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Grossesse

Publié le 09 avr 2023Lecture 11 min

Et si on se penchait sur la bientraitance en gynécologie-obstétrique ?

Israël NISAND - Professeur de gynécologie-obstétrique

Depuis le lancement du mouvement #MeeToo en 2017, notre spécialité traverse une période de sévère remise en question, vécue comme injuste tant les pratiques du soin ont évolué dans le bon sens en quarante ans. Si l’enquête périnatale de 2021 a bien montré que 96 % des femmes sont satisfaites de leur suivi de grossesse et de leur accouchement, il n’en reste pas moins que, dans notre pays, le syndrome de stress post-traumatique hante le postpartum sans que nos organisations de soins le prennent suffisamment en compte, tout comme ses conséquences néfastes sur les enfants qui le subissent.

Le syndrome posttraumatique touche 30 % des femmes qui ont eu une césarienne en urgence, mais aussi 1 à 2 % des femmes dont l’accouchement s’est dé roulé sans aucune complication. On peut dire que l’immense succès de notre spécialité a été la division par cent des mortalités maternelles et périnatales, mais qu’il nous reste encore des progrès à faire sur le plan qualitatif. Il faut reconnaître que l’heure n’est pas à l’autosatisfaction, car les équipes obstétricales médicales et paramédicales se paupérisent, et que chaque départ, par un effet domino, aggrave la situation de celles et ceux qui restent. Des équipes qui se sentent maltraitées peuvent hélas devenir mal traitantes, car elles ne peuvent consacrer le temps nécessaire ni au soin ni à la formation permanente de l’ensemble des équipes en matière de bientraitance. Celle-ci n’est pas assez à l’ordre du jour des discussions des équipes médicales, préoccupées qu’elles sont de « tenir ». Et pourtant, il faudrait en faire une véritable science et instaurer des discussions collectives autour des « accrocs » remontés par les patientes.   L’accouchement, le plus beau jour de la vie d’une femme ? Rassurer les femmes sur l’absence de risque lors de l’accouchement n’était pas une bonne idée. Et cela ne l’est toujours pas. L’accouchement, le plus beau jour de la vie d’une femme ? Tous ceux qui en connaissent les coulisses savent que ce n’est qu’une mauvaise blague, au bas mot, une tromperie. Dans 40 à 50 % des cas, il n’en est rien. Et les promesses non tenues sont la cause d’un désappointement grandissant. L’idée est issue d’un fort ancien paternalisme à relent nataliste : surtout ne pas effrayer ces « êtres fragiles » que sont les femmes, et qui risqueraient de ne plus vouloir se lancer dans l’aventure reproductive. Mais, outre le fait que la vérité est due, il y a fort peu de risque qu’une information de qualité ait, même de manière minime, affecté le désir d’enfant qui dépend de bien d’autres paramètres. Le défaut d’information sur l’aventure obstétricale confine désormais à la faute professionnelle. Tout le monde a oublié que sur 100 000 naissances, 8 femmes décèdent, ce qui fait, bon an mal an, 60 décès en couches pour notre pays chaque année. Et dans certaines régions, c’est plus, car la précarité aggrave tout, même la mortalité maternelle en couches. Même s’il apparaît que certains de ces décès sont évitables, on peut battre notre coulpe à l’infini, ils ont bel et bien lieu et de manière constante au fil du temps. Et aussi honteux que nous soyons de cet état de fait, nous n’en parlons jamais. Silence pudique. Comme si nous nous en sentions tous individuellement responsables. Une embolie amniotique fatale peut entraîner celui ou celle qui avait la malchance d’être de garde ce jour-là dans une procédure pénale. Il sera auditionné par un officier de police judiciaire le soir même, entre deux gendarmes, comme un vulgaire malfrat. Quand ce n’est pas la maternité qu’on ferme au prétexte d’une enquête sur la dangerosité du lieu. Une occasion supplémentaire de « diminuer l’offre de soin qui coûte si cher » : nos énarques n’ont que cette idée-là en tête depuis quarante ans. Il faut d’ailleurs dire qu’ils ont bien réussi : 1 375 maternités de moins dans les années 1970, 450 en 2023. Si on additionne les 15 % de grossesses pathologiques aux 10 % de césariennes en urgence et aux 20 % d’extractions instrumentales, toutes inopinées, sans compter les analgésies insuffisantes, on arrive à 50 % des accouchements qui ne se passent pas comme les femmes avaient pu en rêver. 40 % de transferts depuis les maisons de naissance où le très bas risque est pourtant sélectionné. Et le corps médical a cautionné ce rêve sur l’air de Tout va très bien madame la marquise.   Protection paternaliste, une faute professionnelle collective Cette ambiance lénifiante, à l’heure où l’on informe méticuleusement sur un « pouillème » de complication en chirurgie, place les femmes dans une sorte d’impréparation dont on peut dire qu’elle rend sûrement compte d’une partie des dépressions postpartales. Rien n’est pire que de n’avoir pu anticiper, que de n’avoir pu se préparer, que d’avoir été nimbée dans une sorte de protection paternaliste qui s’assimile aujourd’hui à une véritable faute professionnelle collective.   Un défaut d’information sur la grossesse Oui, l’accouchement et la passade obstétricale demeurent des épreuves pour les femmes qui ne peuvent correctement s’y préparer, car notre profession cache encore et toujours sous un voile pudique les complications, à l’instar du champ dont on recouvrait les foetus morts pour ne pas que leurs mères les voient. Les femmes ont droit à une information sincère et complète sur les complications qui peuvent émailler un accouchement, et il faut cesser de les traiter comme des enfants qui ne pourraient pas supporter ces informations. Premier manquement donc, le défaut d’information collectif sur la grossesse et l’accouchement. Même si l’accouchement est inéluctable, les patientes ont droit à une information sur ce qui peut arriver au cours d’un accouchement. Arrêtons l’intox qui consiste à rassurer les femmes comme s’il fallait ménager « ces êtres si fragiles ».   Le respect du consentement Deuxième manquement, l’apprentissage du consentement et de son aspect transitoire. Une femme qui dit « stop», c’est stop tout de suite. On a confondu les actes chirurgicaux sous anesthésie générale, où l’on poursuit le geste quoi qu’il arrive, avec ceux effectués sur une femme non endormie. Une femme qui consulte devrait savoir que l’examen physique n’est jamais systématique et qu’il est toujours conditionné par son accord. Au cours d’une consultation d’obstétrique, l’examen est rarement nécessaire et exceptionnellement utile. Son désagrément pour les femmes est cependant constant. Mais elles s’y résignent, estimant, à tort, que c’est indispensable. Où est notre balance bénéfice-risque lorsqu’on examine de manière systématique toutes les femmes qui nous consultent ? La question doit donc leur être posée en fin d’anamnèse : « Souhaitez-vous que je vous examine ? » En l’absence de symptomatologie fonctionnelle ou de nécessité d’un dépistage, il faut leur dire que ce n’est pas nécessaire. Et si l’examen ou le geste s’avère douloureux, l’arrêt doit être im médiat. On voit ensuite comment on peut avancer ensemble. Un deuxième consentement n’est pas inutile avant de toucher à l’intimité d’une femme installée pour l’examen : « Êtes-vous prête ? » Ce petit rappel sert à montrer que, dans notre médecine de l’intimité, nous sommes particulièrement précautionneux et que, si le médecin propose, c’est bien la femme elle-même qui dispose, quel que soit le moment de l’examen, ce qui est conforme à la loi. Rien de pire que le « c’est dans la tête » ou « mais non, ce n’est pas douloureux » ou, pire encore, « ne soyez pas si douillette ». Et considérer que l’endométriose, c’est de toute façon douloureux, ou qu’une catégorie de femmes est plus sensible qu’une autre constituent des généralisations qui ne sont désormais plus admises par nos patientes.   Le tabou des agresseurs sexuels en gynécologie Troisième manquement : le tabou des agresseurs sexuels qui malheureusement existent dans notre profession. Ni plus ni moins que dans les autres professions. Mais dans la nôtre, médecine de l’intimité, les séquelles peuvent être du même ordre que celles provoquées par l’inceste. La trahison, là où on aurait dû être le plus en confiance. En réalité, aucune enquête n’a jamais été menée dans notre pays, et nous ne connaissons pas les chiffres réels de ce phénomène. Mais les faits-divers sont là pour nous rappeler que, à chaque fois, des personnes savaient… et se taisaient. Les statistiques américaines et canadiennes devraient nous imposer une véritable réflexion sur cette thématique très difficile. Quel que soit leur nombre, ces professionnels promeuvent des traumatismes profonds chez les femmes qui en sont victimes et salissent notre profession. L’omerta qui a prévalu jusqu’ici ne doit pas continuer, et il faudra que notre profession sache faire le ménage dans ses rangs et que plus personne ne détourne pudiquement le regard devant ces crimes en attendant que des femmes courageuses portent plainte.   Ce qu’il faudrait faire Quelques brefs conseils ne remplacent pas une véritable formation institutionnelle, dont nous manquons cruellement actuellement, ce qui nous est d’ailleurs reproché : ne pas tutoyer une femme qu’on ne tutoyait pas auparavant ; tracer une ligne rouge entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle ; tact et sensibilité doivent être constants ; laisser du temps aux annonces ; respect affiché de la pudeur et de l’intimité. Même en l’absence de témoin, on veille à fermer les portes en salle de naissance ou on recouvre d’un drap l’échographie par voie vaginale ; information accessible de manière itérative si nécessaire ; dépistage délicat des antécédents d’agression ou d’abus sexuel ; explications avant la pose d’un speculum ; éviter la mise à l’écart de l’accompagnant sans justification ; promouvoir les lits à 2 places dans les maternités. L’accompagnant n’est pas un passager clandestin pour lequel on sort en bougonnant un vieux Clic-Clac. prise en compte méticuleuse de la douleur. Attention aux césariennes à vif (5 % des césariennes) qui laissent de lourdes séquelles pourtant évitables ; attention portée à l’abus de pouvoir médical pour tout ce qui n’est pas justifié médicalement ; les protocoles nous guident… mais secrètement ; dicter les courriers devant les patientes ; user le plus possible de la communication non verbale ; contrairement à ce qu’on nous a appris, se mettre à la place des patientes dans les situations difficiles peut augmenter le degré d’empathie dans l’échange ; si nous sommes à même de désexualiser le vagin, c’est beaucoup plus difficile, voire impossible pour les patientes. Des séminaires d’entrée pour les jeunes praticiens Les jeunes médecins et les jeunes sages-femmes sont mis au contact des patientes dès le début de leur formation, comme on jetterait des chiots à l’eau pour leur apprendre à nager. Ils sont de ce fait fort démunis quand ils rencontrent la souffrance d’un deuil périnatal, la complexité d’une IMG ou le comportement inhabituel d’une patiente. En l’absence d’une véritable formation initiale, leurs premiers pas sont difficiles. Des séminaires d’entrée dans la spécialité gynécologique et obstétricale sont juste un devoir dans chaque région. Organisés à l’initiative des responsables d’enseignement pour montrer tout de suite les bonnes orientations, ils éviteraient que les patientes ne fassent les frais de l’inexpérience de nos jeunes praticiens qui disent tous s’être sentis terriblement désarmés devant leurs premiers cas difficiles.   Bashing versus succès de notre profession Mais tout n’est pas noir, loin de là. Nous avons su faire baisser la mortalité par hémorragie postpartale si bien qu’elle se classe désormais en troisième position derrière les complications cardiovasculaires et les suicides. Mais si on regarde ce que fait l’absence totale de médecine périnatale, en quelque sorte la mortalité naturelle dans l’espèce humaine, elle est évaluée chez nous à 800/100 000 alors qu’elle s’élève à 1 100/100 000 dans d’autres pays. Notre résultat est là, et nous serions presque tentés de l’oublier tant le bashing que nous subissons est puissant. A nous de relever la tête. Grâce à nous, même si ce n’est pas parfait, les femmes vivent une santé sexuelle et reproductive parmi les meilleures au monde. Grâce à nous, elles trouvent des endroits où elles peuvent interrompre une grossesse non souhaitée en toute sécurité et gratuité. Grâce à nous elles guérissent de leur cancer du sein. Si 2 femmes meurent chaque jour d’un accident de la circulation, 33 meurent d’un cancer du sein et 200 d’un accident cardiovasculaire. Nous avons cependant un effort à faire pour mieux dépister les facteurs de risque alors que les IMC augmentent et que l’hygiène alimentaire est de plus en plus contaminée par la malbouffe. Le dépistage et la prévention des cancers gynécologiques s’améliorent doucement, et la survie grâce à la détection précoce et gratuite est exceptionnelle. Enfin, l’aide médicale à la reproduction a fait des progrès considérables en quarante ans, grâce à nous. 4 % des enfants nés sur le territoire français sont issus d’AMP. Et, même s’il y a encore du chemin à parcourir, les choix et les orientations sexuelles des femmes sont désormais soutenus et accompagnés par nos services. Grâce à nous, et malgré une augmentation incessante de l’âge de la première grossesse, le handicap grave et la trisomie 21 régressent fortement. Nous pouvons être fiers de tout cela et ne pas céder à la déprime lorsque les reproches nous assaillent. Car ceux qui les émettent sont souvent ceux qui ont quelque chose à cacher : leurs propres responsabilités dans la fragilisation de nos structures de soins, la difficulté croissante qu’il y a à garder le niveau et surtout à continuer de progresser. Les politiques envient la confiance ce dont nous disposons encore et sont, de ce fait, prompts à nous trouver tous les défauts de la Terre, bien hypocritement, car ils savent où nous trouver quand ils sont eux-mêmes malades. Et c’est bien ce qui les agace le plus d’ailleurs, avoir un jour grand besoin d’un médecin. A nous de savoir serrer les skis dans le champ de bosses devant nous, car si nous chutons, les femmes de France risquent de perdre beaucoup. Après #MeeToo, le monde change et les rapports se tendent. Gare à ceux qui ne le voient pas. Tous les pouvoirs sont désormais contestés, et les abus seront de plus en plus poursuivis et condamnés par de véritables lynchages médiatiques avant même d’avoir été jugés. Ces condamnations médiatiques sont sans appel. L’inversion actuelle des pouvoirs est une bonne nouvelle pour les femmes, mais elle aura ses excès et ses victimes parmi celles et ceux qui n’auront pas vu ou pas accepté que les temps changent.      

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