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Publié le 12 sep 2011Lecture 14 min

Fausses couches à répétition : étiologies et bilan

F. BRETELLE*,**, C. CHAU*,**, N. LESAVRE**, D. ARNOUX**,***, P. SEBAHOUN**,****, D. BAGNERES**,****, F. BERNARD**,****, C. BOHEC*****, E. PASQUIER*****, L. BOUBLI* *Service de gynécologie obstétrique, **Centre Investigation Clinique, ***Service d’hématol
Les fausses couches récidivantes (≥ 3) affectent environ 1 à 2 % des femmes en âge de procréer. Ce taux est de plus de 5 % pour ≥ 2 FCS. Il est avant tout primordial de caractériser le type de perte foetale. Il faut consulter les échographies de ces grossesses et identifier le terme exact de survenue. Le risque d’identifier une anomalie prothrombotique est d’autant plus important que les pertes seront tardives ou répétées.
Bilan en cas de fausses couches spontanées à répétition Une analyse des facteurs de risque permet en premier lieu d’avoir une idée du contexte clinique au sein duquel ces avortements spontanés précoces surviennent. Au cours de l’année 2003, l’ANAES, lors d’une conférence de consensus, a émis des recommandations sur le bilan de thrombophilie conseillé en cas de perte foetale précoce et tardive (tableau). Ces recommandations sont accessibles sur le site de l’ANAES (1). Depuis ces recommandations, une métaanalyse de 31 études est parue dans le Lancet qui met en évidence des résultats un peu différents( 2). Il existe une association entre FCS précoces à répétition et la mutation du facteur V Leiden (OR : 2,01 ; IC : 1,13-3,58) ainsi que la résistance à la protéine C activée (RPCA) (OR : 3,48 ; IC : 1,58-7,69). Ces données devraient modifier celles du tableau. Cette association demeure actuellement controversée. En dehors de facteurs bien établis comme les maladies auto-immunes et le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL), un certain nombre de facteurs de risque sont mis en évidence dans les avortements spontanés précoces. • L’âge maternel est un facteur de risque important de FCS à répétition (14 % en dessous de 35 ans et 40 % après 40 ans). Dans ce groupe de patientes, une anomalie chromosomique est mise en évidence dans près de 80 % des cas (3). • La prévalence de la mutation du facteur V Leiden est identique chez les patientes présentant des pertes foetales récidivantes au 1er trimestre. Cette prévalence est plus élevée si ces pertes foetales sont survenues aux 2e et 3e trimestres de la grossesse (4). • La maladie coeliaque est associée à une augmentation des avortements spontanés précoces et de RCIU, augmentation qui est corrigée par un régime pauvre en gluten. • Le type de régime alimentaire semble influer sur le risque d’avortement précoce : les régimes riches en lipides augmentent ce risque (OR : 2 ; IC : 1,1-3,6), tandis que les régimes riches en légumes verts (OR : 0,6 ; IC : 0,4-0,8) ou en fruits (OR : 0,3 ; IC : 0,2-0,3) le diminuent (5). La proportion de viande ingérée ne l’influence pas. • Un antécédent d’avortement précoce (OR : 1,7 ; IC : 1,4-2,1), une infection pelvienne (OR : 5,1 ; IC : 1-26,2), la consommation de café (OR : 1,9 ; IC : 1,5-2,6) (6), une consommation de > 5 verres d’alcool/semaine (OR : 3,7 ; IC : 2,0-6,8), > 10 cigarettes/j (OR : 1,4 ; IC : 1-2,1) ou la consommation de cocaïne augmentent le risque d’avortement spontané au 1er trimestre. • De même, un antécédent d’ovaires polykystiques, l’insuffisance lutéale, un âge maternel avancé ou une translocation équilibrée sont des facteurs d’avortement spontané. Le diabète bien équilibré n’est pas un facteur de risque d’avortement, alors que le diabète déséquilibré multiplie ce risque par 3. • La présence d’une infection vaginale, au sein d’une population de patientes présentant une infertilité, est un facteur de risque d’avortement spontané au 1er trimestre. Un antécédent d’interruption volontaire de grossesse n’est pas un facteur reconnu d’avortement spontané précoce bien que cette notion soit controversée, en particulier lorsqu’il existe plusieurs antécédents. • Le stress est un facteur de risque d’avortement précoce : ainsi, un travail stressant (OR : 2,45 ; IC : 1,03-5,81) ou un stress psychologique (OR : 2,67 ; IC : 1,39-5,1) augmentent les pertes foetales au 1er trimestre (NP4). Ceci est particulièrement marqué pour les avortements spontanés après 11 SA (OR : 2,9 ; IC : 1,4-6,2)(5). • Les malformations utérines sont une cause d’avortements spontanés. Dans les utérus unicornes, le risque global de perte foetale est de 60 %(7). Le taux global de pertes est estimé à 36 % dans les utérus didelphes et à 43 % dans les utérus bicornes. Le taux de survie dans les utérus cloisonnés est de 15 à 28 %. Dans les anomalies utérines acquises : le syndrome d’Asherman (synéchies postpartum ou postabortum) et l’exposition au distilbène sont associés à des pertes foetales (respectivement 70 et 48 %). Un taux d’avortements de 41 % est rapporté dans la littérature, mais le pronostic dépend de la localisation du ou des fibromes(8). • Les connectivites (sclérodermie, syndrome de Sjögren) et les maladies rhumatismales inflammatoires sont associées à un risque de prééclampsie et de RCIU(9). Il est actuellement impossible de définir un niveau de risque, mais le risque de perte foetale précoce ne semble pas augmenté. • Une thrombocytémie essentielle semble associée à un risque de perte foetale. Cincotta et coll., dans une série de 30 grossesses, rapporte des taux élevés d’avortements précoces (17 %), de mort foetale in utero (23 %) et de décollement placentaire (17 %). Dans une plus courte série (n = 16), le taux d’avortements précoces est identique à la série précédente, mais aucun cas de MFIU ou de décollement placentaire n’est rapporté. Une revue de la littérature de 1996 (n = 106) retrouve un taux de pertes foetales de 43 %, dont 36 % au 1er trimestre. Les autres complications : mort foetale in utero (5 %), accouchement prématuré (8 %), prééclampsie (4 %), RCIU (4 %) (10). Quel complément au bilan de thrombophilie ? En fonction de ces facteurs de risque, on peut recommander une exploration de la cavité utérine (échographie et hystéroscopie ou hystérosalpingographie en fonction des habitudes). Un bilan général de l’état de santé et du retentissement psychologique des avortements à répétition est à réaliser. Le bilan comprend également des caryotypes parentaux. Ces caryotypes parentaux sont anormaux dans 3 à 10 % des cas selon les séries. Néanmoins, les couples porteurs d’une anomalie chromosomique n’ont pas de risque augmenté de fausse couche comparativement à une population à haut risque. Ces auteurs proposent une étude plus large pour évaluer l’intérêt d’un éventuel traitement, le caryotype parental étant finalement très peu prédictif du pronostic des grossesses (11). • Lupus érythémateux disséminé (LED) Le taux moyen des pertes foetales chez la patiente lupique est de 22 % dans la littérature (12). La seule étude contrôlée montre un taux moyen d’avortements spontanés au 1er trimestre comparable à celui de la population générale (environ 10 %). Le taux moyen de pertes foetales aux 2e et 3e trimestres est de 6 % (contre 1 à 3 % dans la population générale). La majorité des pertes foetales surviennent aux 2e et 3e trimestres, les trois quarts correspondant à des morts foetales in utero. La plupart des patientes lupiques ayant subi des pertes foetales ont des taux significatifs d’anticorps antiphospholipides (APL) : anticoagulant de type lupique (OR : 4,8 ; IC : 1-23,6) et anticorps anticardiolipine (OR : 20,0 ; IC : 1,3-97,0). Un antécédent de perte foetale et la présence d’anticorps antiphospholipides sont associés à un risque élevé de récidive d’une nouvelle perte foetale sans traitement. • Il existe plusieurs facteurs influant sur le risque de perte foetale chez la patiente lupique : le niveau d’activité du lupus avant la conception. Une poussée de < 6 mois est associée à un risque de perte foetale de 32 %, tandis qu’il diminue à 12 % si cette poussée date de > 6 mois. La fonction rénale, ainsi que l’existence d’une protéinurie sont liées au risque de perte foetale. L’apparition d’un lupus lors de la grossesse semble être associée à un risque accru de perte foetale comme en témoignent plusieurs petites séries. • Le taux d’avortements spontanés chez les patientes présentant un SAPL sans traitement est estimé à 91 %. Des titres faibles IgM ACL sont présents parmi 3 à 5 % des patientes normales. Une étude a montré que le pronostic obstétrical de patientes présentant des taux faibles IgG ou des IgM ACL isolés est identique à celui de la population témoin sans ACL. Le lien entre la présence IgA ACL isolé a été évoqué, mais le rapport entre ces anticorps et le risque de perte foetale n’est pas établi actuellement(13). Plusieurs études prospectives montrent une augmentation des pertes foetales à répétition parmi les patientes présentant des anticorps APL(14). Pattison et coll. ont mesuré, en situation à bas risque chez 900 patientes, la présence d’un anticoagulant circulant ou d’un anticorps anticardiolipine( 11). Le risque de perte foetale était de 16 % dans le groupe présentant un APL, tandis qu’il n’était retrouvé que chez 2 % des patientes ne présentant pas d’APL. • Dans une population sélectionnée de patientes ayant présenté ≥ 2 pertes foetales consécutives, 76 des 366 patientes (21 %) présentaient un anticoagulant de type lupique ou un ACL de plus de 20 UI. La moitié des pertes foetales chez les patientes présentant un ACL correspondaient à des morts foetales in utero (MFIU) en comparaison à 15 % des patientes ne présentant pas d’ACL. Plus de 80 % des patientes présentant un ACL ont présenté au moins une MFIU comparativement à 25 % des patientes sans ACL (p < 0,001) (12).   Valeur pronostique des antiphospholipides en population à bas risque Des taux d’APL peuvent être retrouvés au sein d’une population normale sans relation à un pronostic obstétrical défavorable( 13). La présence d’un ACL lors d’un 1er épisode de perte foetale ou d’avortement précoce sans antécédents n’est pas un facteur de mauvais pronostic obstétrical (14). La présence d’un anticorps antiβ2GPI chez des patientes ne présentant pas d’anticorps ACL n’est pas un facteur de risque d’échec de FIV ou d’avortement spontané à répétition. Ces données ont été confirmées par Lee et coll. qui montrent une forte corrélation entre la présence d’un ACL et d’un antiβ2GPI de type IgM et/ou IgG (les IgA n’étaient pas recherchés), mais une absence de relation entre le pronostic obstétrical et la présence d’un antiβ2GPI. • La relation entre la présence des autres APL et les pertes foetales n’est pas établie actuellement. Une large étude cas-témoins a comparé des patientes sans antécédent de thrombose mais ayant présenté au moins 3 pertes foetales entre 10 et 22 SA, à des patientes témoins ayant présenté des pertes foetales expliquées. Certains APL sont corrélés aux pertes foetales : les antiphosphatidyléthanolamine IgM (OR : 6,0 ; IC : 2,3-15,7 ; p = 0,0003), les antiβ2GPI IgG (OR : 4,4 ; IC : 1,6-11,7 ; p = 0,0035), les anti-annexine V IgG (OR : 3,2 ; IC : 1,2-8,1 ; p = 0,015) (15). La présence de ces anticorps (AC antiphosphatidylsérine, phosphatidylinositol, phosphatidylglycérol, phosphatidyléthanolamine, acide phosphatidique) a été mise en évidence chez des patientes présentant des pertes foetales inexpliquées (16). L’étude d’Aoki et coll. incluant 336 patientes confirme ces données(17). Parmi ces patientes, 38 ont présenté une seconde grossesse avec un risque de perte foetale de 82 % chez les patientes présentant une IgG et de 40 % chez celle présentant un APL de type IgM. Dans ces études, la présence d’anticoagulant circulant n’était pas recherchée ; or, il s’agit d’un des critères diagnostiques de SAPL, syndrome associé à un pronostic obstétrical défavorable. Dans une étude castémoins comparant un groupe de patientes ayant présenté des pertes foetales à répétition, un ACL été mis en évidence dans 17 % vs 4 % ; parmi les patientes ACL-négatives, 10 % présentaient un autre APL(18). Ces données sont néanmoins controversées. En particulier, deux études ne montrent pas de différence pour la présence d’autres APL entre les groupes avec perte foetale à répétition et les témoins dans une population ne présentant pas d’ACL ni d’anticoagulant circulant. Cependant, ces mêmes anticorps ont été mis en évidence dans le sérum de patientes asymptomatiques sans association à un pronostic obstétrical défavorable (19). De plus, la mise en évidence de ces anticorps n’est pas standardisée actuellement et les comparaisons entre les différentes études sont délicates. Il existe également une possibilité de réaction croisée entre les différents tests utilisés. Devant les données limitées et controversées sur les autres APL(en dehors des ACLet des lupus anticoagulants), il nYest pas recommandé de les rechercher en routine.   Valeur pronostique des anticorps antinucléaires Plusieurs études ont retrouvé des taux détectables d’anticorps antinucléaires (ACAN) chez des patientes présentant des pertes foetales à répétition. Edelman et coll. retrouvent unACAN chez 5%de 130 patientes présentant des pertes foetales à répétition contre 2 % des 50 témoins. Cowchock et coll. ont comparé 61 patientes ayant présenté des pertes foetales à répétition à 21 patientes ayant présenté des pertes foetales expliquées. Les auteurs ont mis en évidence un ACAN chez 29 % vs 14 % des patientes(20). De même, Maier et coll. retrouvent la présence d’un ACAN chez 20 % des cas contre 14 % des contrôles (21). D’autres travaux retrouvent des résultats similaires. Harger et coll. retrouvent des ACAN chez 16 % de patientes présentant des pertes foetales à répétition. Le pronostic de la grossesse suivante était identique entre le groupe de patientes présentant un ACAN et le groupe sans ACAN (naissances vivantes 52 % vs 67 %)(22). Cependant, d’après ces études, il n’est pas possible de déterminer un niveau de risque, ni de déterminer si la présence d’ACAN est un facteur de risque indépendant de perte foetale, les études disponibles donnant des taux de récurrence de perte foetale de 17 à 100 %.   Autres anticorps • Anti-Ro/SSA Mavragani et coll. dans une étude rétrospective comparent 154 patientes présentant un anti-Ro/SSA positif (78 LED et 76 sans LED) à 142 patientes anti-Ro/SSA négatives (71 LED et 71 non-LED). Les taux de pertes foetales et de complications obstétricales ne différaient pas entre les deux groupes(23). Dans une analyse en sousgroupe, les patientes avec un anti-Ro/SSA sans LED présentaient davantage de pertes foetales à répétition (23,7 %) que le groupe sans anti-Ro/SSA (7,04 % ; p = 0,0063) et que les témoins (6,4 % ; p = 0,0004). Les auteurs concluent que la présence d’un anti-Ro/SSA n’influe pas sur le pronostic obstétrical. • Anticorps antithyroïde Dans une étude de cohorte sur une population non sélectionnée, Stagnaro-Green et coll. ont mis en évidence la présence d’anticorps antithyroglobuline ou thyroïde peroxydase chez 20 % des patientes. Les pertes foetales survenaient plus fréquemment dans le groupe présentant des anticorps (17 % vs 8,4 %). Cette association a été retrouvée dans une large étude prospective (24). Plusieurs études ne montrent pas d’augmentation de fréquence des anticorps antithyroglobuline et antiperoxydase chez les patientes présentant des pertes foetales à répétition. L’avidité et le titre des anticorps antiperoxydase sont plus élevés chez les patientes qui présenteront une perte foetale. Inversement, les taux de ces anticorps diminuent avec l’évolution de la grossesse dans les grossesses se poursuivant (25). Le risque de mettre en évidence une anomalie est identique quel que soit le nombre de fausses couches consécutives (26).   Conclusion Ainsi, la littérature identifie de nombreux facteurs de risque. Le bilan peut être orienté en fonction de ces facteurs de risque. Toutefois, il n’a d’intérêt que s’il aboutit à un traitement efficace. Les données actuelles sont décevantes. Il est admis que la prescription d’acide acétylsalicylique est inutile, voire probablement délétère compte tenu des dernières publications. Une métaanalyse de la Cochrane Database souligne l’absence d’efficacité prouvée d’un traitement par héparine de bas poids moléculaire (27). Les deux dernières études publiées en 2010 (ALIFEet Spin) n’ont pas mis en évidence une efficacité de ce type de traitement (28,29). Les critères d’inclusion et le schéma thérapeutique sont remis en question actuellement, d’où le grand intérêt de l’étude prospective française menée par le Dr Pasquier à Brest (PREFIX). En revanche, la physiopathologie présumée des accidents gravidiques dus aux APL, qui fait une large place aux phénomènes thrombotiques, a rendu logique la prévention de la récidive de fausses couches par l’utilisation d’anticoagulant et d’antiagrégant plaquettaire. L’association héparine/aspirine, dont les essais randomisés ont montré la supériorité par rapport à l’aspirine seule, est actuellement largement utilisée, diminuant le taux de fausses couches à 54 % (30). La prise en charge de ces patientes reste délicate, bien souvent affaire d’école. L’organisation de réunion multidisciplinaire permet d’établir la prise en charge de manière collégiale, afin de ne pas sur-traiter les patientes.   

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