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Chirurgie

Publié le 18 mai 2022Lecture 9 min

La transplantation utérine ou l’histoire d’une révolution médicale au XXIe siècle

Ludivine DION*, Louise JACQUOT THIERRY*, Antoine TARDIEU**,***, M. CARBONNEL****, Jean-Marc AYOUBI****, Tristan GAUTHIER**,***, Vincent LAVOUÉ*

Avant 2014, tout le monde disait que c’était impossible, mais la transplantation utérine a fait la preuve de son concept avec la naissance d’un enfant en bonne santé après une transplantation d’un utérus issu d’une donneuse vivante en 2014 en Suède. Depuis 6 ans, un développement mondial fantastique est en cours avec maintenant presque 100 transplantations utérines réalisées. De nombreuses évolutions de la technique princeps sont déjà développées : la transplantation utérine avec un utérus issu d’une donneuse en état de mort encéphalique au Brésil et aux États-Unis ou encore le prélèvement utérin chez la donneuse vivante par une approche mini-invasive robot-assistée.

La transplantation utérine (TU) a fait la preuve de son concept en 2014 avec la première naissance d’un enfant en bonne santé né après une TU avec un greffon utérin issu d’une donneuse vivante(1). Avant ce succès formidable, un certain nombre de personnes pensaient que c’était impossible devant les inconnues représentées par le comportement de l’utérus greffé au cours du développement de la grossesse. Depuis 2014(2), une intense activité de développement de programmes de transplantation utérine est observée dans le monde. Les concepts et les questions évoluent rapidement concernant ce nouveau champ médical qui touche à la fois les chirurgiens-gynécologues, les transplanteurs ou encore les médecins de la fertilité. La preuve de concept de TU avec un greffon utérin issu d’une donneuse en état de mort encéphalique (EME) est maintenant faite avec une première naissance en 2018(3). Alternatives à la TU : l’adoption et la GPA Pour les femmes souffrant d’Infertilité utérine absolue (IUA), l’accès à la parentalité passe par 3 options : l'adoption la gestation pour autrui (GPA) et la TU Concernant l'adoption, il s'agit actuellement de la seule alternative accessible en France. Les règles internationales durcissent l’accès à l’adoption pour limiter le trafic d’enfants. En 2018, environ 7 090 dossiers de demande d’adoption ont été recensés par l’Agence française de l’adoption. En 2019, seulement 421 adoptions ont été effectuées. Concernant la GPA, en France, la loi de bioéthique du 14 janvier 2011 interdit la GPA, et cette interdiction a encore été renforcée par l’avis du Comité consultatif national d’éthique le 25 septembre 2018. Récemment, notre nouveau Premier ministre Jean Castex a réitéré que la GPA était une ligne rouge du gouvernement dans la révision de la loi de bioéthique. Protocoles de transplantation utérine Sélection du couple receveuse/donneuse Sélection de la receveuse La TU est actuellement réalisée dans le cadre d’essais cliniques. Dans le cadre légal, en France, la TU n'est proposée qu'à des patientes en couple de manière stable. Sélection des donneuses En cas de donneuse vivante, la réglementation est différente selon les pays ; en France, le don d’organe vivant est réservé au cercle familial (ou plus rarement à des proches prouvant un lien affectif important). Aux états-Unis, le don d’organe vivant peut-être également réalisé en dehors du cercle familial, un don anonyme peut être réalisé, ce qui permet d’augmenter le nombre potentiel de donneuses compatibles. Les critères de sélection des receveuses et des donneuses vivantes candidates à une TU sont si stricts que l’équipe du Pr Jean-Marc Ayoubi a dû évaluer plus de 175 candidates à la TU pour finalement ne retenir que 2 couples receveuses/donneuses éligibles. Il convient très certainement de travailler avec l’ANSM pour élargir ces critères. Immunosuppression Avant la chirurgie, un traitement immunosuppresseur est instauré chez la receveuse, le protocole est similaire à celui réalisé en transplantation rénale. Chirurgie Lors de la chirurgie de TU, une hystérectomie totale est réalisée chez la donneuse. Pour la vascularisation du greffon, l’artère utérine est disséquée à son origine. Le retour veineux utilisé est variable selon les équipes et est fonction des constats peropératoires : double retour veineux utérin(2), parfois double retour veineux utéro-ovarien ou parfois mixte des 2 techniques. Le greffon est ensuite placé dans une solution de conservation à 4 °C. Chez la donneuse, le greffon est placé en position orthotopique, les anastomoses termino-latérales sont réalisées entre les vaisseaux utérins du greffon et les vaisseaux iliaques externes de la receveuse. Le transfert embryonnaire est réalisé quelques mois (entre 6 et 12 mois) après la chirurgie après arrêt du MMF qui est tératogène en cas d’utilisation de celui-ci. Suivi grossesse et naissance Le suivi de la grossesse est réalisé comme pour une grossesse à risque (surveillance attentive de la croissance fœtale). La naissance est réalisée par césarienne, l’hystérectomie est réalisée soit d’emblée soit à distance (3-4 mois) de la naissance, permettant alors un arrêt des immunosuppresseurs en cas de grossesse unique. Développement des programmes de transplantations utérines dans le monde La transplantation utérine (TU) connaît un essor mondial important. En 2014, la première naissance d’un enfant en bonne santé après une grossesse chez une patiente ayant bénéficié d’une transplantation utérine par l’équipe suédoise de Mats Brännström a « stupéfié » le monde médical et le grand public(2). Depuis, les programmes de TU se multiplient dans le monde : en 2016, l’équipe brésilienne a obtenu après TU, la première naissance d’un enfant en bonne santé à partir d’une donneuse en état de mort encéphalique. L’équipe de Dallas (USA) a réalisé une série de 16 TU dont 14 à partir de donneuses vivantes ; 10 greffons étaient viables, et 2 naissances vivantes ont été répertoriées. L’équipe du Pr Brännström a rapporté récemment sa première naissance après prélèvement utérin par cœlioscopie robot assistée. À ce jour, plus de 76 TU (Congrès international de TU, Cleveland 2019) ont été réalisées dans le monde, donnant naissance à au moins 19 enfants en bonne santé. La première transplantation utérine avec donneuse vivante a eu lieu en France le 31 mars 2019 et a été réalisée par l’équipe du Pr Ayoubi (hôpital Foch). L’utérus est fonctionnel avec un retour des menstruations. Le transfert d’embryon congelé était prévu en 2020 chez la patiente. Quelle place pour la TU en France ? Il convient d’encadrer les développements de la TU de manière à permettre l’accès pour toutes les patientes souffrant d’IUA sur l’ensemble du territoire français, en définissant des centres de TU par zone géographique(4). Quelles sont les indications de la TU ? L'infertilité d'origine utérine (IU) concerne des patientes en âge de procréer dont l’utérus est soit absent soit non fonctionnel. Elle touche environ 20 000 femmes pour 100 millions en âge de procréer. Dans l’IU, on distingue l’infertilité utérine absolue (IUA) qui est définie par l’absence d’utérus, par opposition à l’IU relative dont la nosologie est plus floue : il existe un utérus, mais sa fonctionnalité pour l’obtention d’une grossesse est variable. Dans l’IU relative, on peut retrouver le syndrome d’Asherman, l’adénomyose massive ou encore les utérus polyfibromateux. L’IUA peut être secondaire à l’absence congénitale d’utérus (syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser [MRKH]) ou secondaire à une hystérectomie pour pathologie bénigne (hémorragie du post-partum [HPP], adénomyose...) ou maligne (néoplasie du col utérin). La seule possibilité pour les femmes atteintes d’IUA d’être à la fois mère porteuse, mère biologique et mère légale de leur enfant est la transplantation utérine (TU). Les alternatives à la TU pour ses femmes sont la gestation par autrui (GPA) ou encore l’adoption. Ces trois projets pour accéder à la parentalité sont probablement complémentaires. Le syndrome MRKH représente la principale indication de TU ; actuellement au moins 89 % des TU sont réalisées chez des patientes atteintes de ce syndrome. Pour la moitié des patientes MRKH ayant bénéficié d’une reconstruction vaginale chirurgicale, une technique utilisant une portion iléale ou colique a été utilisée. La colpo-sigmoïdoplastie représente un risque pour le greffon utérin et l’implantation embryonnaire en raison des sécrétions digestives. La possibilité de TU devrait désormais influencer le choix du type de reconstruction vaginale chez ces patientes MRKH. Concernant l’antécédent d’hystérectomie pour pathologie maligne, une seule TU a été publiée chez une patiente ayant bénéficié d’une hystérectomie pour une néoplasie du col utérin de 3 cm(2). Aucun signe de récidive n’a été décrit, malgré une exposition prolongée aux immunosuppresseurs du fait des deux grossesses obtenues. En cas d’antécédents d’hystérectomie pour pathologie bénigne, l’indication de l’hystérectomie peut empêcher la réalisation de la TU. Par exemple, l’hystérectomie d’hémostase pour une hémorragie du post-partum (HPP) survient 1 fois pour 1 000 naissances. Dans ce contexte, une transfusion est généralement nécessaire, induisant un risque d’immunisation HLA, risque également présenté par la grossesse elle-même. Dans le cadre d’une transplantation d’organe, l’immunisation HLA est associée à un risque élevé de rejet du greffon. Cela impose une absence d’Ac anti-HLA du receveur contre le donneur, ce qui diminue fortement le nombre de donneuses potentielles pour ces patientes. Par ailleurs, une problématique éthique peut se rencontrer si la patiente a déjà des enfants avec une complication sévère de la grossesse par HPP. En présence d’un utérus non fonctionnel, c’est-à-dire en cas d’infertilité utérine non absolue ou infertilité relative, la TU peut représenter un prochain domaine d’application. De nombreuses pathologies peuvent rendre un utérus non fonctionnel. On peut citer l’adénomyose diffuse, les utérus post-radiques, le syndrome d’Asherman. Dans ces cas, la principale difficulté est de s’assurer que l’infertilité est bien entièrement due à un problème utérin et qu’il n’existe pas d’autre étiologie à cette infertilité. En Inde, 1 TU a été réalisée chez une patiente souffrant d’un syndrome d’Asherman ; celle-ci est actuellement enceinte. Dans la série de TU réalisée par l’équipe de Dallas, 2 TU ont été réalisées dans un contexte d’échec de myomectomie. Choix de la donneuse Actuellement, la plupart des TU sont réalisées dans le cadre d’essais cliniques et l’origine de l’utérus à greffer est variable. Certaines équipes ont fait le choix de travailler à partir de donneuses vivantes (souvent intra-familiales), d’autres à partir de donneuses en état de mort encéphalique et enfin d’autres allient les 2 types de donneuses. Les deux modèles ont prouvé leur faisabilité en termes de succès de la TU et de naissance d’enfant en bonne santé. Disponibilité des greffons utérins L'utilisation de greffon utérin issu de donneuse en EME offre l’immense avantage de s’affranchir des risques chirurgicaux et psychologiques pour la donneuse et des contraintes éthiques à tout prélèvement réalisé chez un donneur vivant. Cependant, certains travaux ont déjà anticipé le risque de pénurie de greffons issus de donneuses en EME face à la demande potentielle des patientes souffrant d’IUA. En effet, on estime à ce jour qu’une femme sur 500 souffre d’IUA, soit plus de 30 000 patientes en France. Selon l’agence de biomédecine, en France seulement 1 770 PMO sont réalisés par an avec seulement 885 femmes. Il existe également une contrainte d’âge des donneuses pour la sélection des greffons utérins. En effet, près de 40 % des donneurs ont plus de 65 ans avec potentiellement des vaisseaux pathologiques, réduisant de facto les possibilités de prélèvement aux patientes en EME de moins de 65 ans.

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