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Cancérologie

Publié le 17 mar 2021Lecture 7 min

Grossesse et cancer du sein

M. ESPIE, Sénopôle hôpital Saint-Louis APHP, Université Denis Diderot
Grossesse et cancer du sein

Une grossesse précoce protège du cancer du sein par rapport à une grossesse tardive et ce, d’autant plus que la femme a plusieurs enfants. Les cancers du sein associés à la grossesse sont souvent de plus mauvais pronostic en raison d’un retard au diagnostic et à la thérapeutique. Ce sont surtout les cancers qui surviennent dans l’année suivant une grossesse qui ont le plus mauvais pronostic. La grossesse est possible après un cancer du sein et n’augmente pas le risque de rechute.

La grossesse est-elle associée au risque de développer un cancer du sein ? Une importante étude norvégienne de registre a confirmé les données antérieurement publiées ; 1 691 555 femmes ayant de 0 à 5 enfants ont été suivies en moyenne pendant 24,9 ans, 22 510 adénocarcinomes mammaires sont apparus. Il a été observé un risque accru de cancer du sein en cas de grossesse tardive, une élévation transitoire du risque après chaque grossesse, qui est plus importante en cas de grossesse tardive. Une femme unipare après 30 ans court plus de risque qu’une nullipare. Chez les femmes bipares, l’effet protecteur à long terme de la grossesse est plus important si les deux grossesses sont survenues à un jeune âge. Il y a eu peu d’effet des grossesses ultérieures. L’effet protecteur à long terme est donc corrélé à l’âge de la mère lors de la première et de la deuxième grossesse et au nombre d’enfants(1). Cet effet protecteur serait lié au fait que la grossesse induit la différenciation terminale de la glande mammaire, la mettant ainsi à l’abri des carcinogènes. Une autre piste qui n’est pas contradictoire serait que la parité élevée est associée à une réduction du nombre des cycles ovulatoires et réduit ainsi notamment l’exposition à la progestérone. Il semble que les cancers qui surviennent ne sont pas les mêmes : dans une série de 11 328 patientes avec un cancer du sein infiltrant, il a été mis en évidence que les pares avaient plus de risque de développer un cancer du sein triple négatif que les nullipares : OR = 1,38 (1,16-1,65). Ces cancers triples négatifs sont davantage associés aux grossesses précoces survenant avant 25 ans. Il existerait également un risque accru de survenue d’un cancer du sein surexprimant HER2(2). Cancer du sein associé à la grossesse Il s’agit par définition de cancers qui surviennent pendant la grossesse ou dans l’année qui suit. Certains étendent cependant cette période jusqu’à 15 ans après la grossesse… L’association entre cancers du sein et grossesse survient entre 1/3 000 et 1/10 000 grossesses. Un tiers des cancers surviennent pendant la grossesse et 2/3 dans l’année qui suit. Cela représente 15,6 % des cas avant 35 ans. On estime qu’il existe 25 000 nouveaux cas par an au niveau mondial(3). Le diagnostic de ces cancers est souvent tardif (délai de 2 à 15 mois) en raison de la difficulté de l’examen clinique, d’une imagerie d’interprétation moins aisée et de la facilité à occulter ce diagnostic tant par la patiente que par les soignants. Il existe donc un retard au diagnostic et à la thérapeutique et on note un risque multiplié par 2,5 d’avoir un diagnostic à un stade avancé par rapport à une femme non enceinte du même âge. En cas de discordance entre l’imagerie (la mammographie est possible mais moins sensible) rassurante et la clinique, une microbiopsie doit être envisagée. L’IRM n’est pas recommandée pendant la grossesse car on ne connait pas l’effet du gadolinium sur le fœtus(4). Par ailleurs, l’âge jeune est en soi un facteur de mauvais pronostic. On va retrouver des tumeurs avec un profil plus agressif, plus fréquemment RH négatives, avec un grade plus élevé, davantage de cancers triple négatifs et d’envahissements ganglionnaires. Le pronostic est donc plus péjoratif(5). Une métaanalyse a confirmé ces données avec un risque relatif de mortalité majoré : HR = 1,44 (1,27-1,63). Ce sur-risque est plus important lorsque le diagnostic est effectué dans l’année qui suit l’accouchement : HR = 1,84 (1,28-2,65) versus 1,29 (0,74-2,24) que lorsqu’il est effectué pendant la grossesse(6). Ce plus mauvais pronostic serait lié aux remaniements de la glande après l’accouchement et la fin de l’allaitement, avec la sécrétion de facteurs de croissance et de phénomènes de réparation semblables à des réparations cicatricielles. L’immunité serait également en cause. Il faut cependant noter que toutes les études ne retrouvent pas ce plus mauvais pronostic lié à la grossesse en appariant « les cas » à des témoins identiques et en ne prenant en compte que les cancers survenant pendant la grossesse(7). Traitements L’interruption de grossesse autrefois souvent proposée n’est pas une procédure thérapeutique, elle n’améliore en rien le pronostic. Une interruption thérapeutique de grossesse sera proposée seulement si la grossesse compromet l’instauration du traitement et le pronostic maternel. C’est souvent le cas lorsque les diagnostics de cancer du sein et de grossesse sont concomitants. Le traitement chirurgical doit être autant que possible le même qu’en dehors de la grossesse. La mastectomie ne doit pas être systématique. La technique du ganglion sentinelle est débattue mais semble possible. La radioactivité délivrée est très faible et ne semble pas délétère. Le taux de faux négatif ne semble pas plus important. En raison des risques d’allergie et de choc, le « bleu » est à éviter(8). La radiothérapie est généralement délivrée après l’accouchement. Nous avons peu de données sur les conséquences à long terme de la radiothérapie chez une femme enceinte. En tout début de grossesse, la radiothérapie risque de provoquer une fausse couche et à partir de la troisième semaine, des malformations sont possibles. L’effet va être variable en fonction de l’âge gestationnel et dépend de la distance entre les champs d’irradiation et la position du fœtus. Quant à la chimiothérapie, sa toxicité dépend du terme de la grossesse, de la nature de la molécule et de son passage transplacentaire ainsi que de la dose délivrée. Schématiquement, au cours du premier trimestre, on va observer des avortements, des décès in utero, des prématurités, des hypotrophies, des malformations et notamment des anomalies viscérales. Au cours des deuxième et troisième trimestres, il n’y a pas d’augmentation du risque de malformation. On peut observer des retards de croissance, des avortements et des accouchements prématurés dans 13 % des cas. Il peut également être observé sans que cela soit systématique une anémie, une leucopénie ou une alopécie(9,10). Au total, le risque le plus important est celui d’un plus petit poids de naissance. Il existe plus de complications mais sans répercussions cliniques significatives. Les accouchements prématurés sont à éviter(11). En pratique, il convient de traiter la mère le plus classiquement possible en respectant la grossesse. Si la grossesse est près du terme, quel que soit le stade du cancer, le traitement classique est possible : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie après un éventuel déclenchement quand la viabilité de l’enfant est certaine. Si la maladie est limitée et qu’elle a un très bon pronostic, le traitement chirurgical est toujours possible et peut suffire s’il est radical. La radio thérapie peut généralement être différée après l’accouchement. Si la maladie est inopérable et survient au début de la grossesse, le traitement optimal ne peut être appliqué sans risque pour le fœtus et l’interruption thérapeutique doit être proposée, la décision finale revenant à la mère. L’hormonothérapie et le trastuzumab si nécessaires seront différés après l’accouchement. L’allaitement est contre-indiqué pendant la chimiothérapie et l’hormonothérapie, la plupart des produits passant dans le lait. Il est autorisé après le traitement(12). Les données concernant le devenir physique et psychologique de ces enfants sont rassurantes, tout du moins à court terme. Grossesse après cancer du sein Plusieurs métaanalyses ont été publiées sur le sujet, qui montrent une réduction du risque de rechute chez les femmes qui sont enceintes après avoir eu un cancer du sein(13,14). Il n’a pas été mis en évidence d’excès de risque de rechute en cas de tumeur RE+(15). Cet effet « bénéfique » s’expliquerait par l’« healthy mother effect » : les femmes qui tombent enceintes auraient, de base, un meilleur pronostic. Mais il existe d’autres pistes à creuser : le rôle protecteur de l’hCG, de la prolacine et des fortes doses d’estrogènes, ainsi que les interférences avec l’immunité maternelle. Faut-il proposer un délai avant ces grossesses ? En cas de cancer du sein de bon pronostic (in situ, N-grade I...) aucun délai d’attente n’est médicalement justifié. En cas de cancer de plus mauvais pronostic (N+, triple négatif, grade III), le conseil d’attendre 2 à 3 ans après la fin des traitements (5 ans pour certains) semble raisonnable afin de « passer » le premier pic de rechute. Reste le problème de l’hormonothérapie proposée pendant 5 ans voire 10 ans et qui va rendre tout projet de grossesse impossible. Il est proposé de conseiller à ces patientes de poursuivre le tamoxifène pendant 2 ou 3 ans, de l’arrêter le temps de la grossesse et de le reprendre à l’issue de celle-ci. Une étude d’enregistrement de cette attitude est en cours. Peut-on proposer des techniques de PMA à ces femmes ? Nous avons fort peu de données mais les deux plus (relativement) importantes séries sur le sujet sont rassurantes(16,17).

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