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Obstétrique

Publié le 31 mai 2025Lecture 12 min

L’évolution du canal pelvien : de Darwin aux césariennes

Daniel ROTTEN, Paris

Avec l’avènement de la bipédie, l’évolution du canal pelvien humain est marquée par un compromis délicat entre locomotion, développement cérébral et succès reproductif. Ce dilemme obstétrical – selon lequel la femme a à la fois un bassin trop large pour la marche bipède et trop étroit pour mettre au monde – est au coeur de notre histoire évolutive et soulève une question fascinante : pourquoi la nature n’atelle pas rendu l’accouchement plus facile ?

L'issue favorable du travail d’accouchement nécessite la conjonction d’une multiplicité de facteurs, tant physiologiques, médicaux que psychologiques. Au premier chef d’entre eux figure la gageure anatomique. Une tête fœtale volumineuse et de larges épaules doivent traverser un canal pelvien rigide et relativement étroit par rapport aux dimensions du fœtus. De plus, au cours de ce périple, la torsion anatomique du bassin leur impose une rotation. Il s’agit d’une situation unique au sein de l’ordre des primates. Par exemple, les macaques ont également un bassin dont les dimensions sont réduites par rapport à celles de la tête fœtale, mais leur canal pelvien est rectiligne. Et chez les grands singes, les dimensions du bassin sont proportionnellement plus vastes que dans notre espèce (figure 1). Figure 1. Représentation schématique des rapports entre les dimensions de la tête fœtale (cercles rouges) et les dimensions du bassin (ronds verts) chez différents primates. Pour faciliter la comparabilité, les représentations sont normalisées sur les largeurs de bassin (d’après les données de A.H. Schultz).   Le dilemme obstétrical   Contrairement à ce que l’on observe chez les autres primates, dans notre espèce la naissance est grevée de taux élevés de mortalité et de morbidité néonatales et maternelles. On estime que, dans le monde, un travail dystocique complique 3 % à 6 % des accouchements. Les disproportions céphalo‐pelviennes en représentent la cause principale. D’après une étude réalisée aux États‐Unis, les disproportions céphalo‐pelviennes compliquent 2,3 % des accouchements (chiffres établis pour des nouveau‐nés de poids de naissance entre 3 000 et 3 999 grammes). Pourquoi l’évolution n’a‐t‐elle pas choisi d’augmenter les dimensions du bassin ou de limiter la taille de la tête fœtale ? Selon la théorie classique, les processus évolutifs qui ont mené à la situation actuelle représentent un compromis entre deux pressions de sélection antagonistes. Ce conflit a été dénommé « dilemme obstétrical ». Augmenter les dimensions du bassin ? Certes un canal pelvien plus vaste faciliterait le passage du fœtus, mais un bassin plus étroit est plus favorable à la locomotion bipédique. Limiter la taille de la tête fœtale au moment de l’accouchement ? Cela nécessiterait la naissance d’un enfant à un stade de développement plus immature. Les données scientifiques récentes invalident les explications habituellement admises et renouvellent notre regard sur les forces en jeu dans la pression de sélection. Le concept de dilemme obstétrical reste retenu, mais il évolue.   Hominidés et évolution   L’apparition de la bipédie Il y a environ 5 à 7 millions d’années, les hominidés ont évolué vers la bipédie. Cette révolution a nécessité des modifications de leur squelette. Pour maintenir le haut du corps à la verticale de l’articulation de la hanche et des jambes, le pelvis s’est raccourci et s’est élargi. Son plus grand axe, initialement antéro‐postérieur, est devenu transversal. Le sacrum s’est abaissé pour dégager les dernières vertèbres lombaires. Globalement le pelvis a acquis une structure en forme d’arc et est désormais capable de supporter le poids de la colonne et de la partie supérieure du corps. La lordose aide à maintenir le haut du corps au‐dessus du pelvis. Les ailes iliaques ont subi un élargissement latéral, les amenant au‐delà de l’aplomb de l’articulation de la hanche et du col fémoral. Cette dernière évolution permet aux muscles glutéaux (les fessiers) d’avoir un meilleur levier pour stabiliser le bassin et garder le tronc dans le prolongement du bassin lors de la marche et de la course. Ils évitent un basculement excessif d’un côté à l’autre lors de la bipédie.   Augmentation de la taille du corps humain Environ 2 millions d’années plus tard, le corps des hominidés a commencé à augmenter de taille. Dans une première étape, cette augmentation a été homogène. Puis, il y a environ 600 000 ans s’est produit un phénomène de croissance différenciée. L’augmentation de la taille de la tête a été bien supérieure à celle de la taille du reste du corps (+ 30 %). Ce phénomène est interprété comme une adaptation de la croissance cérébrale fœtale à l’utilisation croissante d’outils et à l’augmentation des capacités cognitives et culturelles des hominidés. Du point de vue évolutif, deux réponses pouvaient dès lors être envisagées pour faciliter la naissance : avancer la date de la parturition pour qu’elle ait lieu à un moment où la tête fœtale serait de dimensions plus faibles ; ou modifier à nouveau la taille et/ou la forme du bassin ma ternel, qui s’était déjà adapté au bipédisme.   Dimensions de la tête fœtale   Nous faisons partie des espèces dites « altriciales » ou « nidicoles ». À la naissance, le nouveau‐né humain est relativement désarmé et immature. Son développement est dépendant de soins postnatals prodigués par des adultes. L’essentiel de la croissance de notre cerveau est postnatal. À la naissance, le nouveau‐né possède environ 24 % de la masse du cerveau adulte.   Une tête plus petite ? Donner naissance à un stade de développement plus précoce, à un moment où le fœtus pourrait plus facilement s’adapter au canal pelvien, aurait des avantages pour le déroulement de la parturition. Du point de vue mécanique, les bénéfices se raient fœtaux et maternels, avec une diminution de la morbi‐mortalité. Mais cette solution aurait également de nombreux inconvénients. La prématurité entraîne de nombreux risques de santé, tant périnatals que plus tard dans la vie, avec des troubles des fonctions cognitives.   Un cerveau plus développé à la naissance ? Dans cet ordre d’idées, prolonger la durée de la gestation permettrait un développement intra‐utérin supplémentaire du cerveau fœtal, donc une meilleure autonomie du nouveau‐né après la naissance. Ainsi, chez les grands singes, la masse du cerveau des nouveau‐nés serait de 40 % à 70 % de celle du cerveau des individus adultes. Mais cette solution exposerait à deux ordres de difficulté. Les difficultés mécaniques accrues au niveau de la parturition (sauf développement supplémentaire du bassin) ont déjà évoquées ci‐dessus. Un second obstacle tient à la capacité du métabolisme maternel. L’augmentation du métabolisme maternel pour permettre une croissance fœtale optimale semble avoir atteint un plateau vers 40 semaines d’aménorrhée, et ne pas pouvoir augmenter au‐delà. Il est remarquable que, en général, la longueur de la gestation est proportionnelle à la masse corporelle des animaux, elle‐même reflétant le taux métabolique. D’ailleurs, on remarque que la longueur de la gestation humaine est proportionnellement comparable ou même supérieure à celle des grands singes. On considère par exemple qu’il faudrait 7 mois supplémentaires de gestation pour que le cerveau du nouveau‐né humain atteigne à la naissance le même degré de croissance que celui du chimpanzé. La taille du cerveau du fœtus humain à la naissance paraît donc être le fruit d’un compromis évolutif entre croissance et immaturité.   Taille du bassin   Augmenter les dimensions du bassin osseux paraît être, à première vue, la réponse simple au problème mécanique. Mais si l’évolution n’a pas retenu cette solution, c’est que celle‐ci présente des inconvénients.   Contraintes mécaniques Pour expliquer le fait que le bassin osseux n’ait pas subi d’expansion supplémentaire, on a longtemps considéré que celui‐ci avait atteint la largeur évolutive maximale optimisant la bipédie. Toute augmentation de taille supplémentaire élèverait en effet le coût énergétique de la marche et de la course debout en raison de l’effort demandé aux muscles abducteurs. Mais des investigations plus récentes ont montré que, à l'inverse, un bassin plus large, avec une augmentation de la distance entre les articulations sacro‐iliaques et les hanches ou celle du diamètre transverse du bassin, pourrait augmenter l’efficacité de la bipédie. Ce type de modification permet un allongement de la longueur de la foulée et une majoration de la modulation de la vitesse de déplacement lors de la grossesse ou le port de charges antérieures (par exemple, le portage ventral des jeunes enfants, apanage des femmes). Une évolution de ce type aurait pu faciliter l’adaptation des femmes à la déambulation lors de la recherche de nourriture et permettre une meilleure intégration des femmes lors des déplacements en groupe. En fait, ces variations en plus ou en moins jouent seulement à la marge. Les bénéfices d’un pelvis étroit pour faciliter le bipédisme sont vraisemblablement mineurs. Si bien que les contraintes mécaniques ne sont plus actuellement considérées comme des éléments moteurs essentiels de l’évolution de la forme et de la taille du bassin.   Plancher pelvien La stabilité structurelle du plancher pelvien tend à décroître à mesure que les dimensions du bassin augmentent. À pression identique appliquée au‐dessus de lui, le plancher pelvien se déforme plus facilement lorsqu’il est large. Or, du fait de la bipédie, le plancher pelvien, devenu horizontal, est désormais soumis à de fortes contraintes physiques. Il doit supporter le poids des organes abdomino‐pelviens ainsi que le poids du fœtus pendant la grossesse. Il doit résister à la pression intra‐abdominale associée aux activités physiques et à la toux, tout en maintenant la continence. Augmenter la taille du plancher pelvien expose à un risque accru de prolapsus des organes pelviens et d’incontinence. Ceci aurait, parmi d’autres inconvénients, celui de contribuer à diminuer le succès reproductif. Contrebalancer un éventuel élargissement du canal pelvien demanderait une forte augmentation de l’épaisseur du plancher pelvien. Les efforts pour faciliter la déformation de celui‐ci pendant la phase d’expulsion pour permettre à la tête fœtale de le franchir seraient alors majorés. Or les efforts de poussée observés pendant l’expulsion sont déjà maximaux.   Torsion du canal pelvien Le diamètre le plus large du détroit supérieur est ovale et transversal, celui du détroit inférieur est ovale et antéro‐postérieur. Ce changement d’axe ne se retrouve pas chez les autres primates. Chez les grands singes comme les autres singes, le bassin est un canal ovale de grand axe antéro‐postérieur, globalement uniforme. Cette évolution particulière du bassin humain est considérée comme faisant partie des adaptations à la bipédie. Raccourcir le dia mètre antéro‐postérieur du détroit supérieur permet de diminuer le degré de bascule du bassin et de la lordose lombaire nécessaire pour positionner la colonne à l’aplomb des cotyles. Cette modification permet un meilleur équilibre du bassin en position de bout et diminue la pathologie vertébrale. Garder un diamètre antéro‐postérieur allongé du détroit inférieur est avantageux pour la stabilité du plancher pelvien. Des modèles biomécaniques de résistance à la pression ont montré qu’un plancher pelvien de grand axe antéro‐postérieur offrait une meilleure résistance à la pression en comp raison avec un diaphragme de plus grand diamètre ovale transversal ou de forme arrondie. Une hypothèse repose sur la coïncidence de la direction antéro‐postérieure avec la direction des sangles musculo‐aponévrotiques.   Disproportions fœto-pelviennes   Le taux élevé de disproportions fœto‐pelviennes dans notre espèce est paradoxalement la résultante de la poursuite d’une maximisation du succès reproductif. Pour rappel, le succès reproductif est l’une des principales forces motrices de la pression de sélection. Son marqueur pour les études sur l’évolution est le taux de survie des descendants à la naissance. Le succès reproductif est positivement corrélé au poids de naissance, lui‐même corrélé à la taille du cerveau. Il faut donc que le canal pelvien admette le passage d’un pôle céphalique le plus large possible. Mais, c’est le dilemme obstétrical, la taille du bassin doit être limitée pour limiter le risque de pathologies du plancher pelvien. Les dimensions de la tête fœtale, comme celles du bassin, suivent des distributions symétriques. Pour maximiser la réussite re productive, l’évolution a donc rapproché au plus près la médiane de répartition des mensurations céphaliques à la naissance de celle de la médiane des mensurations maximales du bassin (figure 2). Ceci s’avère être la solution la plus favorable pour l’essentiel de la population. Mais ce faisant, il apparaît (à droite des courbes de Gauss sur la figure 2), un taux incompressible de disproportions fœto‐pelviennes. Figure 2. Distributions schématiques respectives des mensurations du pôle céphalique et du bassin. La figure présente une vue théorique de la distribution des mensurations du pôle céphalique (courbe verte) et de celle des mensurations du bassin (courbe bleue). Afin d’optimiser la réussite reproductive, la pression de sélection tend à pousser au maximum la médiane de distribution des mensurations du pôle céphalique vers la médiane de distribution des mensurations du bassin. Ce faisant, il apparaît, à droite des courbes de Gauss, une zone de disproportions fœto‐pelviennes (points rouges). Césariennes et évolution du bassin   Le recours aux césariennes en cas de disproportion fœto‐pelvienne a modifié l’équilibre évolutif plurimillénaire qui s’était instauré entre dimensions respectives du bassin et de la tête fœtale. Depuis les années 1950‐1960, les césariennes sont réalisées avec sécurité dans les pays industrialisés, effaçant le versant obstétrical de la pression de sélection. La seule pression qui persiste désormais, du moins dans les pays à médecine suffisamment développée, est unidirectionnelle : c’est l’optimisation de la taille de la tête fœtale. Or il existe une héritabilité inter générationnelle de la taille du bassin. Une femme née par césarienne pour dystocie fœto‐pelvienne chez sa mère aura elle‐même un risque deux à trois fois plus élevé d’avoir une césarienne pour la même cause en comparaison avec une femme née par voie vaginale. À partir d’un modèle mathématique qu’ils ont développé, Mitteroeker et Fisher ont calculé qu’en deux générations le taux de disproportions fœto‐pelviennes s’est accru de de 10 % à 20 %, soit une augmentation de 0,5 % des naissances. Et qu’il doit continuer à s’accroître…   En résumé   Le terme « dilemme obstétrical » est utilisé pour symboliser le conflit entre les dimensions respectives du bassin maternel et de la tête fœtale lors de l’accouchement. Les recherches contemporaines ont permis d’identifier avec plus de précision les forces qui ont dirigé la sélection darwinienne pour aboutir à l’équilibre actuel. Les modifications du bassin osseux nécessaires à la marche et à la course en station debout se sont produites dans un premier temps. Par contre, la phase d’encéphalisation fœtale s’est accompagnée seulement de modifications modestes du bassin maternel. Un éventuel élargissement a été bridé par les conséquences délétères possibles sur le diaphragme pelvien, désormais horizontal. Le nouveau‐né humain naît immature. Un développement supplémentaire du pôle céphalique est limité par la taille maximale admissible par le bassin osseux maternel, rigide. Également, un allongement de la durée de la grossesse se heurte à la capacité métabolique maternelle, proche de son plateau vers 40 semaines d’aménorrhée. Dans le cadre de cet équilibre atteint par la sélection naturelle, la recherche d’un succès reproductif qui soit optimum pour l’essentiel de la population conduit à un taux incompressible de disproportions céphalo‐pelviennes. L’avènement de l’obstétrique moderne et de la possibilité de réaliser des césariennes avec sécurité apporte désormais une modification à une évolution multimillénaire. Pour en savoir plus • Mitteroecker P, Fischer B. Evolution of the human birth canal. Am J Obstet Gynecol 2024 ; 230 : S841‐S855 • Schultz AH. Sex differences in the pelves of primates. Am J Phys Anthropol 1949 ; 7 : 401‐23. • Mitteroecker P, Windhager S, Pavlicev M. Cliff‐edge model predicts intergenerational predisposition to dystocia and caesarean delivery. Proc Natl Acad Sci USA 2017 ; 114 : 11669‐72.

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