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Psycho-social

Publié le 08 juin 2011Lecture 11 min

L’accouchement sous le secret, quelles filiations possibles ?

V. LUCCIN, Maison de l’Adoption du Conseil Général, Bobigny

Projet de loi en cours de discussion, décisions de justice récentes, positionnements contrastés d’experts sur la question du maintien ou de la suppression de l’accouchement dans le secret. Toute cette actualité prouve que la question de l’accouchement secret n’est pas réglée dans la famille comme dans la société. On serait d’ailleurs plutôt tenté de retenir « anonymat et filiation » en inversant les termes. L’accouchement sous le secret est un phénomène complexe juxtaposant les droits de la mère, de l’enfant, du père et… des grands-parents. 

 
Définition(s) Selon la députée Brigitte Barèges chargée d’une mission parlementaire sur l’accouchement dans le secret, une définition juridiquement précise de l’accouchement sous X est difficile. Le code civil comme le code de l’action sociale et des familles font référence au mot secret, qu’il s’agisse de l’accouchement dans le secret ou du secret de l’identité. L’accouchement sous le secret permet à une femme, lors de son accouchement, de demander le secret de son admission et de son identité sans qu’aucun justificatif ne lui soit réclamé. Plusieurs déclinaisons sont envisageables : • Le secret absolu : la femme réclame le secret de son admission et de son identité et refuse de laisser des éléments à l’enfant sur son histoire d’origine et les circonstances de sa naissance. • Le secret relatif : tout en demandant le secret de son identité, la femme peut laisser des objets et des éléments de sa vie, son histoire, sa santé, ainsi que ceux du père de naissance, les motifs de sa décision d’accoucher sous le secret et de confier son enfant en vue de son adoption. • L’accouchement anonyme sans secret de l’identité : tout en demandant un accouchement anonyme, la femme peut accepter de laisser son identité sous pli fermé dans le dossier de l’enfant. Elle ne sera communiquée à l’enfant qu’à sa demande et avec l’accord de la mère. • L’identité connue sans filiation établie : tout en étant connue, l’identité de la femme peut, à sa demande et avant la déclaration de naissance, ne pas être mentionnée dans l’acte de naissance de l’enfant.   Évolution législative Si l’abandon d’enfant et l’accouchement secret existent depuis le Moyen-Âge, la légalisation de l’accouchement sous le secret intervient sous la Révolution par un décret de 1793. L’accouchement sous le secret relève aujourd’hui de trois textes fondateurs : • L’article 326 du code civil stipule que lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. • L’article 57 du même code, modifié par ordonnance du 4 juillet 2005, prévoit que l’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, […]. Si les père et mère de l’enfant ou l’un d’eux ne sont pas désignés à l’officier de l’état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet. La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l’accouchement peut faire connaître les prénoms qu’elle souhaite voir attribuer à l’enfant. À défaut ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l’officier de l’état civil choisit trois prénoms, dont le dernier tient lieu de nom de famille à l’enfant. • L’article L222-6 modifié par la loi du 22 janvier 2002 dispose que toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu’elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu’à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues par la loi. Elle est également informée qu’elle peut, à tout moment, donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu’elle a donnés au moment de la naissance. Sur leur demande ou avec leur accord, les femmes bénéficient d’un accompagnement psychologique et social de la part du service de l’aide sociale à l’enfance. Aucune pièce d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête.   L’anonymat, où en est-on ? Le projet de loi 2010 de bioéthique « ouvre une possibilité d’accès à l’identité du donneur pour les personnes issues d’un don de gamètes, dans le but de permettre une meilleure prise en compte de l’intérêt de l’enfant (…), sans imposer au donneur de révéler son identité ». De son côté, une disposition de la loi du 16 janvier 2009 portant réforme de la filiation permet aux enfants nés sous le secret, de procéder à une recherche en maternité. Les mères conserveront cependant le droit de maintenir le secret de leur accouchement. Comme le souligne le juriste Julien Marrocchella, on pourrait croire que le législateur cherche à organiser, en concordance avec la levée de l’anonymat du donneur pour les personnes issues d’un don de gamètes, la réversibilité du secret de l’identité de la mère demandée lors de son accouchement par le recueil systématique de son identité.   Les filiations (im)possibles Qui peut avoir intérêt à établir une filiation avec un enfant né sous le secret ? Des contentieux peuvent opposer père et mère de naissance de l’enfant, ceux qui se reconnaissent un lien de parenté avec lui… L’enfant peut également ester en justice pour lever le secret contre la volonté de sa mère de naissance. Les parents adoptifs peuvent se trouver en difficulté pour faire valoir la filiation de leur enfant, soit parce que celui-ci se retrouve en conflit d’affiliation entre deux familles, soit encore parce qu’il essuie les plâtres d’une confusion entre deux pouvoirs, judiciaire et législatif.    L’intérêt de l’enfant La loi du 22 janvier 2002 facilite l’accès aux origines personnelles et crée le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP), instance de médiation entre l’enfant et sa mère de naissance. Désormais, la demande de secret n’est possible que lors de l’accouchement et jusqu’à la déclaration de naissance. Cette recherche des origines n’a, à ce stade, pas d’incidence sur la filiation. La CEDH s’est prononcée en ce sens, dans l’arrêt Odièvre du 13 février 2003 en précisant que la législation française, reconnaissant le droit à une femme d’accoucher sous le secret et créant un organe permettant à l’enfant de connaître ses origines, n’est pas contraire à la CIDE. La loi du 22 janvier 2002 prévoit, pour le mineur, l’accès aux origines personnelles par ses parents. Depuis la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, c’est à l’enfant qui a atteint l’âge de discernement, de solliciter, avec l’accord des représentants légaux, ce droit d’accès. Madame Dekeuwer-Défossez souligne que certaines personnes connaissant leurs origines ne comprennent pas que celles-ci ne puissent pas se transformer en filiation, ce qui entraîne des contestations en héritage. Pourtant, la cour de cassation, par un arrêt du 15 décembre 2010, a permis l’établissement de la filiation maternelle en application de l’ordonnance du 4 juillet 2005 ratifié par la loi du 16 janvier 2009. Un enfant né en 1993 est abandonné à la naissance. Son acte de naissance indique le nom de sa mère. En 2002, 9 ans après le décès de celle-ci, il assigne son frère biologique en partage de la succession et en revendication de sa filiation maternelle. Débouté en appel, il forme un pourvoi avec succès. En effet, une disposition de cette loi de 2009 fait disparaître du code civil la fin de non-recevoir à la recherche en maternité. Elle permet aux personnes nées sous le secret d’engager, envers leur mère de naissance, une action en recherche de maternité, afin d’établir leur filiation. Une telle disposition ne constitue- t-elle pas une brèche dans l’édifice de l’accouchement anonyme ?    La mère de naissance Depuis la loi Mattei de 1996, la femme qui a accouché sous le secret dispose de 2 mois pour récupérer son enfant en créant une filiation par reconnaissance à l’état civil. Elle peut également le reconnaître sans le récupérer. Par ailleurs, elle peut, à tout moment, et même si l’adoption de l’enfant est prononcée, lever le secret de son identité. Mais elle ne peut directement saisir le CNAOP pour rechercher son enfant et établir une filiation.    Le père de naissance La loi aménage également le droit du père, lorsque celui-ci a reconnu son enfant avant le placement en vue d’adoption. En raison des éventuelles difficultés dans la pratique pour localiser et identifier son enfant, l’article 62-1 du code civil permet au père de saisir le procureur de la République, afin que celui-ci engage des recherches. Mais aucun lien n’est fait entre les différents parquets, les conseils généraux et les officiers d’état civil. Le 7 avril 2006, un père a bénéficié d’une décision favorable de la cour de cassation 5 ans après avoir fait connaître son intention de créer une réelle filiation avec son enfant, né à son insu, sous le secret. La cour de cassation a annulé l’adoption plénière prononcée par la cour d’appel de Nancy et reconnaît au père le droit à exercer sa paternité. Finalement, l’intérêt de l’enfant a été posé en dehors des juridictions puisque ce sont les deux familles, biologique et adoptive, qui sont arrivées à un accord. Les parents adoptifs élèvent l’enfant qui bénéficie d’une adoption simple, le père biologique garde un contact et un lien juridique avec son fils.    La filiation adoptive Dans le respect des droits de la mère de naissance, un enfant né sous le secret peut être adopté par une personne de plus de 28 ans ou par un couple marié depuis plus de 2 ans ou ayant chacun plus de 28 ans. L’adoption de cet enfant est précédée d’un placement en vue d’adoption. Au terme de ce délai, les futurs parents pourront déposer une requête en adoption auprès du tribunal de grande instance. Dans certains tribunaux, le jugement peut être prononcé 18 mois après l’arrivée de l’enfant, ce qui peut fragiliser le lien d’affiliation puisque la filiation ne dit pas son nom.    Et maintenant les grandsparents Aucun texte n’interdisant à une femme qui accouche sous le secret de recevoir des visites et de visiter son enfant avant sa prise en charge par le service à qui il est confié, les rencontres entre la parturiente, ses parents et l’enfant sont possibles. Ces visites brèves et souvent accompagnées créent-elles pour autant un lien affectif entre ce bébé et les parents de sa mère de naissance ? Si le lien de parenté avec le géniteur peut être prouvé par le test génétique, la logique peut-elle être la même pour les grandsparents ? Il semblerait que oui. En avril 2010, le tribunal de grande instance d’Angers a rejeté le recours déposé par les grands-parents contre l’arrêté d’admission d’un enfant né sous le secret, assortie d’une demande de garde de leur petite-fille. Or, un arrêt de la cour d’appel d’Angers en date du 26 janvier 2011 a rendu une décision contraire permettant aux grandsparents d’obtenir la garde de l’enfant, charge à eux d’en solliciter la tutelle. Pour conclure • L’accouchement sous le secret, maintient au plus profond de deux personnes une souffrance. Cette souffrance, bien accompagnée, expliquée sans tabou, peut ne pas entraver l’avenir des deux parties. Le phénomène de la résilience et la filiation adoptive peuvent permettre à un enfant de prendre connaissance de ses origines sans détours et sans risque. •Mais une famille adoptive avec toute sa bonne volonté ne peut révéler l’histoire d’abandon en lieu et place de la mère de naissance. Sans doute, la loi du 22 janvier 2002 a posé les bases de cette réflexion ; il convient de la poursuivre pour taire toute confusion entre le droit et la loi, entre les parents et les géniteurs, entre des femmes qui accouchent sous le secret et une génération spontanée de grands-parents. Soyons pragmatiques, l’enfant nous entend.  

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