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Chirurgie

Publié le 11 oct 2006Lecture 15 min

Le diagnostic fœtal des fentes faciales a révolutionné leur traitement postnatal

G. COULY, B. MICHEL, L.BENOUAICHE Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris

"Pour une bonne naissance du fœtus malformé facial"
La découverte, en général vers la 22e semaine, d’une fente faciale déclenche la nécessité de l’entretien anténatal du couple parental avec le chirurgien thérapeute de l’anomalie constatée. Cet entretien « incontournable » pour une bonne naissance, permet d’aborder tous les aspects de la pathologie présente et surtout d’organiser, par anticipation, en fonction de la date théorique de la naissance, le protocole chirurgical. Lors de la constatation de fente labiale ou labiomaxillaire, la réparation précoce postnatale aurait ainsi pour fonction de réinscrire l’enfant dans l’humain.

Apport de l’échographie dans la dyade mère-enfant À partir du moment où une femme se sait enceinte, son fœtus est vécu par elle avec une sereine plénitude, dans son imaginaire comme normal, naturellement normal bien que « non vu ». L’obstétricien échographiste, en mettant un coup de projecteur sur le fœtus, sort celui-ci de sa nuit utérine et contribue à l’instauration d’une nouvelle dyade mère-bébé. La représentation par échographie, maintenant tridimensionnelle, pendant la grossesse de l’anatomie et de la morphologie fœtales a changé le vécu maternel en transformant l’imaginaire en réalité. L’échographie, en objectivant le fœtus, le fait devenir ainsi une réalité physique car celui-ci est alors observé, mesuré et suivi lors de son dévelop-pement. Il n’est plus totalement fantasmé et mystérieux. L’annonce de malformation faciale, telle que la fente labiomaxillaire est alors génératrice d’angoisse immédiate et obsédante. Elle est générée par le « non vu » résultat de la distorsion entre le fantasme premier de normalité fœtale et la réalité « bien réelle », révélée et objectivée par l’échographie. La consultation prénatale, dans le but d’organiser la réparation postnatale de cette malformation faciale du fœtus, est le corollaire naturel de son diagnostic anténatal. L’échographie tridimensionnelle, en fournissant une imagerie proche de la photographie d’identité du visage fœtal, a changé radicalement la relation avec les parents. Cette situation les interpelle vis-à-vis du risque pour la vie même de leur fœtus et des décisions thérapeutiques immédiates ou différées à partir de la naissance. La consultation anténatale de chirurgie réparatrice pour fente faciale, conseillée entre les 20e et 30e semaines de grossesse par l’obstétricien échographiste, et demandée par le couple, a fini par s’imposer comme « une nécessité urgente et anticipatrice pour la bonne naissance de l’enfant ». Cette consultation, ou plutôt cet entretien, a un caractère particulier, car il concerne un être en devenir, non vu physiquement mais objectivé par l’échographie tridimensionnelle. Nous l’avons conçue comme une sorte de « psychodrame » personnalisé et adapté à chaque couple ou à chaque femme si elle se présente seule. Son objectif en est l’anticipation de l’intervention faciale de l’enfant à venir.  La consultation anténatale de chirurgie réparatrice s’est imposée comme « une nécessité urgente et anticipatrice pour la bonne naissance de l’enfant ».     Figure 1. Échographie anténatale tridimensionnelle réalisée à 24 SA objectivant une fente labiomaxillaire gauche. Le déroulementde la consultation anténatale Elle a lieu après l’échographie de la 22e semaine, échographie qui a permis d’objectiver le caractère isolé ou non isolé de la fente, c’est-à-dire associée ou non à d’autres malformations. Nous n’envisagerons pas la situation de fente s’intégrant dans une situation syndromologique grave ayant abouti à une décision d’interruption de grossesse. Nous n’aborderons pas non plus l’éventuelle demande parentale d’interruption de grossesse, située en amont de cet entretien. Parfois, lorsqu’il s’agit de fente bilatérale, la confrontation avec la réalité de la dysmorphologie est tellement insurmontable que certains parents demandent cette interruption durant notre entretien. L’entretien prénatal est pour nous une urgence et demande du temps pour sa mise en œuvre et son déroulement. Son contenu consiste à amener le couple dans la réalité de la dysmorphologie.Parfois, la femme enceinte s’exprime : « Avant l’échographie, je ne pensais pas que mon enfant pouvait avoir une malformation », ou « C’est monstrueux », ou encore « J’aurais préféré en définitive ne pas le savoir ». En fait, tout se passe comme si cette future mère entrait en résistance contre la réalité annoncée. Dans la dyade, mère-bébé, le visage du nouveau-né est l’objet de soins, d’attention, de regards (le premier sourire), de préoccupation constante, actuelle et projections narcissiques futures, d’interrogations où se mêlent apparence, ressemblances et modifications dues à la croissance. Ce rôle du visage inscrit l’enfant dans la lignée, mais aussi dans le transgénérationnel, de par sa fonction éthologique individuelle et interindividuelle.       Figure 2. Échographie anténatale tridimensionnelle réalisée à 26 SA objectivant une fente labiale bilatérale. Son principe : un entretien personnalisé Les principes de l’entretien reposent sur la vérité embryologique, biologique et anatomique du fœtus. « En sortant » la femme de son fantasme de normalité fœtale, cette vérité fait prendre conscience au couple de la réalité de l’accident morphologique. Puis se met en place le deuil de la normalité. Ce deuil est partiel grâce au projet réparateur postnatal précoce rapidement exposé, projetant les parents dans le futur et l’espérance d’une normali-sation morphologique. Cet entretien personnalisé, informatif et neutre, doit répondre aux questions, aux attentes et au besoin d’anonymat du couple. Il ne fait pas appel à d’autres couples ayant vécu la même situation ou à des associations pour ne pas apporter des informations et des réponses qui soient mal adaptées aux caractéristiques socio-économiques, culturelles ou ethniques du couple. Ainsi, le contenu de l’entretien n’est jamais standardisé, il est modulable, en fonction du vécu dissemblable de chaque couple. Cet entretien semble venir combler l’attente entre le moment de l’annonce de la malformation, en général vers la 22e - 23e semaine, et l’accouchement. La femme vient seule ou accompagnée de son conjoint. Les conjoints, lors de l’entretien, sont réservés, voire en retrait ou muets. Les antécédents du couple, de la famille et le nombre d’enfants sont recueillis en premier lieu. L’entretien se déroule en trois actes.   Le premier acte Il est pédagogique. Sont exposés de façon simple les principes et fondements du développement embryonnaire de la face (le 40e jour embryonnaire, les bourgeons de la face et leur collage). Cette étape est ancrée dans le réel, c’est-à-dire fondée sur la vérité, la réalité biologique humaine du développement et de ses modalités. Le couple réagit aux documents photographiques souvent impressionnants, qui ne sont ni choquants, ni mystérieux. Des phrases comme « nous tous avons été comme cela, votre fœtus également » sont, par exemple, utilisées. Ces documents issus de la réalité permettent de déplacer ainsi l’inquiétude latente générée par l’aspect tant redouté de leur fœtus. Les parents l’expriment, parfois ils redoutent l’aspect « monstrueux et inhumain » de leur enfant. La rationalité de ce premier acte permet de camper les idées, d’empêcher les dérapages émotionnels et d’accrocher le couple à des documents photographiques préludant l’acte suivant, qui les concernent.   Le deuxième acte Cette étape consiste, pour le couple, en la confrontation à la réalité physique de son fœtus malformé. L’étude attentive de l’imagerie fournie par l’échographie bi- et tridimentionnelle permet très souvent de préciser le type d’accident morphologique (simple, uni- ou bilatéral, avec ou sans fente vélo- palatine) et ainsi de conditionner le choix du document photographique d’un nouveau-né semblable présenté au couple parmi un panel existant. C’est l’étape la plus douloureuse de l’entretien car elle correspond à la prise de conscience réelle de la dysmorphologie dont est atteint leur enfant : elle consiste à présenter le portrait d’un autre nouveau-né ayant une fente semblable car l’imagerie échographique n’est pas toujours explicite. Cette photographie en portrait est associée au résultat chirurgical de la réparation de cet autre enfant à 1 ans, 3 ans, 5 ans ou 10 ans. La femme et parfois le conjoint se mettent très souvent à pleurer. Ces pleurs témoignent à la fois du vécu de cette réalité, de l’impossible rébellion, de la soumission à la situation présente, de blessure narcissique et du deuil de la normalité de leur fœtus. Mais ce deuil nous paraît partiel car le résultat de la réparation présentée est celui d’un autre enfant. Les questions concernant la réparation sont alors émises. C’est le temps du troisième acte : la rapidité de la réparation après la naissance contribue également « à réparer » psychologiquement le couple. Elle lui permet de surmonter cette épreuve très dure, en terminant la grossesse avec sérénité. Parfois à ce stade de l’entretien peut se poser la question d’une prise en charge psychothérapeutique du couple, et ce parfois de façon urgente.   La rapidité de la réparation après la naissance contribue également « à réparer » psychologiquement le couple.   Le troisième acte Constructif, orienté vers l’avenir, il est centré par l’organisation de la réparation chirurgicale à partir de la naissance. Le couple et le chirurgien vont alors œuvrer ensemble durant quelques années : les rôles de chacun doivent être parfaitement définis. Revient aux parents le rôle de l’oralité alimentaire, si réparateur à partir de la naissance. L’allai-tement est non seulement possible, mais recommandé à condition de bien préparer les bouts de seins. Il est volontairement surévalué, car il est le facteur indéniable d’attachement réciproque et agirait en la prévention d’une rupture d’attachement. Il revient au chirurgien d’œuvrer pour reconstituer les structures faciales. Les parents quittent la consultation avec une date opératoire « en poche », ce qui est indispensable pour « borner » d’espérance l’avenir du nouveau-né. L’ensemble de l’entretien nous paraît contribuer à déculpabiliser le couple. Des compléments d’informations sont également donnés lors d’entretiens téléphoniques ultérieurs jusqu’à l’accouchement, si les parents le souhaitent.   La réalisation de la réparation Le protocole utilisé dans le service de Stomatologie et de Chirurgie maxillo-faciale et plastique de l’enfant à l’Hôpital Necker-Enfants-Malades est un protocole minimaliste de réparation précoce. Au cours de la deuxième quinzaine postnatale, une première intervention de chéiloplastie de 30 à 40 min, sous anesthésie générale associée à l’anesthésie locale tronculaire des nerfs sous-orbitaires et palatins, permet la réfection de la lèvre, du palais primaire et du plancher narinaire grâce à une hospitalisation de 24 h. La réparation est fondée sur des principes embryonnaires : exérèse des excédents cutanés, réparation de la dysmigration musculaire, reconstitution de la symétrienasolabiale.       Figure 3.. Nouveau-né de 1 mois, ayant bénéficié du diagnostic anténatal de la figure 1, présentant une fente labio-maxillo-palatine gauche.       Figure 4. Résultat de la réparation chez le même enfant (figure 2) à l’âge de 3 ans.   L’allaitement au sein est tout à fait possible en postopératoire (il est même recommandé) et repris 8 h après l’intervention. Si l’alimentation se fait par tétine et biberon avant l’intervention, elle sera apportée par petites nourettes pendant une semaine jusqu’à l’ablation des fils. Les parents sont prévenus que l’intervention transformera le visage de leur enfant.   L’allaitement au sein est recommandé, car il agit en prévention d’une rupture d’attachement. La possibilité de ne plus le reconnaître « transitoirement » après l’intervention est également abordée : cela a une fonction de détente chez le couple. Nous expliquons aux parents que la plaque palatine précoce chez le nourrisson n’est pas nécessaire : la comparaison qualitative de deux groupes égaux de nourrissons présentant tous les mêmes fentes labiomaxillaires et vélopalatines, dont l’un était constitué de nourrissons portant une plaque et l’autre pas, n’a pas démontré l’utilité réelle et l’efficacité de la plaque. En outre, la présence de la plaque empêche l’allaitement. Avantages de la réparation labionarinaire   Cicatrice de plus bel aspect et qualité dite « vagale » (proche de la période fœtale).   Reconstruction de l’appareil labial suceur, afin de « capturer » oralement le mamelon ou la tétine.   Changement de l’aspect de l’enfant afin « qu’il soit montré » et non caché, comme c’est souvent le cas. Les risques inhérents sont également abordés. Dans notre expérience, sur 3 340 fentes labiomaxillaires opérées, nous n’avons eu à déplorer qu’un accident infectieux labial. L’entretien se termine en annonçant aux parents qu’ils auront à masser la cicatrice, deux mois après la réparation : cette forme terminale d’implication dans le traitement les responsabilise dans l’atténuation future de la cicatrice. En cas de division vélopalatine, une deuxième intervention a lieu vers 7-8 mois lorsque l’enfant est passé à la cuillère. Le protocole opératoire est tout aussi minimaliste : 24 à 48 h d’hospitalisation pour un temps d’intervention de 30 à 40 min d’uranostaphylorraphie. Les enjeux orthophoniques et orthodontiques sont exposés : guidance et exercices éventuels de souffle à partir de 3 ans, et appareillage dentaire de 8 à 10 ans. L’échographiste, l’obstétricien et le pédiatre de famille reçoivent le compte-rendu de l’entretien qui se termine par la proposition de date de l’intervention.   L’absence de diagnostic anténatal Actuellement, dans 3 % des situations, malgré l’existence d’un diagnostic possible par échographie, la fente n’est découverte qu’à la naissance, ce qui nous fait vivre et revivre l’ère où l’échographie fœtale n’était pas de routine. • Soit la fente labiomaxillaire ou vélopalatine existe déjà dans la famille (le père ou la mère, un ou plusieurs de leurs enfants en sont déjà atteints). La naissance d’un nouvel enfant s’inscrit alors dans une sorte « d’ethnologie familiale ». L’enfant est, dans la circonstance, accepté, entouré. L’enfant « le plus accepté » est celui d’une femme présentant cette ano-malie. • Soit la malformation est inconnue de l’histoire familiale du couple. Leur nouveau-né est alors vécu comme un « étranger » : l’enfant est bien l’enfant du couple, mais en raison de cette anomalie morphologique du visage si évidente et quasi « monstrueuse » (expression souvent utilisée), il n’est pas reconnu totalement comme enfant du couple. Au cours de ces 25 années où nous avons pratiqué cette chirurgie, nous avons observé des situations dramatiques postnatales : tentatives de meurtre de l’enfant par étranglement ou étouffement, abandons définitifs ou partiels (jusqu’à la réparation). La maltraitance subie par l’enfant atteint de fente et son rejet familial sont l’objet d’un dépistage attentif.       Figure 5. Nouveau-né de 15 jours présentant une fente labiale bilatérale respectant les seuils narinaires.     Figure 6. Résultat postopératoire à 3 mois de l’enfant de la figure 5 opéré en un temps.       Figure 7. Enfant de la figure 5 photographié à l’âge de 2 an   Difficultés rencontrées Une interprétation de l’échographie difficile Cette situation fait l’objet d’un colloque serein avec l’échographiste et éventuellement d’une nouvelle analyse. Elle concerne le type de fente (uni- ou bilatéral) et la présence ou l’absence de fente palatine. Les performances croissantes de l’échographie tridimensionnelle livrant une « photographie, d’identité » faciale du fœtus permettent d’aplanir ces difficultés.   L’absence de diagnostic anténatal se produit encore dans 3 % des cas.   Un diagnostic échographique tardif (au-delà de 30 semaines) Il semble générer des situations douloureuses à vivre avec dé-tresses psychologiques profondes, conséquences d’une demande d’interruption de grossesse non clairement formulée.   La fente palatine isolée et le syndrome de Robin Leurs diagnostics échographiques sont encore exceptionnels. Seul le rétrognathisme est le signe prédisant le syndrome de Robin quand, de profil, il est important. Néonatologistes et pédiatres sont alors prévenus des risques inhérents à cette situation (dé-tresse respiratoire et dysoralité néonatale). L’échographiste recherchera une pauvreté des séquences orales : absence de succion fœtale, absence de déglutition, hydramnios.   Conclusion Le fœtus est devenu un être identifié, observé, surveillé, mesuré grâce à l’échographie bi- et tridimensionnelle. La dé-couverte, en général vers la 22e semaine, d’une fente faciale déclenche la nécessité de l’en-tretien anténatal du couple parental avec le chirurgien thérapeute de l’anmalie con-statée. Cet entretien « incon-tournable » pour une bonne naissance, permet d’aborder tous les aspects de la pathologie présente et surtout d’organiser, par anticipation en fonction de la date théorique de la naissance, le protocole chirurgical. Lors de la constatation de fente labiale ou labiomaxillaire, la réparation précoce postnatale aurait ainsi pour fonction de réinscrire l’enfant dans l’humain. L’épanouissement de cet enfant, dont le rôle éthologique du visage est reconstitué rapi-dement après la naissance en est l’objectif. La qualité de l’oralité alimentaire en représente alors l’expression de son succès.

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