Publié le 15 nov 2024Lecture 8 min
Simplifier la prise en charge de l’incontinence anale chez les femmes
Christian THOMAS, service d’hépato‐gastro‐entérologie et proctologie, Institut mutualiste Montsouris, Paris
L’incontinence anale est un handicap fréquent. Selon les études et la définition qu’on en donne, en particulier si l’on prend en compte l’incontinence aux gaz en plus de celle aux selles solides et liquides, l’incidence se situe entre 5 et 17 % des patients. Elle est plus élevée chez les patientes vivant en institution et représente 2 à 12 % des primipares dans le postpartum(1). Une précédente étude avait montré la présence de ruptures sphinctériennes anales chez 35 % des primipares.
Les facteurs de risques de l’incontinence anale (IA) sont essentiellement les antécédents obstétricaux et la chirurgie anopérinéale. Les affections générales type diabète sucré, affections neurologiques et maladies digestives, notamment les maladies inflammatoires chroniques intestinales sont aussi fréquemment associées. Certaines médications altérant le transit intestinal peuvent également favoriser ce handicap (metformine, psychotropes, etc.)(2).
Les facteurs de risques obstétricaux reconnus sont l’âge maternel, le surpoids, la multiparité, le poids du nouveau‐né supérieur à 4 kg, le diamètre crânien fœtal supérieur à 36 cm, l’épisiotomie médiane, les manœuvres instrumentales. Plus récemment, la pratique intensive du sport à haut niveau ou à raison de plus de 8 heures par semaine a été reconnue.
Physiologie
La physiologie de l’IA repose sur plusieurs éléments :
— la longueur du canal anal et l’angle recto‐anal d’environ 90° au repos dû à l’activité tonique du faisceau pubo‐rectal du muscle releveur de l’anus ;
— un appareil capacitif : le rectum, sorte de réservoir doué de propriétés de compliance et engainé par un muscle lisse, prolongement des couches musculaires du colon ;
— un appareil résistif comprenant le sphincter anal interne (SIA), muscle lisse à innervation autonome sympathique et parasympathique, et le sphincter anal externe (SEA), muscle strié agissant en synergie avec le faisceau pubo‐rectal du releveur, innervé par le nerf pudendal issu des racines sacrées S1, S2 et S3 ;
— le colon à innervation autonome, facilitant la constitution des selles et leur propulsion jusqu’au rectum.
La physiopathologie reconnaît l’importance des ruptures sphinctériennes et de la neuropathie pudendale – notamment par étirement –, qui sont souvent associées, mais aussi l’importance de la qualité du tissu conjonctif de soutènement. Les troubles de fonctionnement du colon, en particulier sa motricité, et ceux du rectum (compliance et activité) sont des causes complémentaires.
Prise en charge
La prise en charge de l’IA repose sur un examen clinique périnéal antérieur et postérieur et sur les explorations fonctionnelles(3).
• La manométrie ano-rectale (MAR) réalisée actuellement, le plus souvent en haute définition, mesure :
— la pression de repos du canal anal majoritairement le reflet du SIA (plus de la moitié) mais aussi du SEA et du tissu hémorroïdaire ;
— la contraction volontaire liée au SEA et au releveur de l’anus ;
— la présence du reflexe recto‐anal inhibiteur (RRAI) lié au système nerveux autonome intrinsèque ;
— les pressions anales lors du test d’expulsion du ballonnet rectal ;
— la longueur du canal anal ;
— la sensibilité rectale : volume seuil de perception, seuil de perception constante et volume maximum tolérable.
• L’échographie endo-anale, examen de référence permettant de visualiser les ruptures sphinctériennes.
• L’exploration neurophysiologique, comprenant un électro‐myogramme (EMG) et mesure de la latence distale motrice anale du nerf pudendal. Ces mesures peuvent être complétées par d’autres tests neurophysiologiques. Cet examen n’est pas de première intention. L’imagerie IRM pelvipérinéale complète ces explorations, notamment en cas de trouble de la statique.
Recommandations de la SNFCP
La Société nationale française de colo‐proctologie (SNFCP) a publié en 2012 ses recommandations concernant la prise en charge de l’IA(4). Elle préconise :
— en première intention : le traitement hygiéno‐diététiques, puis pharmacologique pour réguler le transit et la consistance des selles. Le but étant d’obtenir des selles moulées de type 3 et 4 selon l’échelle de Bristol (figure 1). La rééducation anale est proposée en cas d’échec du seul traitement médical. À noter que les obturateurs anaux ne sont plus commercialisés ;
Figure 1. Qualité des selles selon l’échelle de Bristol (d’après Heaton KW et coll.[5]).
— en deuxième intention : des irrigations coliques transanales tous les 2 ou 3 jours, des séances de neurostimulation percutanée du nerf tibial postérieur (TENS), de 30 minutes par jour pendant au moins 3 mois.
— puis la chirurgie mini‐invasive : la neuromodulation sacrée (NMS) après une période test de 3 semaines avant implantation définitive. Les irrigations coliques antérogrades par une néostomie appendiculaire ou cæcale, intervention de Malone ou par endoscopie interventionnelle ;
— en dernier recours : la colostomie. La réparation du SIA n’est pas indiquée, car sans résultat. Celle du SEA, à distance de la survenue des ruptures, donne de bons résultats la première année, chez environ 80 % des patientes, mais ces résultats se détériorent avec le temps, remettant en question la pertinence d’une réparation à long terme.
Les interventions de type graciloplastie dynamisée ne sont que rarement pratiquées.
Le sphincter artificiel anal et le sphincter magnétique n’ont plus d’autorisation de mise sur le marché.
Prise en charge
La simplification de la prise en charge de l’IA repose sur l’examen clinique et l’utilisation de scores permettant d’appréhender le ou les mécanismes du handicap et d’envisager les perspectives thérapeutiques :
— quantifier l’IA par les scores cliniques ;
— réguler le transit ;
— évaluer l’activité phasique et tonique des sphincters ;
— apprécier l’existence d’une dyschésie associée.
Scores cliniques
Le score le plus utilisé est celui de Jorge & Wexner ou score de Cleveland (figure 2). Il s’agit de quantifier la fréquence d’épisodes d’IA aux selles solides, liquides et gaz et leur retentissement sur la qualité de vie. Ce score va de 0/20 (pas d’IA) à 20/20 (IA complète). Il permet de disposer d’une évaluation de référence avant tout traitement. D’autres scores existent, notamment celui du St Mark’s Hospital de Londres appelé aussi score de Vaizey.
Figure 2. Score de Jorge & Wexner ou score de Cleveland : score fonctionnel d’incontinence fécale(6) et interprétation.
Régularisation du transit
L’objectif est d’obtenir au mieux des selles de type 3 ou 4 selon l’échelle de Bristol.
• En cas de constipation
— Règles hygiéno‐diététiques, activité physique, hydratation.
— Prescription de laxatifs de type huile de paraffine, laxatifs de lest (fibres alimentaires, à base de graines type ispaghul, laxatifs osmotiques par appel d’eau à base de macrogol).
Ces laxatifs peuvent être associés. En cas de dyschésie associée, ou d’utilisation de suppositoires (type effervescent).
• En cas de selles liquides ou molles
— Prescription de mucilages type graines d’ispaghul pour améliorer la consistance des selles.
— Le lopéramide peut être utilisé de façon prolongée à la posologie de 1 à 3 gélules par jour.
— La cholestyramine en sachet peut être utilisée surtout après cholécystectomie et résection iléo‐cæcale modifiant le métabolisme des sels biliaires.
IA et hypotonie du sphincter interne
L’IA est de type « passive » avec souillures non perçues. L’examen clinique peut noter une béance anale, voire un étirement de la marge anale. Le toucher rectal (TR) note une hypotonie de repos alors que la contraction volontaire est de bonne qualité.
Outre les règles hygiéno‐diététiques, la prise en charge fait appel au traitement médical, en particulier le lopéramide qui par ailleurs augmenterait l’activité tonique du SIA. En théorie, le SIA n’est pas accessible à la rééducation. Cependant cette dernière peut améliorer le SEA responsable d’une partie de la pression de repos.
En cas d’échec du traitement médical, voire de la rééducation, la neuromodulation sacrée sera envisagée. La TENS peut être proposée au préalable pendant 30 minutes par jour pendant au moins 3 mois.
Les agents de gonflement (bulking agents) et la radiofréquence n’ont pas prouvé leur efficacité et sont donc très peu utilisés.
La réparation chirurgicale du SIA n’est pas efficace.
IA et hypotonie du SEA
Cliniquement il s’agit d’urgences défécatoires. Au TR, la pression de repos est bonne (sauf en cas d’hypotonie mixte) et la contraction volontaire, cotée de 0/5 à 5/5, est diminuée ou rapidement épuisable.
Le traitement médical est complété par la rééducation du SEA. Malgré l’hétérogénéité des études contradictoires, la SNFCP recommande la rééducation par biofeedback à raison d’au moins 10 à 20 séances, 2 fois par semaine avec séances de rappel. L’adjonction de stimulation électrique n’est pas formellement démontrée comme bénéfique.
En cas d’échec, la NMS et le TENS pourront être indiqués. La rupture du SEA n’est pas une contre‐indication à la NMS.
La réparation du SEA est efficace chez environ 70 à 80 % des patients la première année, mais les résultats se détériorent à long terme, remettant en question son indication tardive.
IA et dyschésie
La dyssynergie recto‐sphinctérienne ou anisme peut être évoquée au TR sur la non‐relaxation ou la contraction paradoxale du SEA et du pubo‐rectal lors des efforts de poussée. La rééducation est une indication importante de la prise en charge, associée à un traitement facilitant l’évacuation rectale type suppositoires effervescentes, voire à des lavements. Les troubles de la sensibilité rectale ou le défaut d’activité rectale peuvent être suspectés si le TR perçoit un rectum empli de matières, sans qu’il y ait de perception du besoin par la patiente. La rééducation peut améliorer les symptômes.
La dyschésie liée à un trouble de la statique périnéale type rectocèle, prolapsus muqueux anal obstructif (intussusception recto‐anale) justifiera des explorations complémentaires, notamment par l’imagerie, avant décision chirurgicale.
Quid en cas d’échec ?
En cas d’échec des traitements médicaux, de la rééducation et avant décision chirurgicale peuvent être proposés des lavements coliques par voie anale (sets de lavements Coloplast®) ou par voie antérograde (intervention de Malone ou par endoscopie interventionnelle). La colostomie reste le dernier recours.
Récemment, une étude multicentrique a été publiée prouvant l’efficacité de la toxine botulique injectée en rectal par voie endoscopique en cas de trouble de la motricité rectale. L’injection de cellules souches représente également un espoir.
Dépistage, prévention et conseil
Un dépistage est préconisé chez les patientes à risque qui présentent un ou plusieurs des critères suivants : âge maternel supérieur à 35 ans, surpoids (IMC > 30), multiparité, poids du nouveau‐né > 4 kg à la naissance, diamètre crânien fœtal > 36 cm, distance ano‐vulvaire < 2 cm, épisiotomie médiane, manœuvres instrumentales.
Le bénéfice‐risque d'une césarienne préventive est discuté, mais celle‐ci sera conseillée en cas d’IA avérée, d’anomalies significatives perçues lors d’explorations fonctionnelles et selon le souhait de la patiente.
Il faut cependant rassurer les patientes, car les trois quarts d’entre elles recouvrent une continence anale normale dans les 6 mois post‐partum. Cela justifie un délai de 6 mois pour les explorations fonctionnelles.
En conclusion
L’incontinence anale est un handicap fréquent. Les mécanismes en sont multiples. L’examen clinique permet le plus souvent d’orienter la prise en charge par un traitement médical et une rééducation en première intention.
Les explorations fonctionnelles sont à envisager après échec du traitement de première ligne et avant décision chirurgicale ou 6 mois après un accouchement compliqué.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
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