Publié le 31 aoû 2023Lecture 8 min
Mécanismes de la douleur dans l’endométriose et implications thérapeutiques
Delphine LHUILLERY, algologue spécialisée en douleurs gynécologiques, clinique Oudinot, Paris
L’endométriose concerne à ce jour 10 % de la population féminine(1). la douleur est le point cardinal de cette maladie, mettant en jeu des troubles de la contractilité utérine, des phénomènes inflammatoires mais surtout des mécanismes physiopathologiques neurologiques, corporels et corticaux qui s’installent en vrai cercle vicieux. La compréhension de ces mécanismes permet une meilleure prise en charge.
Les mécanismes physiopathologiques ou étiologiques de l’endométriose ne sont, à ce jour, pas totalement éclaircis. Inflammatoire et immunitaire, associée à des maladies auto-immunes, sous le contrôle de désordres hormonaux entraînant une dyscontractilité de l’utérus(1,2), la douleur est la résultante de désordres. À point de départ physiologique, elle évolue, modulée par les impacts corporels consécutifs et corticaux.
Mécanismes de la douleur : de la lésion à l'hypersensibilisation
Le triptyque de la douleur (figure 1)
Figure 1. Le triptyque de la douleur (d’après D. Lhuillery).
L’endométriose est reconnue comme une maladie inflammatoire. Spontanément, l’idée est de prendre en charge la maladie, douloureuse à ce titre. Or, les phénomènes inflammatoires au niveau des implants endométriosiques, par l’augmentation des facteurs pro-inflammatoires (prostaglandines) et immunitaires (interleukine 6, etc.), entraînent une infiltration des nerfs et l’expression d’une douleur neuropathique(1,2).
La description clinique est typique : douleurs à type d’à-coups (décharges électriques, coups de poignard, élancements, etc.) et/ou à type de fond permanent continu (brûlures, tiraillements, etc.), irradiant en hémi-ceinture vers les lombaires, vers les membres inférieurs ou encore vers les fosses iliaques. En outre, le dérèglement du système nerveux autonome (SNA), qui représente la majeure partie de l’innervation du pelvis, augmente l’expression névralgique par majoration aussi de phénomènes inflammatoires.
Retenons que la part inflammatoire clinique responsable directement des douleurs est limitée et ne se manifeste qu’au cours des menstruations, lors desquelles les saignements augmentent de façon majeure la production de substances chimiques inflammatoires.
Le deuxième élément impliqué dans la douleur est corporel(3). Au-delà du phénomène d’adhérence, l’irritation névralgique entraîne une perte de mobilité des tissus : organes en tant que muscles, tendons ou ligaments. Le point de départ reste le tissu initialement touché par l’implant endométriosique, puis, de proche en proche, chaque tissu de l’abdomen et du pelvis va s’arrêter de bouger. Tout tissu « élastique » qui s’arrête de bouger devient algique par contraction. Ce phénomène en - traîne aussi l’augmentation de l’irritabilité nerveuse(1). Un cercle vicieux s’installe. Cette immobilité explique, pour une part, l’extension des douleurs au cours du temps sans que l’endométriose croisse, mais aussi un certain nombre de symptômes qui en découlent : troubles fonctionnels intestinaux (alternance constipation/ diarrhée, ballonnements, etc.), dysuries (augmentation du nombre des mictions, sensation de pesanteur ou de brûlures urinaires), douleurs lombaires, nausées et éructations (blocage diaphragmatique réduisant la vidange stomacale, etc.).
Le troisième élément de ce triptyque douloureux est cortical. Le cerveau va être le lieu de modulation informative via les différentes structures cérébrales im pli quées dans la douleur. De fait, des émotions négatives (anxiété, dépression, peur, etc.), des idées négatives (aspect cognitif) ou certains comportements (évitement, etc.) vont entraîner une augmentation de l’activité électrique de la matrice douleur. Ainsi, les circonstances d’apparition d’une douleur ou les éléments péjoratifs de l’histoire de vie vont influencer l’impact du cerveau.
Notre interrogatoire doit s’intéresser à ce passé. Par exemple, on estime qu’une femme sur deux touchée par l’endométriose aurait subi un traumatisme psychique pendant l’adolescence, de gravité variable, prolongé(4). Attention à ne pas réduire la plainte à une cause psychique. Le point de départ est bien physiologique mais se trouve modulé négativement par le psychisme, dont la signature anatomique est une hyperactivité électrique de la matrice douleur et la conséquence clinique, un ressenti algique plus intense.
Hypersensibilisation : le lit de la chronicisation
L’hypersensibilisation signifie non seulement une augmentation de l’information nociceptive mais aussi une durabilité de ce phénomène pour le futur. C’est un phénomène neurophysiologique qui s’ancre au cours du temps et qui est causé par trois éléments : une exposition répétée à des douleurs, le vécu de stress multiples ou la prise d’opioïdes. L’hypersensibilisation est sous-tendue anatomiquement par des mécanismes périphériques (hyperexpression des récepteurs NMDA, etc.)(5) et centraux (modifications structurelles centrales). Ainsi, physiologiquement, elle s’exprime en périphérique par un seuil de détection de l’information nociceptive plus bas et une augmentation de l’information électrique entraînant au niveau cortical des réponses amplifiées et stratégiques inadaptées (augmentation des émotions, etc.). L’hypersensibilisation à la douleur est d’autant plus importante et rend d’autant plus difficile sa prise en charge que son apparition et ses causes sont plus précoces dans une vie(6).
Responsabilité des hormones, dès le début
Il est parfaitement établi que la prévalence de la douleur chronique est plus importante chez la femme que chez l’homme(2,7). De facto, les femmes auraient un seuil de sensibilité à la douleur plus bas et plus rapide, associé à un seuil de tolérance plus bas et à des réponses corticales plus longues(7). Ces dernières années, des études expérimentales ou cliniques ont décrit l’influence des hormones sur les mécanismes de transmission et de modulation du signal nociceptif. Pour autant, un consensus sur des conclusions n’est pas encore formellement établi mais explique que les stratégies ou les réponses à la douleur se différencient en fonction du sexe(8,9). En simplifiant, les hormones prédominantes masculines sont, chez l’homme, la testostérone et, chez la femme, le couple estrogène-progestérone. Ces derniers influent sur l’information nociceptive partant de la lésion vers le cortex, et sur l’intégration de ces informations et de la réponse corticale à suivre(9). Retenons qu’un taux trop ou pas assez élevé de ce couple hormonal entraînera une amplification du message douloureux à tous les étages ! On comprend mieux l’intérêt d’une hormonothérapie en continu, stabilisant le système (en plus de « couper » les règles) mais aussi les raisons des douleurs provoquées par l’ovulation par excès hormonal chez certaines ou par manque hormonal au moment des règles.
Implications thérapeutiques (figure 2)
Figure 2. Les approches thérapeutiques selon le triptyque de la douleur (d’après D. Lhuillery).
Traitements médicamenteux antalgiques
Le message principal est de limiter l’utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et des opioïdes quels qu’ils soient aux crises de dysménorrhées. De plus, ces derniers sont peu actifs dans le cadre des douleurs neuropathiques et alimentent le système d’hypersensibilisation. On estime, chez les femmes touchées par l’endométriose, un risque de dépendance multiplié par 2,7 et un risque d’overdose multiplié par 4(10). Ainsi, pour les douleurs pelviennes chroniques ou les dyspareunies de mécanisme neuropathique, les traitements de fond proposés sont les antiépileptiques (gabapentine ou prégabaline) ou les antidépresseurs à visée antalgique (amitriptyline, duloxétine, etc.). Parmi ces derniers, tous ne sont pas antalgiques ; seuls les sérotoninergiques et les noradrénergiques sont efficaces. Les doses proposées sont en général très inférieures à leur effet antidépresseur, ainsi que leur délai d’action. La balance effet désirable/effet indésirable sera à suivre. Ajoutons que les traitements locaux ont leur intérêt.
En cas de crises douloureuses, en dehors des dysménorrhées pour lesquelles les AINS restent de mise, le traitement le plus proposé est le néfopam pour son action sérotoninergique et noradrénergique. Il est non opioïde et réduit même les hyperalgésies au même titre que le paracétamol qui lui sera associé.
Hormonothérapie et chirurgie : l’avis de l’algologue
L’hormonothérapie a pour objectif de stopper les menstruations sans effet indésirable. Elle n’est pas antalgique et ne résoudra pas la problématique neuropathique. Par ailleurs, un taux hormonal mal adapté, taux interindividuel, peut augmenter les mécanismes nociceptifs (voir ci-dessus). La chirurgie fait partie de l’arsenal thérapeutique de l’algologue mais rarement en première intention compte tenu de ses conséquences post-cicatricielles neuropathiques et adhérencielles.
Traitements non médicamenteux
• Neurostimulation transcutanée (TENS). Cet appareil, remboursé et prescrit par un médecin de la douleur, n’est pas à négliger. Non médicamenteux, il remplit sa fonction à trois égards dans les douleurs de tout type(11) : antalgique (par contre-stimulation dite « Gate Control » et par courant endomorphinique), mobilité du système musculo-tendino-ligamentaire et action anti-inflammatoire du SNA via la stimulation du parasympathique (logé au niveau de la cheville).
• Approches corporelles. En chefs de file, l’ostéopathie par fasciathérapie ou la mésothérapie peuvent relancer la mobilité et libérer les tissus, ce qui permet de proposer la rééducation pour renforcer après avoir réduit l’hypertonicité. La reprise de l’activité physique à quota (« en rapport avec » les capacités du moment) est indispensable et semble agir à différents niveaux, physique et psychique, dans le cadre de l’endométriose(12).
• Approches corticales. Les liens entre la douleur et l’anxiété, la dépression, le stress ou la fatigue ne sont plus à démontrer. Les approches d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont permis de mieux comprendre les mécanismes d’action des différentes approches corticales sur les aires de la douleur. Ainsi, les aires corticales réceptionnant l’information douloureuse (cortex somatosensoriel, cortex cingulaire antérieur, cortex insulaire, etc.) se trouvent modifiées dans leur activité « électrique » par la pratique des techniques de pleine conscience telles que la méditation, l’hypnose ou encore par la prise en charge psychothérapique ou la relaxation. Des études montrent leurs bienfaits sur la douleur(11,13). Elles entrent à part entière dans la prise en charge globale des patientes douloureuses touchées par l’endométriose.
En conclusion
La compréhension des mécanismes algologiques dans le cadre de l’endométriose est indispensable pour mieux aborder les thérapeutiques adaptées. En complémentarité avec la prise en charge plus spécifique des gynécologues, les orientations algologiques, médicamenteuses ou non, doivent faire partie de la prise en charge globale des patientes touchées par l’endométriose y compris les adolescentes(14). La prise en charge de la douleur est notre enjeu commun.
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