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Obstétrique

Publié le 03 avr 2023Lecture 9 min

L’accouchement par césarienne préserve-t-il l’avenir sexuel des femmes ?

Daniel ROTTEN, Paris

Marin FZ, Madley-Dowd P, Ahlqvist VH et al. Mode of delivery and maternal sexual wellbeing : a longitudinal study. Brit J Obstet Gynaecol 2022 ; 129(12) : 2010-8.

L’accouchement par voie basse entraîne un étirement des muscles et de l’appareil ligamentaire du plancher pelvien, du canal génital et de l’introïtus vaginal. Il se voit en conséquence accusé d’être responsable d’une augmentation du risque de survenue à distance de troubles mécaniques, incluant incontinences urinaire et fécale, prolapsus des organes pelviens et laxité vaginale. Plus récemment, la liste s’est allongée de préoccupations esthétiques concernant les modifications morphologiques de l’appareil génital externe. Enfin, une litanie de complications fonctionnelles lui sont également rapportées, qui concernent le bien-être sexuel : prurit, brûlures et sécheresse vaginales, dyspareunie et douleurs pelviennes, moindres sensations lors des rapports, troubles de l’excitation sexuelle et difficultés à parvenir à un orgasme.

D’après les résultats de plusieurs enquêtes d’opinion, de nombreuses femmes interrogées sont persuadées que l’accouchement par césarienne permet de prévenir les conséquences de l’accouchement sur la dysfonction pelvienne. Selon elles, l’accouchement par césarienne permet de préserver le périnée, l’aspect esthétique de l’appareil génital externe ainsi que la fonction sexuelle, en particulier la qualité des rapports. Cette opinion semble a priori « mécaniquement » logique. Volontiers relayée par les médias grand public, elle est également partagée par certains professionnels. Elle participe, au moins pour partie, à l’augmentation du taux de césariennes constatée dans le monde, en particulier aux USA et dans les pays où, dans le respect de l’autonomie des sujets, le choix maternel intervient de façon plus importante dans la décision médicale. Mais les observations scientifiques dont on dispose sont loin de conforter ce ressenti. Concernant les séquelles mécaniques, une majorité d’études fait effectivement état d’un taux de prolapsus génitaux ou d’incontinences urinaires ou anales plus élevé chez les pares comparées aux nullipares, et plus élevé après accouchement par voie basse qu’après césarienne élective. Mais il faut tempérer ces conclusions. Les obstacles méthodologiques sont nombreux, ne serait-ce que le long délai séparant l’événement causal de sa conséquence éventuelle. Les différentes études publiées font état de résultats discordants. Lorsque des différences sont retrouvées, elles sont le plus souvent minimes. D’autres études montrent que, si elle existe, la « protection » disparaît après plusieurs césariennes. Les conséquences éventuelles des accouchements sur la fonction sexuelle font également l’objet d’appréciations divergentes. Certaines études mettent en évidence une fonction sexuelle globalement dégradée au décours de l’accouchement lors d’évaluations faites à 3 mois ou 6 mois post-partum. Mais cette baisse n’est pas uniformément constatée. Quant à elles, les analyses selon le mode d’accouchement ne relèvent généralement que des différences minimes ou nulles à court (6 mois) ou à moyen terme (2 ans). Quelques études rapportent des résultats à long terme, une étude de cohorte danoise et une étude en population chinoise. Et dans ce cas, ce sont les femmes du groupe césarienne qui font état d’un risque plus important de troubles sexuels. C’est dans le cadre que se situe l’étude réalisée par Florence Z. Martin et coll. Elle comporte plusieurs points forts : il s’agit d’un suivi prospectif ; le nombre de patientes incluses est élevé ; l’observation est poursuivie jusqu’à un recul de 18 ans, avec des points d’évaluation intermédiaires, ce qui permet une analyse longitudinale ; enfin, les questions portant sur la santé sexuelle sont banalisées, car noyées au sein un questionnaire global de santé. Protocole Cohorte L’étude est intégrée au sein du suivi à long terme d’une cohorte d’environ 15 000 femmes enceintes habitant dans la région de Bristol, ville du sud- ouest de l’Angleterre. Son but est le suivi de santé de ces femmes, de leurs conjoints et de leurs enfants pendant deux décennies. L’accouchement index a eu lieu entre 1990-1992. Le tableau 1 résume la répartition des modes d’accouchement. Les informations relatives à la sexualité sont obtenues par les réponses à des questionnaires auto-administrés. Les questions relatives à la sexualité (tableau 2) sont intégrées dans un questionnaire plus général, concernant la santé des participants et leur style de vie. Ces questionnaires sont envoyés 33 mois, puis 5 ans, 12 ans et 18 ans postpartum, respectivement. Les questions relatives aux douleurs en relation avec les rapports (tableau 2) sont envoyées aux participantes 11 ans postpartum.   Analyse statistique Les résultats relatifs aux différents paramètres analysés sont exprimés sous forme d’odds ratios. Les réponses observées après césariennes sont comparées aux accouchements par voie vaginale, pris comme référence. Les odds ratios sont corrigés par la prise en compte de divers facteurs de confusion identifiés dans la littérature (âge, IMC, parité, diabète, niveau socio-économique, problèmes de santé mentale).   Résultats Plaisir procuré par les rapports sexuels Sur l’ensemble de la population, on observe au cours des 18 ans de suivi une stabilité du paramètre « plaisir procuré par les rapports sexuels ». À tous les temps analysés, le taux de réponses positives (« oui, beaucoup » et « oui, plutôt ») est stable, et proche de 50 %. L’analyse par sous-groupes ne montre pas de différence selon les modes d’accouchement. En particulier, il n’y a pas de différence entre les chiffres relevés chez les femmes ayant accouché par les voies naturelles ou par césarienne, que ce soit à moyen terme (33 mois) ou à long terme (5 ans, 12 ans et 18 ans) (figure 1A). Lorsque l’on compare les femmes ayant eu un accouchement par voie basse non instrumental (présentation céphalique ou du siège) et celles ayant eu un accouchement par voie basse instrumental (forceps ou ventouse), l’analyse des chiffres aboutit à la même conclusion (figure 2A). On n’observe pas non plus de différence lorsque les césariennes en urgence ou électives sont comparées aux accouchements par voie basse (figure 3A). Figure 1. sexualité après césarienne versus accouchement par voie basse. La figure montre le plaisir procuré par les rapports (1A) et la fréquence des rapports (1B) chez les femmes ayant eu une césarienne. Les chiffres observés après césarienne sont comparés aux chiffres obtenus après accouchement par voie basse (odds ratio ajusté ± intervalle de confiance à 95 %). Figure 2. sexualité après accouchement par voie basse, voie basse instrumentale versus accouchement naturel. La figure montre le plaisir procuré par les rapports (2A) et la fréquence des rapports (2B) chez les femmes ayant accouché par voie basse. Les chiffres observés après voie basse instrumentale sont comparés aux chiffres obtenus après accouchement naturel (odds ratio ajusté ± intervalle de confiance à 95 %).   Figure 3. sexualité après césarienne, selon le type de césarienne. La figure montre le plaisir procuré par les rapports (3A) et la fréquence des rapports (3B) selon le type de césarienne. Les chiffres observés après césarienne en urgence ou après césarienne élecive sont comparés aux chiffres obtenus après accouchement par voie basse (odds ratio ajusté ± intervalle de confiance à 95 %).   Fréquence des rapports sexuels Ce paramètre est également stable dans le temps. À 33 mois, environ 50 % des femmes déclarent avoir au moins 1 rapport par semaine. Cechiffre est de 60 % à 18 ans. L’analyse par sous-groupes ne montre pas de différence selon les modes d’accouchement, ni à moyen ni à long terme (figures 1B, 2B, 3B). Douleurs Globalement, le taux de femmes rapportant des douleurs aux rapports lors du questionnaire à 11 ans est extrêmement faible, de l’ordre de quelques pour cent, qu’il s’agisse de douleurs vaginales pendant les rapports ou de douleurs extra-vaginales au décours des rapports. L’analyse par sous-groupes fait apparaître une différence selon les modes d’accouchement. Douleurs vaginales pendant les rapports et douleurs extra-vaginales au décours des rapports sont rapportées près de 50 % plus souvent chez les femmes ayant accouché par césarienne, avec des odds ratios ajustés respectivement de 1,74 et de 1,43 par rapport aux accouchements par voie basse. La différence est statistiquement significative dans les deux cas (figure 4A). Il n’y pas de différence selon que la voie basse a été non instrumentale ou instrumentale (figure 5A). De même, on n’observe pas non plus de différence entre césariennes en urgence et césariennes (figure 6A). Les femmes interrogées rapportent également une fréquence supérieure de douleurs abdominales ou pelviennes après césarienne (figures 4B), sans différence entre césarienne élective ou en urgence (figure 6B). Figure 4. Douleurs après césarienne versus accouchement par voie basse. La figure montre les douleurs pendant les rapports (4A) et les douleurs d’autre localisation (4B) chez les femmes ayant eu une césarienne. Les chiffres observés après césarienne sont comparés aux chiffres obtenus après accouchement par voie basse (odds ratio ajusté ± intervalle de confiance à 95 %).   Figure 5. Douleurs après accouchement par voie basse, voie basse instrumentale versus accouchement naturel. La figure montre les douleurs pendant les rapports (5A) et les douleurs d’autre localisation (5B) chez les femmes ayant accouché par voie basse. Les chiffres observés après voie basse instrumentale sont comparés aux chiffres obtenus après accouchement naturel (odds ratio ajusté ± intervalle de confiance à 95 %).   Figure 6. Douleurs après césarienne, selon le type de césarienne. La figure montre les douleurs pendant les rapports (6A) et les douleurs d’autre localisation (6B) selon le type de césarienne. Les chiffres observés après césarienne en urgence ou après césarienne élective sont comparés aux chiffres obtenus après accouchement par voie basse (odds ratio ajusté ± intervalle de confiance à 95 %).     Au total L’étude compare le degré de bien-être sexuel des femmes à distance d’un accouchement en fonction du mode de celui-ci. L’épanouissement sexuel est évalué selon trois paramètres : le désir sexuel, la satisfaction procurée par les rapports, et la fréquence de ceux-ci. La mesure est répétée 3 fois, dont la dernière au délai de 18 ans après l’accouchement index. Pour aucun des trois paramètres, et à aucun des temps d’enquête, on n’observe de différence de fréquence de survenue, et cela quel que soit le mode d’accouchement : voie basse ou césarienne ; voie basse spontanée ou voie basse instrumentale ; césarienne élective ou césarienne d’urgence. Ces résultats sont en accord avec les quelques données existant dans la littérature concernant le court (6 mois) ou le moyen terme (2 ans) postpartum, et étendent les observations au délai de 18 ans. Concernant la relation entre dyspareunie et voie d’accouchement, les observations publiées dans la littérature sont plus nombreuses, mais également discordantes. Les unes ne trouvent pas de différence. D’autres, comme ici, retrouvent une association entre césarienne et augmentation de fréquence de survenue de dyspareunie. Il est difficile de trancher entre les deux types de résultats en raison des problèmes méthodologiques qui affectent les différentes études. La série qui fait état d’une absence de différence était randomisée, mais l’analyse de la dyspareunie était un objectif secondaire. La présente étude de son côté souffre de plusieurs faiblesses : absence de données sur d’éventuelles douleurs avant les accouchements précédant l’accouchement index, l’existence même d’éventuels accouchements ultérieurs, l’existence d’épisiotomies ou de déchirures périnéales, le nombre limité de réponses aux questionnaires et la baisse du nombre de réponses avec le temps tableau 2)... Surtout, l’analyse de facteurs psychologiques sous-jacents est absente de la plupart des études. Or l’importance des facteurs individuels dans ce domaine, comme l’existence de symptômes dépressifs, de fatigue ou de prévalence de pensées négatives est démontrée. En l’absence de possibilité de faire une étude randomisée centrée directement sur le sujet, seule une analyse plus fine des cohortes disponibles permettra de progresser.   EN CONCLUSION Les données recueillies par F.Z. Martin et coll. ne tranchent pas définitivement le débat. Cependant, comme le soulignent plusieurs auteurs, elles invitent patientes et médecins à relativiser le bénéfice éventuel de césariennes électives pour préserver le confort sexuel.  

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