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Chirurgie

Publié le 02 jan 2011Lecture 12 min

Les réparations d’excision : attentes des patientes, technique et résultats

P. FOLDES, CHG Poissy/Saint Germain en Laye, Clinique Saint-Germain
Dans le monde, 100 à 140 millions de filles et de femmes ont subi une mutilation sexuelle (1). Ces mutilations entraînent de nombreux problèmes de santé, variables selon le type et la gravité de la lésion. Près de 5 % des victimes vivent dans des pays du Nord, soit plus de 6,5 millions de filles et de femmes. Elles résident principalement dans les pays européens d’immigration africaine, ainsi qu’en Amérique du Nord (2,3). Environ 3 000 réparations ont été réalisées à ce jour par notre équipe et il nous paraît important d’analyser les attentes des patientes, ainsi que les résultats obtenus, tant anatomiques que fonctionnels..
Précédemment, B. Cuzin (St Germain-en-Laye) a abordé l’impact des réparations d’excision sur la sexualité. L’excision rituelle consiste en l’ablation volontaire d’une partie plus ou moins importante de la partie externe du gland clitoridien, elle relève d’une section de niveau variable, emportant une fois sur trois la partie supérieure adjacente des nymphes. Le phénomène est présent essentiellement en Afrique sub-saharienne et dans quelques régions du Proche-Orient, de l’Amérique centrale et de l’Asie du Sud-est (Yémen, Indonésie et Malaisie). Selon la classification de l’OMS, il existe trois grands types principaux de mutilations (4) : – la circoncision féminine ou « Sunna », emportant le capuchon clitoridien et l’extrémité du gland ; – l’excision proprement dite, ou clitoridectomie, qui sacrifie une partie plus complète du gland et tout ou partie des petites lèvres, – l’infibulation ou grande circoncision pharaonique, qui ferme presque totalement le vestibule par scarification et suture des grandes lèvres, voire suture de la face interne des cuisses. Cette mutilation provoque une cicatrice prépubienne permanente douloureuse, responsable de dyspareunies, mais aussi de dystocies et de complications obstétricales graves (5,6). Nous avons mis au point une technique de réparation chirurgicale du clitoris, réparation pour laquelle nous rencontrons une demande croissante (7,8). Cette technique, expérimentée en Afrique lors de missions chirurgicales, a bénéficié de l’expérience des techniques plastiques de reconstruction pénienne et de l’apport de recherches anatomiques sur l’innervation de l’organe. Elle vise à reconstituer un clitoris d’aspect et de situation normaux, en retrouvant puis respectant son innervation.   Demande Un total de 2 939 patientes, opérées entre mai 2000 et janvier 2010, ont été incluses dans une étude prospective. Elles avaient toutes eu des mutilations de type II (excision du capuchon et du gland avec une partie plus ou moins grande des petites lèvres) ou III (infibulation : excision d’une partie plus ou moins grande des organes génitaux externes avec suture plus ou moins étendue des deux côtés entre eux) de la classification de l’OMS(4). L’âge moyen des patientes était de 29,17 ± 7,7 ans ; l’âge de l’excision était de 6,19 ± 3,52 ans. Les origines géographiques principales des patiente étaient : le Mali (37,5 %), le Sénégal (24,7 %), la Guinée (7,8 %), le Burkina Faso (7,8 %), la Côte d’Ivoire (7,5 %), la Mauritanie (4,5 %) ; 539 patientes (18,3 %) ont été excisées en France. Les demandes d’une chirurgie réparatrice d’une mutilation sexuelle répondent à trois revendications principales, souvent combinées : – une revendication identitaire, visant à la restitution d’une intégrité anatomique. Ce motif est en fait presque toujours avancé ; – une revendication sexologique ; – une demande purement clinique, en raison de la douleur séquellaire. La demande a été : – identitaire et d’amélioration de la sexualité chez 1 552 patientes (53 %) ; – identitaire, d’amélioration de la sexualité et prise en charge de la douleur chez 825 patientes (28,3 %). – identitaire seule chez 539 patientes (17,6 %). Les autres demandes ont été moins fréquentes : douleur isolée, sexualité isolée, douleur/ identitaire chez 23 patientes (1,1 %). Les demandes identitaires seules ont tendance à augmenter avec le temps. Depuis 2005, le nombre de réparation est constant, d’environ 500 par an, alors que les 500 premières patientes ont été opérées en 5 ans.   Technique La région excisée se présente parfois comme une paroi lisse dépourvue de saillie, mais plus souvent porteuse d’une cicatrice irrégulière, voire chéloïde, stigmates d’un geste réalisé sans asepsie ni hémostase. Cet aspect peut être aggravé par une infibulation (suture des nymphes), fréquente dans l’est de l’Afrique. Les différents temps opératoires suivants sont nécessaires. ● Incision prépubienne La nécessité d’aborder les corps clitoridiens et d’en respecter l’innervation conduit à une incision plus large, longeant le bord de l’ogive pubienne, de manière à dégager le triangle vulvaire antérieur, à distance de la région cicatricielle. On dégage ainsi le bord supérieur du genou clitoridien, en restant près du périoste. Le ligament suspenseur est ainsi isolé. ● Section du ligament suspenseur C’est le premier temps fondamental de l’allongement. Le pédicule vasculo-nerveux est solidaire de l’albuginée de la partie dorsale de l’organe, et chemine loin de l’implantation médiane du ligament. La section se fait donc au ras de l’os, aussi loin que nécessaire. Ce faisant, un abaissement et une antéversion de genou s’effectuent. ● Libération du genou clitoridien Elle se pratique également très près du périoste, et suit une bifurcation divergente qui conduit aux corps clitoridiens, lesquels descendent le long des branches ischio-pubiennes. Ce triangle de dissection os/ligament/ genou est avasculaire et loin des branches nerveuses. Ce geste permet de compléter la libération de l’organe et de gagner une longueur suffisante à sa reconstitution. ● Libération du corps clitoridien Une résection importante ou une perte de substance plus grande peut rendre nécessaire une libération plus complète encore. On l’obtient par une poursuite de la dissection le long de la branche ischio-pubienne en dégageant progressivement le corps, qui mesure huit bons centimètres. ● Résection cicatricielle Deuxième point clé de la technique, ce temps va supprimer les tissus cicatriciels et retrouver en arrière une recoupe saine de corps caverneux normalement innervés et vascularisés, de façon à reconstituer un néogland fonctionnel. La recoupe se fait en zone saine et laisse apparaître les corps caverneux adossés au raphé médian. Le tissu alvéolaire saigne normalement. ● Reconstitution du gland On peut commencer par reprendre finement la section initiale, de manière à obtenir deux joues externes d’albuginée souple et une section centrale cunéiforme. Les tranches de section obtenues sont des recoupes directement innervées et vascularisées par le pédicule dorsal intact. On reconstitue un néogland à points séparés de fils à résorption rapide quatre ou cinq zéros, en adossant de façon étanche les deux albuginées. ● Réimplantation Il reste à repositionner le gland reconstitué dans sa situation normale, un peu en dessous de l’horizontale, passant par le bord inférieur de la symphyse pubienne et marquant une saillie nette d’au moins 5 mm en avant du plan vulvaire. L’importance de la libération permet d’arriver à ce résultat sans tension, même en cas de recoupe sévère. ● La couverture Elle dépend de l’état initial. Parfois, une loge faite de peau fine peut être respectée, non sans avoir pris soin d’en vérifier la sensibilité en préopératoire. Le plus souvent, on réimplante l’extérieur de l’albuginée sans couverture supplémentaire. ● Fermeture cutanée Comme dans le cas des plasties de verge, il est utile de rapprocher les pannicules adipeux sous-cutanés latéraux et de les interposer, pour éviter une adhérence dermique. L’abaissement de la région peut être accompagnée d’une plastie YV. Elle est réalisée à points séparés à résorption lente sans drainage. ● Cicatrisation et suites La cicatrisation est rapide, avec sortie le premier jour. Un oedème du triangle vulvaire antérieur est de règle. Il s’atténue en une semaine. La réacquisition sensorielle apparaît entre la 4e et la 8e semaine.   Résultats anatomiques et fonctionnels Lors de la consultation préopératoire, l’intervention a été expliquée avec des photographies du résultat final. La gêne fonctionnelle préopératoire a été évaluée selon deux axes : la douleur dans la région clitoridienne et le retentissement de la mutilation sur le plaisir pendant l’acte sexuel.   Les douleurs sont de deux types : – douleurs observées lors de toute mobilisation (à la marche par exemple), liées à la fixité du moignon clitoridien, – douleurs pendant les rapports. Celles-ci sont liées, d’une part, au contact sur la zone cicatricielle et, d’autre part, à la mise sous tension de la région lors de certaines positions (comme la position du missionnaire avec cuisses en hyperflexion). Nous avons pour chacun des items (douleur et retentissement de la mutilation sur le plaisir) distingué cinq catégories : – pas de douleur, – gêne légère pendant les relations sexuelles, présente chez 214 patientes (7,9 %), – douleurs modérées pendant les relations sexuelles, présentes chez 390 patientes (14,4 %), – douleurs fortes à intolérables pendant les relations sexuelles, présentes chez 197 patientes (7,3 %), – douleurs en dehors des relations sexuelles, présentes chez 96 patientes (3,5 %).   Retentissement sur le plaisir Nous avons distingué : – les patientes qui avaient des sensations clitoridiennes discrètes, – celles qui ressentaient des sensations plaisantes sans orgasme, – celles qui, bien qu’obtenant un orgasme, le pensaient inférieur à ce qu’il aurait pu être, – celles qui pensaient avoir un orgasme clitoridien normal. Les patientes se répartissaient en cinq catégories : – 49,26 % (1 313) jamais de plaisir clitoridien, – 8,7 % (233) sensation discrète, – 20,9 % (557) sensation plaisante sans orgasme, – 11,2 % (300) orgasme restreint, – 9,8 % (262) orgasme sans restriction.   Première évaluation Le suivi et l’évaluation se font : – sur le plan cosmétique (aspect, cicatrisation), – sur le plan sensoriel (disparition de la douleur, sensibilité), – sur le plan sexuel (apparition d’un potentiel de stimulation orgasmique), – sur le plan psychologique. Les patientes sont revues à 10 jours, 1 mois et 6 mois au minimum. À ce stade de l’évaluation, les premiers résultats montrent une suppression constante et totale des phénomènes douloureux, et notamment des gênes préexistantes vers la fin du 1er mois, ainsi qu’un résultat cosmétique satisfaisant pour les patientes et leurs partenaires au-delà de la 6e semaine. Le taux de réintervention a été de 3,7 %. Les complications précoces (10 premiers jours) sont principalement les lâchages de suture (4 %) qui ne requièrent que des soins locaux lorsque seule la peau est concernée. Les hématomes (7 %) se résorbent spontanément le plus souvent, et nécessitent une évacuation chirurgicale dans moins de la moitié des cas. Certaines patientes signalent des pertes sales (10 %) qui nécessitent des soins locaux. Nous n’avons relevé aucune complication tardive, hormis des cas de cicatrices sensibles à 4 mois (1,1 %). Ce symptôme disparaît dans tous les cas à 1 an.   Évaluation à 1 an À 1 an, 872 patientes ont été évaluables.   Sur le plan anatomique, elles ont un gland exposé ou une saillie visible dans plus de 80 % des cas : – pas ou peu de changement : 0,30 % (3), – palpable mais non visible : 5,90 % (52), – saillie clitoridienne visible : 24 % (210), – gland exposé sans capuchon : 30,16 % (363), – proche de la normale : 28 % (244).   Sur le plan fonctionnel, la même cohorte de femmes est évaluable avec une réelle amélioration de la sexualité portant majoritairement sur l’orgasme dans plus de 80 % des cas : – douleur pas de plaisir : 0,10 % (1), – gêne légère : 1,90 % (17), – petite amélioration, pas de douleur : 14,68 % (125), – réelle amélioration sans orgasme : 34,78 % (296), – orgasme clitoridien parfois : 30,19 % (257), – sexualité clitoridienne normale : 18,21 % (155). Il existe une amélioration des résultats obtenus avec l’expérience, si l’on analyse la fonctionnalité et l’aspect dans le temps, permettant de définir une courbe d’apprentissage (résultat optimal aux environs de 900 interventions).   Conclusion Nous avons rapidement compris, au début de notre expérience, que ces femmes ne recherchaient pas tant un aspect normal, qu’un clitoris proéminent et très visible. À ce titre, il faut signaler que les phénomènes de cicatrisation et d’épithélialisation spontanée durant les premières semaines tendent à enfouir le néo-gland clitoridien. Il faut en tenir compte lors de l’intervention, de manière à ne pas obtenir à distance un résultat trop discret qui, bien qu’anatomiquement satisfaisant pour le chirurgien, pourrait être décevant pour la patiente. Si le fait de laisser en fin d’intervention un néo-gland très exposé ne suffit pas à prévenir cette évolution, il faut, dès le début du phénomène de cicatrisation excessive, appliquer des dermocorticoïdes pendant quelques jours. La résection du tissu cicatriciel scléreux, qui permet d’exposer un tissu sain, est aussi un élément fondamental de la restauration de la sensibilité clitoridienne. Chaque fois que l’analyse histologique des tissus réséqués a été demandée, l’anatomopathologiste a pu constater que le tissu clitoridien sain situé au contact de la partie scléreuse du moignon contenait des neurones sains, susceptibles de restaurer la sensibilité du néo-gland. Il existe une demande constante d’intervention, ainsi qu’un recrutement « bouche à oreille » laissant penser que le but est en partie atteint. Au total, les formes douloureuses sont améliorées dans plus de 90 % des cas environ, plus de 80 % des patientes revues ont une amélioration notable de leur sexualité, voire une sexualité clitoridienne normale. Il existe également une nécessité de faire évoluer les outils destinés à mieux évaluer la demande et les résultats. Des études sont réalisées en utilisant des questionnaires validés dans le domaine de la sexualité comme le FSFI (Female Sexual Function Index), le FSDS (Female Sexual Distress Scale), celui de la douleur : EVA (échelle visuelle analogique), BDI (Beck Depression Inventory). L’exploration de la dimension post-traumatique est également en cours, ainsi que l’évaluation de la réponse apportée à la demande identitaire. Enfin, d’autres études en lien avec une unité de recherches en démographie et sociologie sont également en développement.

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