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Ménopause

Publié le 05 déc 2023Lecture 8 min

Traitement hormonal de la ménopause et cancer du sein - Le point en 2023

Marc ESPIÉ, Centre des maladies du sein, hôpital Saint-Louis, Paris

Le traitement hormonal de la ménopause est prescrit depuis de nombreuses années pour soulager les symptômes climatériques mais aussi à visée préventive pour réduire les risques d’ostéoporose et, initialement, coronariens. Les prescriptions se sont effondrées après la publication de l’étude randomisée WHI au début des années 2000. Un point sur la situation.

L'étude américaine Women­Health­Initiative (WHI) de 2002 sur le traitement hormonal de la ménopause (THM) comportait deux populations : une première population qui était randomisée entre des estrogènes conjugués équins et de l’acétate de médroxyprogestérone versus un placebo ; et une seconde population de femmes qui avaient eu une hystérectomie et qui étaient donc randomisées entre estrogènes conjugués équins seuls versus un placebo.   Bras estrogènes conjugués équins + acétate d’ aédroxyprogestérone   Cette étude a donc montré un surrisque de diagnostic de cancer du sein, variable suivant les pu blications entre 1,24 et 1,28, souvent à la limite de la significativité statistique. Il faut préciser que cette étude n’a pas été ajustée sur d’autres facteurs de risque, et que, lorsque cet ajustement a été fait, on ne notait plus d’élévation statistiquement significative du risque avec un risque relatif à 1,20 (0,94-1, 53)(1). Il faut noter, par ailleurs, qu’il n’y avait pas d’élévation du risque en l’absence de traitement hormonal antérieur, pas d’élévation du risque jusqu’à 7 ans de prise et que le risque était plus élevé chez les femmes âgées que chez les femmes jeunes. Cette étude était évo catrice d’un effet de promotion de ce type de traitement hormonal de la ménopause sur des cancers infracliniques sous-jacents.   Étude E3N de la MGEN   Il s’agit d’une étude de cohorte (ce n’est pas un essai randomisé) menée entre 1990 et 2012. Une publication en 2008 avec une médiane de suivi de 8,1 ans a montré l’apparition de 2 354 cas de cancer du sein parmi 80 377 femmes. Il a été retrouvé une élévation du risque de cancer du sein chez les femmes traitées par estrogène seul, avec un risque relatif de 1,29 (1,02-1,65). Il n’y a pas eu d’élévation du risque sous estrogène + progestérone naturelle (RR : 1,00 ; 0,83-1,22) ni sous estrogène + dydrogestérone (RR : 1,16 ; 0,94-1,43). On a retrou vé, en revanche, une augmentation du risque avec les estrogènes associés à d’autres progestatifs que la progestérone naturelle, avec un risque relatif à 1,69 (1,50- 1,91)(2). Il existait donc une discordance entre les résultats de l’étude WHI associant estrogènes conjugués équins et acétate de médroxyprogestérone et l’étude E3N.   Autres données quant au type de progestatifs et d’estrogènes en termes de risque de cancer du sein   Les études antérieures étaient souvent discordantes, mais, schématiquement, si l’on note une élévation du risque de diagnostiquer un cancer du sein pour les associations estrogènes + acétate de médroxyprogestérone, cette augmentation semblait plus importante avec des progestatifs dérivés de la testostérone, comme c’est assez souvent le cas dans les pays scandinaves, alors qu’en cas d’utilisation de la progestérone naturelle, les études, pour l’essentiel françaises, étaient rassurantes. • En effet, en 2002, l’étude de Bruno de Lignières n’avait pas retrouvé d’augmentation du risque chez des femmes qui avaient pris un traitement hor monal de la ménopause, et ce, avec suivi de 8,9 ans en moyenne, le risque relatif (après ajustement) étant à 0,98 (0,65-1,5)(3). Les traitements utilisés étaient, majoritairement, des estrogènes sous forme de gel transcutané et de la progestérone micronisée orale. Il y avait moins de 3 % d’acétate de médroxyprogestérone. Dans cette étude, il n’avait pas été observé d’effet durée. • L’étude MISSION est une deuxième étude française, me née par la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, qui souhaitait refléter en vie réelle la prescription du traitement hormonal de la ménopause en France. Au total, 6 755 femmes ménopausées ont été incluses dans cette étude, avec une exposition moyenne au THM de 8,3 années et avec des expositions au traitement hormonal de plus de 10 ans chez 31 % des patientes traitées(4). Les patientes prenaient un traitement hormonal associant, là encore, majoritairement des estrogènes administrés par voie cutanée et des progestatifs naturels dans près de 50 % des cas ; pour les progestatifs de synthèse, les femmes prenant de l’acétate de médroxyprogestérone ou des dérivés de la 19-nortestostérone avaient été exclues. Il n’a pas été mis en évidence de surrisque de cancer du sein dans cette population, avec un risque relatif à 0,91 (0,44-1,85). Ces données franco-françaises étaient, cependant, bien isolées par rapport aux données internationales, jusqu’à ce qu’une étude finlandaise retrouve également qu’il n’y a pas de surrisque de cancer du sein en associant des estrogènes avec de la dydrogestérone (SIR : 1,13 ; 0,49-2,22) à la différence de ce que l’on observe avec les autres progestatifs(5). • En France, à nouveau, Émilie Cordina-Duverger s’est intéressée à ce surrisque de cancer du sein éventuel associé au THM. Elle a mis en évidence une élévation du risque avec les estrogènes et les progestatifs mais pas d’élévation chez les femmes traitées par estrogène seul, et, surtout, pas d’élévation en cas d’utilisation d’estrogène + progestérone naturelle (OR = 0,80 ; 0,44-1,43)(6). Il n’a pas été mis en évidence d’effet durée, puisque, pour une utilisation de plus de 4 ans, on note un OR à 0,79 (0,37-1,71) pour les estrogènes, toujours associés à la progestérone naturelle. • Plus récemment, en Angleterre, les données de l’UK Clinical Practice Research data-link ont été publiées : 43 183 femmes avec un cancer du sein ont été appariées à 431 830 témoins. Si l’on note, globalement, une petite élévation du risque en cas d’utilisation d’un traitement hormonal (OR = 1,12 ; 1,09-1,15), il n’y a pas d’élévation du risque en cas d’utilisation de proges térone micronisée (OR = 0,99 ; 0,55-1,79)(7). Les données concernant donc un traitement hormonal associant estrogène + progestérone naturelle ou dydrogestérone sont rassurantes.   Comparaisons estrogènes vs estrogènes + progestérone   La deuxième partie de l’étude WHI concernait donc 10 739 femmes ménopausées qui avaient eu une hystérectomie et qui étaient randomisées entre des estrogènes conjugués équins à la dose 0,625 mg/jour à un placebo. Les données ont été actualisées avec une médiane de suivi de 11,8 ans et une durée médiane d’utilisation des estrogènes de 5,9 ans. Il a été observé une réduction de l’incidence de la survenue d’un cancer du sein sous estrogène conjugué équin (HR = 0,77 ; 0,62-0,95). Si on ne s’intéresse qu’aux femmes qui avaient réellement pris le traitement par estrogènes conjugués équins, le hazard­ratio est à 0,68 (0,49-0,95). On note donc une diminution de survenue des cancers du sein chez les femmes qui prenaient un traitement par estrogène conjugué équin par rapport à celles qui prenaient un placebo(8). L’utilisation des estrogènes a été associée à une réduction du risque de survenue des cancers canalaires infiltrants mais pas des cancers lobulaires. On a observé une réduction statistiquement significative des cancers Her-2 négatifs mais pas des cancers Her-2 positifs. Il faut cependant être prudents dans ces analyses en sous-groupes, car beaucoup de données manquaient. Il n’a pas été observé de différence significative en fonction des récepteurs hormonaux ni du grade des tumeurs. Cette étude a même mis en évidence une réduction de la mortalité glo bale sous estrogènes conjugués équins (HR = 0,62 ; 0,39-0,97 ; p = 0,04) et, également, une réduction de la mortalité par cancer du sein (HR = 0,37 ; 0,13- 0,91 ; p = 0,03). L’étude WHI a été à nouveau publiée en 2020, après une durée médiane de suivi de plus de 20 ans et des données de mortalité pour 98 % des femmes de cette étude. Dans le bras estrogène conjugué équin seul versus placebo, on retrouve toujours une diminution de l’incidence du cancer du sein (HR = 0,78 ; 0,65- 0,93 ; p = 0,005) et une diminution de la mortalité par cancer du sein (HR = 0,60 ; 0,37-0,97 ; p = 0,04). Dans le bras estrogène conjugué équin + acétate de médroxyprogestérone ver­sus placebo, qui concernait 16 608 femmes, on retrouve l’incidence accrue de diagnostic d’un cancer du sein avec un hazard ratio à 1,28 (1,13-1,45 ; p < 0,01), sans différence statistiquement significative en termes de mor talité (HR = 1,35 ; 0,94-1,95 ; p = 0,11)(9). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cet effet de réduction de survenue d’un cancer du sein sous estrogène : – l’effet, éventuellement antiestrogène des estrogènes conjugués équins, qui pourrait avoir un effet de type SERM. Ainsi, les estrogènes conjugués équins sont composés de plus de 10 estrogènes différents, avec une liaison possiblement plus importante aux récepteurs bêta des estrogènes que le 17-bêta estradiol ; – il pourrait également s’agir d’un effet-dose chez des femmes ménopausées. En effet, le bras estrogène conjugué équin + acétate de médroxyprogestérone a concerné des femmes qui avaient en moyenne 67 ans, bien plus âgées que lors de nos prescriptions habituelles de THM, et dont le taux d’estrogène est effondré. On peut avancer l’hypothèse que les cellules cancéreuses s’étaient en fait adaptées à ces taux très bas d’estrogènes pour croître ; l’administration d’estrogène aux doses d’un traitement hormonal pourrait avoir un effet inhibiteur, comme on a pu l’observer avec le diéthylstilbestrol à forte dose qui était très efficace dans le traitement des cancers du sein métastasés, parfois même plus efficace que le tamoxifène. Il a également été démontré, sur culture cellulaire, un effet proapoptotique des estrogènes ; ils augmentent également la formation des desmosomes, réduisant l’aptitude à métastaser des cellules cancéreuses. Il reste à savoir avec certitude si l’on peut extrapoler ce qui a été observé avec les estrogènes conjugués équins à d’autres estrogènes.   Conclusion   Ces études épidémiologiques confirment donc l’effet promoteur de certains THM sur certains cancers du sein infracliniques préexistants. Le risque relatif observé est faible. Il faut souligner que le THM réduit la sensibilité du dépistage organisé en augmentant la densité mammaire comparativement aux femmes qui ne prennent pas ces traitements. Enfin, il faut noter que dans les études qui associent estrogène et progestérone naturelle ou dydrogestérone, on ne retrouve pas d’excès de cancers du sein. Il convient donc de replacer le THM dans le cadre d’un rapport bénéfice-risque. Il n’est pas question de traiter toutes les femmes par THM, mais de le proposer aux femmes qui en ont besoin, soit pour des symptômes climatériques, soit en fonction de facteurs de risques individuels.

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