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Obstétrique

Publié le 06 mar 2023Lecture 12 min

Cannabis et périnatalité

Jean-Claude SEMET(a), Fl. TARUFFI(a), C. CHANAL(b), E. MAZURIER(c), P. COMMESSIE(d), H. VALLIERES(e), B. ROUGER(f), J.-P. BOYES(g), K. KOUBAA(h)

Le cannabis – ou marijuana – est la substance illicite la plus souvent consommée chez les femmes en âge de procréer, ce qui pose un problème de santé publique. Les risques sont liés, d’une part, à la combustion du cannabis associé ou non au tabac (diminution d’oxygénation induite par l’intoxication au monoxyde de carbone) et, d’autre part, à l’action particulière du tétrahydrocannabinol. La consommation de cannabis peut être banalisée par les patientes et les professionnels. Cependant, certaines études montrent des effets préoccupants sur le cerveau fœtal et chez l’enfant à long terme.

Produits, aspects pharmacologiques Le cannabis est une plante dont les deux principaux principes actifs sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le CBD (cannabidiol). C’est le THC qui possède le plus fort pouvoir psychoacif responsable de la dépendance. Il est plus souvent consommé sous forme d’« herbe » (feuilles, fleurs ou iges séchées) utilisée pure ou mélangée à du tabac. À partir des fleurs se fabrique une résine plus concentrée en THC appelée haschich, souvent coupée de produits divers plus ou moins toxiques (cirage, paraffine, henné...). L’huile de haschisch, encore plus concentrée en principe actif que le haschich, est peu utilisée en France. La teneur moyenne en THC de la résine de cannabis a presque triplé en quinze ans pour atteindre 26,5 % en 2018, tandis que celle de l’herbe a augmenté de 40 %, pour atteindre plus de 11 % en 2018(1). Le cannabis est consommé sous la forme de cigarette (joint) ou de pipe à eau (bang), fumé mélangé à du tabac, bu en infusion ou mangé mélangé à des friandises et des gâteaux. Il peut être aussi inhalé par vaporisation. Les effets psychiques s’observent 15 à 20 minutes après le passage pulmonaire chez l’individu naïf, plus tard chez le consommateur régulier. Ils durent 2 à 4 heures. Les cannabinoïdes ont une grande affinité pour les issus graisseux qui constituent une zone de réserve. Le métabolisme du THC est hépaique (cytochrome P450). La demi-vie d’élimination dans le plasma est d’environ 56 heures chez le consommateur occasionnel, de 28 heures chez le consommateur régulier(2). La présence du THC dans les urines est de 3 à 5 jours en cas d’usage occasionnel, mais de 30 à 60 jours en cas d’usage régulier(3).   Epidémiologie Selon l’enquête ESCAPAD 2017, 4,5 % des filles de 17 ans déclarent un usage régulier de cannabis (9,7 % des garçons). L’âge moyen d’expérimentation du cannabis chez les jeunes est de 15,3 ans (15,4 ans pour les filles)(4). En France, 37,2 % des femmes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis, et 7,1 % déclarent un usage actuel. Entre 26 et 34 ans, ce chiffre monte à 19 %(5). En France, dans l’enquête nationale Périnatalité de 2016, 2,1 % des accouchées ont déclaré une consommation de cannabis durant leur grossesse alors qu’en 2010 elles n’étaient que 1,2 %(6).   Comparaison tabac/cannabis Une étude « 60 millions de consommateurs » a comparé en 2006 la toxicité de la fumée du cannabis à celle du tabac à l’aide d’une machine à fumer(7). La fumée d’un joint de cannabis contient 2 à 3 fois plus de nicotine, 6 à 7 fois plus de goudrons et 6 à 8 fois plus de CO que celle d’une cigarette manufacturée (tableau 1). Cette différence s’explique par une température de combustion plus basse, une bouffée plus volumineuse, une aspiration plus profonde et une expiration plus lente lors de la consommation de cannabis. Dans tous les cas, les effets du tabac se rajoutent à ceux du cannabis.     Conséquences sur la santé des consommateurs Les effets peuvent être liés soit au principe actif du cannabis (Δ9- THC) soit aux substances résultant de sa combustion (goudrons). Les produits ajoutés au cannabis de manière intentionnelle (coupe) ou involontaire (contaminants) pourraient plus rarement intervenir dans l’apparition de pathologies. La consommation chronique de cannabis fumé présente des risques sur la santé, se rapprochant de ceux observés avec le tabac : de rares risques d’infarctus du myocarde (où le cannabis interviendrait comme facteur déclenchant), des troubles du rythme, voire des accidents vasculaires cérébraux sont décrits. En 2017, le cannabis a été impliqué, au moins en partie, dans 28 décès, selon l’enquête DRAMES(8), soit 6 % des décès liés à l’usage abusif de substances psychoactives ; des cancers (poumon et voies aérodigestives supérieures essentiellement ; vessie, prostate ou cancer du col utérin plus rarement). Sa consommation régulière peut aggraver toutes les pathologies psychiatriques (risque suicidaire, désinsertion sociale, trouble anxieux et de l’humeur). Le détail des conséquences de la consommation aiguë ou chronique de cannabis est présenté dans les tableaux 2 et 3. Les critères diagnostiques du trouble d’utilisation du cannabis selon le DSM-5 sont présentés dans l’encadré 1. En cas de consommation chronique, il existe un possible syndrome de sevrage à l’arrêt de cannabis. Il commence 24 à 72 heures après l’arrêt et peut durer 15 jours à 1 mois. Lors de la consommation régulière de cannabis ou lors de consommation aiguë récente, l’anesthésie peut être à risque du fait de possibles complications cardiovasculaires (dépression myocardique, tachycardie)(9). Le questionnaire CAST (Cannabis Abuse Screening Test) peut être uilisé pour le repérage d’une consommation problématique de cannabis.           Conséquences gynécologiques Il n’existe pas dans la littérature de conséquences gynécologiques imputables à la consommation de cannabis, mais dans tous les cas les effets du tabac se rajoutent à ceux du cannabis. Les études actuelles ne montrent pas à ce jour de conséquences sur la fertilité féminine. Selon une revue de la littérature de 2018, la consommation de cannabis a un impact négatif sur la fertilité masculine, avec un effet sur l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique (HHG), la spermatogenèse et la qualité du sperme (oligospermie)(10). En l’état actuel, il est reconnu que le cannabis n’est pas un agent tératogène(11). Le risque malformatif, infirmé dans la plupart des études(11), est suspecté par certains avec un risque multiplié par 2 de malformations de type laparoschisis ou d’anomalie du septum ventriculaire après exposition au premier trimestre, via un possible effet disruptif vasculaire(12,13). Durant le développement fœtal, les récepteurs cérébraux CB1 influencent la prolifération, la différenciation et la migration cellulaire. Chez la souris, l’activation répétée et importante des récepteurs CB1 à des périodes sensibles du développement cérébral affecte l’expression et la fonction du système dopaminergique qui est impliqué dans les fonctions cognitives supérieures. Le THC traverse facilement le placenta, mais atteint le fœtus à un taux inférieur à celui de sa mère, bien que ce taux puisse varier du simple au double en fonction du mode de consommation (fumé, vapoté, avalé) et de l’intensité de l’absorption. En revanche, il semblerait que la durée d’exposition du fœtus soit augmentée(14). En 2018, Crume a montré qu’après ajustement pour le tabac pendant la grossesse, l’utilisation de cannabis pendant la grossesse est associée dans 50 % des cas à la survenue d’un petit poids de naissance (selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé : Low birth weight < 2500 g), indépendamment de l’âge maternel, de l’origine ethnique, du niveau d’éducation et de la consommation de tabac pendant la grossesse (OR : 1,5; IC95 % : 1,1-2,1; p=0,02). Il n’a pas retrouvé d’association avec une prématurité, un petit poids pour l’âge gestationnel (PAG), indépendamment de l’utilisation du tabac(15). Dans une étude rétrospective concernant 9 247 femmes consommatrices de cannabis pendant la grossesse, il a été mis en évidence un risque relatif de prématurité de 1,41 (IC 95 % : 1,36-1,47) ; un risque relatif de 1,53 de petit poids pour l’âge gestationnel PAG < 3e percentile (IC 95 % : 1,45-1,61) et un risque de 1,28 (IC 95 % : 1,13-1,45) d’indice d’Apgar < 4 à 5 minutes, ainsi qu’un risque relatif de 1,40 (IC 95 % : 1,36-1,44) de transfert en néonatalogie(16). Dans tous les cas, les effets du tabac se rajoutent à ceux du cannabis.   Effets sur le nouveau-né Les études longitudinales prospectives n’ont pas permis de décrire un syndrome de sevrage néonatal significatif au cannabis(17). Il n’est donc pas nécessaire de chercher à l’évaluer avec des scores. En revanche, les rares études sur de petites cohortes dans les années 1980-1990 décrivent chez le nouveau-né des modifications du comportement neurologique telles que réflexes de sursaut prolongés, cri aigu, anomalies des cycles de sommeil à l’électroencéphalogramme(18). Ces signes sont transitoires et nécessitent uniquement du nursing. Dans une récente étude prospective de cohorte, L.R. Stroud et coll. montrent que, comparativement aux nouveau-nés exposés au tabac, les nouveau-nés exposés au tabac associé au cannabis manifestent au cours du premier mois seulement, mais significativement, de moins bonnes capacités d’autorégulation comportementale, une diminution de l’attention, une plus grande léthargie et une augmentation des besoins de portage(19). Dans tous les cas, les effets du tabac se rajoutent à ceux du cannabis.   Allaitement La plupart des articles citent une des premières études de pharmacocinétique du cannabis dans le lait humain, celle de Perez-Reyes et Wall en 1982, qui, à propos de deux cas, ont trouvé que les enfants reçoivent approximativement 0,8 % de la dose maternelle et que chez la consommatrice élevée (7 prises inhalées par jour) le rapport plasma/lait est de 1/8(20). Depuis la légalisation du cannabis dans les pays d’Amérique du Nord, les études se font plus nombreuses et permettent d’apporter les informations suivantes. Le THC passe dans le lait de manière très variable et modérée. Selon Bertrand et coll. 63 % des échantillons sont positifs pour le THC (34 sur 54 échantillons de lait maternel de consommatrices de ≥ 1 prise par jour en majorité inhalée, les concentrations varient de 1 à 300 ng/ml, en médiane 9,47 ng/ml). Ces auteurs détectent du THC jusqu’à 140 heures soit 6 jours après la dernière consommation(21). Il est important de prendre en considération que la variabilité de la concentration de THC dans le lait est fonction de divers paramètres pharmacologiques : la liposolubilité du produit fumé, la concentration du produit, la fréquence de consommation, la chronicité, l’ancienneté. Ces facteurs multiples ne permettent pas d’affirmer que tirer son lait réduit de manière significative l’exposition de l’enfant(22). L’exposition passive au THC doit être évitée au maximum(23). Compte tenu de sa concentration dans le lait et de sa longue demi-vie, l’usage régulier du cannabis est absolument déconseillé pendant l’allaitement(24). Selon l’Academy of Breast-feeding Medecine (ABM)(25), il devrait être conseillé aux mères qui allaitent au mieux d’arrêter, et au pire de réduire au maximum, leur consommation de cannabis afin d’éviter les effets à long terme sur le développement neurocognitif de l’enfant, liés à la poursuite de cette consommation. L’ABM souligne l’importance d’une information large ouverte éclairée de la femme allaitante sur les bénéfices d’un allaitement pour son enfant face aux risques de la poursuite d’une consommation. Lors d’une consommation épisodique, il est primordial d’avoir à l’esprit que les bénéfices potentiels de l’allaitement sont plus importants et doivent être pesés face aux effets d’une telle consommation. En France, selon le CRAT (Centre de référence sur les agents tératogènes), « la consommation de cannabis au cours de l’allaitement est déconseillée » (26).   Cannabis et risque de mort inattendue du nourrisson (MIN) Dans leur étude cas-témoins, Sragg et coll. ont retrouvé un OR de 1,55 (IC 95 % : 0,87-2,75) en analyse multivariée lors d’une consommation maternelle de cannabis(27). Lorsque la consommation de cannabis est paternelle au moment de la conception, Klonoff-Cohen et coll. trouvent une différence significative avec un risque multiplié par 2 de survenue de MIN (OR 2,2 ; IC 95% : 1,2-4,2 ; p = 0,01)(28). Du fait des nombreuses variables confondantes, les données scientifiques probantes sont contradictoires et insuffisantes. Le risque augmenté de MIN doit être considéré dans le contexte d’exposition in utero à des substances toxiques et à des modes de vie attenants de manière générale. Aussi le message de santé publique doit-il être clair : «Pour avoir un enfant en meilleure santé possible, éviter de consommer pendant la grossesse cannabis, alcool et tabac. »(29).   Développement de l’enfant Seules trois études de cohortes prospectives longitudinales évaluent à ce jour le devenir développemental de l’enfant exposé au cannabis in utero(30). Les deux plus anciennes, celles d’Otawa et de Pitsburgh, ont un recul de plus de 20 ans, mais les résultats ne concernent qu’un très petit nombre de jeunes gens dont les mères avaient des consommations non comparables à celles des générations actuelles. Les données montrent une possible augmentation des troubles de l’attention, de la concentration, de l’impulsivité(30). Les données sur les performances scolaires sont contradictoires entre l’étude d’Otawa qui ne retrouve pas d’effet de l’exposition anténatale chez les enfants de 6 à 9 ans et entre 13 et 16 ans, à la différence de l’étude de Pitsburgh qui retrouve de plus grandes difficultés dans la lecture et dans l’expression verbale à 10 ans(11). Le suivi de cohorte « génération R » des Pays-Bas montre une association positive entre troubles externalisés de l’enfant en cas d’exposition prénatale au cannabis (B = 0,53 ; IC 95 % : 0,29-0,77), mais aussi en cas de consommation maternelle antéconceptionnelle (B=0,27 ; IC 95 % : 0,02-0,52),et même en cas de consommation de cannabis par le père (B = 0,36 ; IC 95 % : 0,22-0,49)(31). Les données probantes sont à ce jour insuffisantes. Si, avec les réserves émises sur les trois études précédentes, les résultats retrouvent de possibles associations positives entre consommation maternelle de cannabis(31), exposition prénatale au cannabis et troubles externalisés, il reste à mieux évaluer les variables confondantes telles que consommation paternelle de cannabis et contexte environnemental dans la genèse de ces troubles. Récemment, une importante analyse rétrospective des naissances vivantes en Ontario (Canada), a montré une association entre la consommation de cannabis pendant la grossesse et l’incidence des troubles du spectre autistique chez la progéniture. Les femmes qui ont déclaré avoir consommé du cannabis sans consommation associée de tabac, d’alcool ou d’opioïdes avaient un rapport de risque ajusté de 1,51 (IC 95 % : 1,17 -1,96) pour un enfant avec un diagnostic d’autisme(32). Dans tous les cas, les effets du tabac se rajoutent à ceux du cannabis.   Effets du CBD (cannabidiol) Le CBD n’a pas d’effets psychotropes, mais peut avoir des effets sur les douleurs chroniques et des propriétés antiépileptiques, anxiolytiques(33). Bien que certains symptômes de la grossesse, comme les nausées, puissent être améliorés par le CBD, la FDA (American Food and Drug Administration) a statué qu’il n’y avait pas d’études valables sur l’effet du CBD sur le développement du fœtus, la grossesse ou l’allaitement(34). Tout comme le THC, le CBD passe la barrière hémato-placentaire. Certaines études suggèrent que l’exposition anténatale aux cannabinoïdes peut réduire le développement du système immunitaire(35). La Food and Drug Administration (FDA citant le manque de données et les préoccupations des études animales) déconseille fortement l’utilisation du cannabidiol (CBD) sous quelle que forme que ce soit pendant la grossesse ou pendant l’allaitement.   Prévention La prévention débute par l’information des jeunes femmes en âge de procréer, notamment lors de la prescription de contraceptifs. Tout entretien de début de grossesse doit explorer l’usage de cannabis comme celui d’autres substances psychoactives. En cas d’arrêt des consommations pendant la grossesse, il faut être attentif au risque de retour à la consommation après la naissance, voire pendant l’allaitement ou à l’arrêt de l’allaitement. Bien que pafois banalisée, la consommation de cannabis peut être un signe d’appel vers d’autres facteurs comportant un risque pour le déroulement de la grossesse, le développement fœtal et ultérieurement de l’enfant (vulnérabilité psychique maternelle, consommation de tabac, d’alcool, de psychotropes ou d’autres substances illicites, précarité sociale...).    

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