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Gynécologie générale

Publié le 12 déc 2007Lecture 9 min

Fluctuations hormonales et vie sociale : le point de vue du sociologue

C. TOURRE-MALEN Université Paris XII, Val-de-Marne

Malgré les inégalités qui caractérisent encore les rapports sociaux de sexe dans la société occidentale, la tendance est à l’interchangeabilité des rôles hommes/femmes et au gommage des différences sexuées. La maîtrise des fluctuations hormonales féminines permet d’atténuer les différences, elle donne aux femmes les moyens de remplir pleinement leur rôle dans la société. On peut la considérer donc comme un des outils de l’égalité des sexes.

 
Vers l’inter-disciplinarité ? S’interroger sur l’incidence des fluctuations hormonales féminines sur les femmes dans la société oblige à croiser des éléments relevant de la biologie et de la sociologie. Ce type d’approche présente une certaine originalité. En effet, jusqu’à présent, la sociologie ne paraît guère s’être intéressée à l’incidence des fluctuations hormonales sur le comportement des femmes. Peu étonnant : l’analyse sociologique et les études sur les femmes ont été fortement influencées par les travaux de Simone de Beauvoir (1947), puis la notion de « genre »(1). S. de Beauvoir refusait l’idée d’une nature féminine et de différences biologiques servant, selon elle, à justifier la ségrégation, les inégalités et la domination masculine. Dans son sillage, les gender studies prirent pour principe que « la culture conditionne pour large part les identités masculines et féminines »(3) et laissèrent de côté les aspects biologiques. Récemment, F. Héritier déclarait que la seule différence de « nature » entre les hommes et les femmes était l’enfantement. Pour le reste, les hommes et les femmes, ajoutait-elle, ont les mêmes capacités cérébrales, physiques, mentales, intellectuelles ou morales(4). En s’interrogeant sur l’incidence des fluctuations hormonales, on pose indirectement la question de la part de la « nature » et de celle de la « culture » dans les comportements féminins — une question délicate dès qu’on se tourne vers le passé.   L’héritage difficile  de la « nature féminine » Pendant des siècles s’est diffusée l’idée d’un déterminisme naturel, d’une « nature féminine », exposant les femmes à des désordres physiques et psychologiques, qui expliquait et justifiait leur situation d’infériorité dans la société. Ainsi, d’Hippocrate à Charcot, l’image d’une femme soumise avant tout à son utérus est récurrente. Au début du XIXe siècle, certains médecins pensaient que le sexe et le cerveau avaient des effets qui se contrariaient. Il leur semblait donc impossible de développer les deux : plus un être était fécond, moins il était apte à l’activité intellectuelle. En conséquence, les femmes, destinées par la nature à la reproduction, ne devaient pas développer leur cerveau. En privilégiant l’activité cérébrale, la femme « sortait de son sexe », n’était d’« aucun sexe » : elle devenait « hommasse », « viragine » ou « mascula »(5). Ce genre de discours influença les hommes politiques et les philosophes. En 1801, le député Sylvain Maréchal publiait : « Il ne faut pas que les femmes apprennent à lire ou Projet d’une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes ». À la fin du XIXe, on croyait encore qu’il fallait protéger les femmes de la fragilité inhérente à leur sexe, notamment en les éloignant des activités violentes, publiques et intellectuelles. Il faudra attendre les profondes modifications sociales qu’a connues le XXe siècle pour s’affranchir de l’idée d’une « nature féminine » handicapante. Progressivement, les femmes ont eu un accès égal à celui des hommes au savoir et au pouvoir ; du moins dans la société occidentale, car il existe encore, à l’heure actuelle, des sociétés où les femmes restent perçues avant tout comme des êtres instables, sujets à une labilité émotionnelle qui les empêche de remplir certaines fonctions. Selon la loi islamique, par exemple, une femme ne peut occuper des postes impliquant une faculté de jugement et de décision(6). Ainsi, l’Iranienne Shirin Ebadi – prix Nobel de la paix en 2003 –, magistrate sous le régime du Shah, dut renoncer à ses fonctions de juge à l’instauration de la Révolution islamique. Aujourd’hui, en France, une telle discrimination paraît non seulement inique et incongrue, mais encore elle se situe hors la loi. Il ne faut toutefois pas oublier qu’il y a encore une trentaine d’années, certaines études restaient fermées aux jeunes Françaises : les filles ne sont acceptées a l’École polytechnique que depuis 1972.   Les fluctuations hormonales  et le quotidien des femmes Certaines sociétés traditionnelles ont établi, empiriquement, un lien entre fluctuations hormonales et comportement féminin. Ainsi, les Touaregs du Mali considèrent que le cycle féminin produit des sensations physiques qui sont à l’origine de différentes catégories d’émotions. La jeune fille ressentirait une instabilité d’humeur consécutive à un malaise physique qui engendre de la peur (teksod), de la colère (alhem) et de l’angoisse (mishi). Pour répondre à ses émotions, la fille développerait des contre-émotions comme la révolte, processus pouvant mener à une affection (tisserén) dont les symptômes sont proches de ceux de la dépression(7). En d’autres temps et d’autres lieux, on a appelé la mélancolie la « rêverie de la matrice »(8). L’influence des hormones se manifesterait différemment selon les périodes du cycle. Ainsi, au milieu du cycle, les femmes s’exprimeraient et communiqueraient plus aisément. Certains leur conseillent même de choisir ce moment pour un entretien d’embauche ou pour une demande d’augmentation(9). Selon d’autres travaux, pendant les périodes de fécondité, les femmes seraient plus en chasse d’amants et avoueraient plus de fantasmes au sujet de ces derniers. Elles seraient également plus soucieuses de leur apparence (maquillage, habillement) (10). Les méthodes utilisées pour récolter ces résultats étant rarement précisées, on peut s’interroger sur le crédit à donner à ces études. On déplore, en effet, le manque de travaux rigoureux sur les fluctuations hormonales – surtout en France –, car des pays comme le Canada, la Belgique, la Suisse paraissent s’y intéresser davantage. Les travaux relevant du domaine médical montrent que l’influence hormonale liée au cycle se traduit, à des degrés variés selon les femmes, par des symptômes physiques (hypersensibilité ou gonflement mammaire, céphalées, douleurs musculaires ou articulaires, prise de poids, sensation d’estomac gonflé), une instabilité émotionnelle (accès de larmes, de tristesse, d’irritabilité, de colère), une perte d’intérêt pour les occupations habituelles, une sensation de fatigabilité excessive, une modification nette de l’appétit (boulimie) ou du sommeil (hypersomnie, insomnie), etc. Ces travaux portent surtout sur le syndrome prémenstruel (SPM). Quelques chiffres Une équipe de médecins suisses avancent quelques chiffres (dont ils ne précisent pas les sources) :    3 à 10 % des femmes en âge de procréer ne présenteraient aucun trouble ;    50 % ne ressentiraient qu’un malaise d’intensité modérée ;    35 % subiraient un certain degré de perturbation de la vie sociale, professionnelle ou familiale ;    5 à 10 % d’entre elles connaîtraient un syndrome prémenstruel (SPM) engendrant une perturbation grave de leur vie (11). La fragilité liée au cycle menstruel est jugée dans ses formes sévères comme un problème de santé publique, notamment parce qu’elle entraîne un absentéisme professionnel récurrent(12). Il semble que la montée de l’intérêt pour le SPM et les troubles liés aux fluctuations hormonales soit en rapport avec le profond changement du mode de vie des femmes et de leur relation à leur corps, et avec l’impact socioculturel de ces troubles. Au début du siècle, les femmes avaient moins de règles au cours de leur vie fertile qu’à l’heure actuelle à cause des grossesses répétées et de l’allaitement prolongé(13). En outre, compte tenu des tabous sociaux, les troubles du cycle étaient moins pris en compte et par les femmes et par les médecins. La vulnérabilité rattachée au cycle paraît un problème plus grave dans les sociétés où les femmes ont un rôle actif et autonome. Il faut préciser que ces femmes sont les mieux informées et sont susceptibles de consulter dès les premiers symptômes. Nombre de sites de discussion sur Internet évoquent les « mauvais jours féminins » : des hommes et des femmes y décrivent les conséquences des fluctuations hormonales féminines sur leur quotidien. Les premiers sont évidemment moins nombreux que les secondes. On assiste, en France, à l’heure actuelle, à la parution régulière d’articles dans la presse féminine sur le SPM et les fluctuations hormonales. La population des femmes qui désormais pourront mettre des mots sur ce qu’elles ressentent et l’identifier  va augmenter. Il y a tout lieu de croire que la prise en considération de ces troubles va s’accroître également. Les fluctuations hormonales et leur incidence sur le comportement constituent un phénomène ancien. En se gardant de tomber dans le travers du déterminisme biologique d’une nature féminine évoqué plus haut, l’étude de cette influence peut représenter un champ nouveau pour la sociologie, notamment dans le cadre de la sociologie du travail (mode de contraception/comportement des femmes en fonction des phases du cycle/médecine du travail/absentéisme). En guise de conclusion, on peut dire que l’on est devant un domaine qui reste à étudier pour grande part. Mais on sait d’ores et déjà que l’influence des fluctuations hormonales au cours du cycle et leurs conséquences constituent une différence qui, peu ou prou, handicape un bon nombre de femmes et ce, dans une société animée d’une forte dynamique d’égalité entre les sexes(14), même si cette dernière est loin d’être effective dans tous les secteurs.                                

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