEh in vitro vers un type cellulaire mature. Récemment, il a été montré que les CSEh peuvent se différencier en neurones dopaminergiques, en cellules hématopoïétiques tels que des lymphocytes T, en cardiomyocytes, etc. Il est donc possible d’imaginer, à partir d’une seule source cellulaire, des CSEh, de produire des précurseurs de cardiomyocytes pour réparer un infarctus du myocarde, des hépatocytes pour la prise en charge d’une insuffisance hépatique, des neurones dopaminergiques pour réparer les noyaux gris centraux atteints dans la maladie de Parkinson ou des chondrocytes pour envisager de soigner l’arthrose (figure 1). Les CSEh sont des cellules adhérentes et poussent en petites colonies rondes (figure 2).   Figure 2. Les cellules souches embryonnaires humaines en culture in vitro. Les CSEh forment des colonies rondes en culture. De gauche à droite figure 2a à figure 2c A : Ces cellules peuvent être mises en évidence par révélation de l’activité phosphatase alcaline (coloration rose) qui est très importante dans les CSEh. B. Le centre des colonies peut être l’objet d’une différenciation spontanée, s’accompagnant d’une perte de l’activité phosphatase alcaline (flèche). C : fibroblastes humains irradiés. Les protocoles de culture de référence font appel à une co-culture avec des fibroblastes qui sont irradiés afin de prévenir leur prolifération. Les conditions de culture de référence font appel à une co-culture avec des fibroblastes (murins ou humains) irradiés. Ces derniers fournissent en effet des signaux de communication qui maintiennent les CSEh à l'état indifférencié. Il est également indispensable d’apporter aux CSEh du sérum de veau ou du substitut de sérum, et un facteur de croissance essentiel, le Fibroblast Growth Factor 2 (FGF basique). Il est intéressant de noter que les conditions de culture des CSE humaines et de souris différent notablement, en particulier sur leur exigence en cytokines. Le leukemia inhibitory factor (LIF) est indispensable pour la culture des CSE murines, mais ne l’est pas pour les CSE humaines, et c’est le contraire pour le FGF2.   Un modèle incontournable Les CSEh représentent aujourd’hui un modèle essentiel et incontournable de cellules souches humaines pluripotentes (Hatzfeld et coll. 2006). C’est un modèle essentiel car il s'agit du seul modèle de pluripotence à avoir été unanimement reconnu comme étant reproductible par la communauté scientifique. Les modèles non embryonnaires de cellules souches pluripotentes, isolés à partir de tissus adultes et capables de générer des types cellulaires originaires des trois feuillets embryonnaires, publiés jusqu’à présent (Reyes et coll. 2001) sont d’une reproductibi-lité difficile et leur existence reste discutée par certains auteurs (Wagers et Weissman 2004). Les CSEh sont également des cellules capables de proliférer vigoureusement in vitro pendant un temps prolongé, ce qui est une propriété essentielle pour obtenir la quantité de cellules nécessaires pour le traitement d’organes humains. Pluripotence et prolifération sont deux propriétés précieuses pour la production de cellules pour une médecine régénératrice. Les CSEh pourront dans l’avenir être proposées pour des applications thérapeutiques. Elles permettront également de comprendre les déterminants moléculaires qui expliquent leur pluripotence et leur prolifération prolongée. Ces connaissances pourront immédiatement être appliquées aux modèles de cellules souches adultes et afin de mieux maîtriser leur identification, leur maintenance et leur différenciation. À moyen terme, et sous réserve d’une modification de la loi, les CSEh pourraient être utilisées en thérapeutique pour traiter des pathologies aujourd’hui incu-rables. Jeffrey Drazen, du N Engl J Med, estime qu’une application de thérapie cellulaire à partir des CSEh mettrait 5 ans pour passer du laboratoire à une utilisation clinique validée par des essais cliniques (Drazen 2004).   Limites et perspectives Les CSEh sont des cellules éphémères in vivo, présentes dans la masse cellulaire interne de l’embryon de la première semaine, mais que l’on a pu, par des artéfacts de culture, maintenir in vitro pour une période illimitée. Puisque ces cellules sont in vivo à l’origine de tous les organes de l’être adulte, il est licite de penser que l’on pourra se servir des CSEh pour guérir un grand nombre de pathologies humaines pour lesquelles il faut régénérer le potentiel cellulaire. Les modèles animaux prouvent que cette approche est tout à fait valide. Il faut cependant indiquer les limites des CSEh. Ces cellules exigent, pour être créées, de détruire des embryons humains. Cela pose des problèmes éthiques et la recherche sur les CSEh était interdite en France jusqu’à la révision de la loi de bioéthique d’août 2004. Aujourd’hui, cette recherche est autorisée, dans le cadre d’une surveillance stricte par l’Agence de la Biomédecine. De plus, cette recherche n’est autorisée que si les CSEh sont issues d’embryons qui ont été obtenus dans le cadre d’une aide médicale à la procréation – il est donc interdit aujourd’hui en France de créer un embryon à des fins de recherche –, si ces embryons n’ont plus de projet parental et si les parents ont donné leur accord écrit. Une autre limite des CSEh est leur incompatibilité immunologique avec les patients. Le clonage thérapeutique, qui vise à obtenir une lignée de CSEh en reprogrammant une cellule d’un patient en cellule embryonnaire, pourrait être un moyen de résoudre l’incompatibilité HLA. Cette approche pose des problèmes éthiques spécifiques et reste de toute façon une prouesse technique qui n’a jamais été accomplie chez l’homme. Une troisième limite à l’utilisation des CSEh en thérapeutique humaine est la forte capacité de prolifération des CSEh, ce qui peut se traduire dans les modèles de rongeurs par une prolifération incontrôlée au point d’injection avec formation de tératomes. Il faut également noter que selon le protocole de culture, les CSEh peuvent acquérir in vitro des anomalies chromosomiques au cours de la culture. La solution à ces problèmes passera par l’injection de populations de cellules différenciées et non proliférantes issues de CSEh jeunes et cultivées dans de bonnes conditions. Il apparaît clairement aujourd’hui que la médecine régénératrice utilisera des cellules souches pluripotentes, en particulier dans des situations pathologiques où l’organe malade ne comporte plus aucun contingent de cellules souches tissu/spécifiques. Les CSEh sont une catégorie de cellules souches pluripotentes unanimement reconnue par la communauté scientifique, mais qui pose un certain nombre d’obstacles avant son utilisation en clinique. Les sources alternatives de cellules souches pluripotentes pourraient être, mais cela reste à démontrer formellement, des cellules similaires aux CSEh qui persisteraient chez l’adulte tels que les Multipotent Adult Progenitor Cells (MAPC) décrites par Catherine Verfaillie, ou bien la reprogrammation de cellules adultes en cellules embryonnaires. Cette dernière approche pourrait prendre la forme du clonage thérapeutique, ou bien de l’utilisation de petites molécules capables de dédifférencier complètement un noyau adulte. La médecine régénératrice est une discipline aujourd’hui naissante et ses applications thérapeutiques restent essentiellement cantonnées à l’hématologie à ce jour. Dans l’avenir, elle s’étendra à toutes les disciplines médicales. Cependant, l’expansion du champ de la médecine régénératrice dépendra de l’identification, pour chaque organe à traiter, d’une population de cellules souches capables de régénérer l’organe défaillant. Les CSEh font partie des bons candidats pour assumer ce rôle et sont également un modèle d’étude incomparable pour comprendre les propriétés fondamentales des cellules souches.                        

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