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Cancérologie

Publié le 13 mar 2018Lecture 9 min

Dépistage organisé du cancer du sein par mammographie - Toujours d’actualité mais il faut limiter drastiquement les mammographies avant 50 ans

Catherine HILL, Institut Gustave-Roussy, Villejuif

La concertation scientifique et citoyenne sur le dépistage du cancer du sein a ajouté de la confusion à une situation qui était déjà confuse. Le dépistage du cancer du sein a été promu dans le passé sur des bases erronées : le bénéfice a été surestimé et les risques de surdiagnostic et de faux positifs n’ont guère été mentionnés et pas du tout mesurés. Un débat s’est alors installé portant à la fois sur la mesure du bénéfice et sur la mesure des risques du dépistage. En faisant des hypothèses argumentées sur ces mesures, on peut estimer les avantages et les inconvénients du dépistage en fonction de l’âge des femmes. Le dépistage à partir de 50 ans est tout à fait justifié, mais avant cet âge, les inconvénients l’emportent sur les avantages ; il faut donc arrêter cette pratique qui est largement répandue en France en dehors de toute recommandation.

Les bases erronées de la promotion du dépistage Surestimation du bénéfice La première erreur a été de laisser croire que le risque de cancer du sein était très élevé, sous-entendant que le bénéfice du dépistage serait très important. Le risque de cancer du sein est très surestimé par la population, comme l’a montré une enquête sur 4 000 femmes aux États-Unis et en Europe. Le risque de mourir d’un cancer du sein était beaucoup moins élevé que ce qu’elles pensaient, et le bénéfice du dépistage était aussi beaucoup moins élevé (figure 1). Figure 1. Estimation par les femmes. (D’après Biller-Andorno N et Jüni P. N Engl J Med 2014 ; 370(21) : 1965-7).  Figure 1a. Estimation par les femmes de la réduction du risque de décès si on fait une mammographie tous les 2 ans à partir de 50 ans à 1 000 femmes suivies 10 ans (enquête sur 4 000 femmes, États-Unis, Royaume-Uni, Italie et Suisse), et risques de décès observés aux États-Unis en 2008.  Figure 1b. Réalité (D’après Biller-Andorno N et Jüni P. N Engl J Med 2014 ; 370(21) : 1965-7). Effet réel du dépistage mammographique sur la mortalité par cancer du sein en 10 ans, calculé à partir des données de mortalité observées en 2008 aux États-Unis sous l’hypothèse d’une réduction du risque de 20 % de la mortalité par cancer du sein chez 1 000 femmes de 50 ans invitées au dépistage. Effets indésirables non mentionnés La seconde erreur a été d’oublier de mentionner les effets indésirables du dépistage. Le principal est le surdiagnostic qui transforme une femme bien portante en malade en détectant un cancer qui ne serait jamais devenu symptomatique de son vivant, soit par régression, soit par stabilisation dans un état latent, soit parce qu’elle serait morte avant l’apparition de symptômes. La figure 2 illustre ces processus. L’autre effet indésirable est le manque de spécificité de la mammographie, une image anormale conduisant à des examens supplémentaires, éventuellement invasifs par biopsie, pour conclure souvent à l’absence de cancer. Figure 2. Schéma de croissance tumorale, un cas dépisté avant l'apparition de symptômes et trois cas de surdiagnostic. Débats sur le bénéfice et le surdiagnostic risque principal du dépistage Le bénéfice L’efficacité du dépistage a été démontrée dans des essais dans lesquels la moitié des femmes ont été invitées au dépistage et la moitié n’ont pas été invitées, l’invitation se faisant par tirage au sort. Ces essais, réalisés dans plusieurs pays, ont rassemblé 620 000 femmes. Ils montrent que le dépistage réduit le risque de mourir d’un cancer du sein de 20 %, estimation utilisée dans la figure 1b. La synthèse des essais fournit en principe le meilleur niveau de preuve de l’efficacité du dépistage. Elle montre que le dépistage conduit à une réduction du risque de décès par cancer du sein de 32 %, 21 % et 15 % selon qu’il a été proposé aux femmes de 70 à 74 ans, 50 à 69 ans et 40 à 49 ans. Cependant, ces essais sont l’objet de plusieurs critiques qui ne sont pas toujours fondées (Tabar et coll. 2016) : – on dit que la plupart des essais sont anciens, donc utilisent des techniques d’imagerie périmées ; mais il y a des essais récents et des essais en cours ; – le tirage au sort a parfois été réalisé en tirant au sort des groupes de femmes, au lieu de faire un tirage au sort individuel, mais ceci ne pose pas de problème si l’analyse tient compte de cette caractéristique du tirage au sort ; – à la fin de la plupart des essais, la population du groupe témoin a été invitée à un dépistage ; ceci diminue l’effet apparent du dépistage mais le biais n’est pas très important ; – on dit que les causes de décès peuvent ne pas avoir été enregistrées de la même façon dans le groupe invité au dépistage et dans le groupe témoin, mais ceci est infondé. Par ailleurs, les essais sous-estiment l’efficacité du dépistage si certaines femmes qui y sont invitées n’y participent pas. On peut corriger l’estimation comme indiqué dans la figure 3. Dans l’exemple de l’essai anglais Age, on voit que cette correction fait passer le bénéfice du dépistage d’une réduction de 17 % (0,22-0,18/0,22) pour l’invitation au dépistage à une réduction de 24 % (0,23-0,17/0,23) pour la participation au dépistage. Figure 3. Correction du résultat d'un essai pour la non-participation au dépistage dans le groupe invité au dépistage. Quand il s’agit de donner à une femme les arguments pour ou contre le dépistage, c’est la réduction du risque associée à sa participation qu’il faut lui indiquer, pas le résultat des essais, dilué par la non-participation. Aux résultats des essais, en principe sans biais, on oppose les résultats de nombreuses études observationnelles, moins bien contrôlées. Dans des études dites « écologiques », on compare la mortalité par cancer du sein dans une même région avant et après l’introduction du dépistage, ou dans 2 régions voisines simultanément si le dépistage a été introduit dans l’une et pas dans l’autre. Dans ces études, on ne dispose pas d’informations individuelles et les difficultés de ces comparaisons sont nombreuses. Par exemple, il ne faudrait pas attribuer au dépistage, dans le groupe invité, les décès d’un cancer du sein si ce cancer a été diagnostiqué avant le début du programme de dépistage ; mais ces décès ne sont pas identifiables. La comparaison de la mortalité par cancer du sein chez des femmes dépistées et chez des femmes non dépistées se heurte toujours à la non-comparabilité de ces deux populations. Dans les études avant-après, il faut estimer l’incidence attendue en l’absence de dépistage dans la population invitée au dé - pistage : on prolonge en général la tendance observée avant l’introduction du dépistage, mais ceci suppose une évolution régulière des expositions aux causes de cancer du sein. L’exemple de la réduction rapide du risque de cancer du sein induit par la diminution non moins rapide de l’usage du traitement de la ménopause, montre la faiblesse de cette hypothèse. On peut aussi faire une enquête cas témoin, en comparant les antécédents de dépistage chez des femmes décédées d’un cancer du sein et chez des femmes témoins. Dans l’ensemble, les études observationnelles ont conduit à des estimations du bénéfice du dépistage extraordinairement contradictoires, les unes concluant qu’elles démontrent l’inefficacité du dépistage, les autres qu’elles montrent une efficacité plus grande que dans les essais.   Le surdiagnostic Le surdiagnostic est très difficile à estimer. Au niveau individuel, on ne sait pas si un cancer dépisté serait devenu symptomatique du vivant de la personne, s’il aurait régressé, s’il serait resté latent ou si la personne serait morte d’une autre cause avant l’apparition des symptômes. La figure 4 montre la diversité des estimations du surdiagnostic publiées. La plupart des estimations sont biaisées. Les estimations les plus récentes sont probablement moins biaisées. Figure 4. Estimations publiées du surdiagnostic en pourcentage de l'ensemble des cas attendus sans dépistage, ordre des années de publication. Certaines études évaluent le surdiagnostic en ne prenant en compte que les cancers invasifs, d’autres prennent aussi en compte les cancers in situ, et d’autres enfin font les deux estimations. Dans la mesure où les cancers in situ sont traités en général au moins par chirurgie, et où ce traitement est parfois assez lourd, pouvant inclure une mastectomie avec reconstruction, plus symétrisation, il faut prendre ces cas de surdiagnostic en compte. La prise en compte des cancers in situ conduit naturellement à une plus grande estimation du surdiagnostic. Une proportion de surdiagnostic ne dépassant pas 10 % des cas attendus sans dépistage semble une estimation raisonnable. Il faut mesurer les bénéfices et les risques Le bénéfice et les risques sont donc sujets de débats vigoureux. Mais il faut quand même essayer d’en proposer une mesure raisonnable. Nous présentons ici les estimations faites par les autorités canadiennes sur la base d’une réduction du risque de 32 %, 21 % et 15 % aux âges respectifs de 70 à 74 ans, 50 à 69 ans et 40 à 49 ans, comme observé dans l’ensemble des essais, et sur la base d’un risque de surdiagnostic indépendant de l’âge et égal à 1 pour 200 femmes dépistées. La figure 5 montre que pour éviter un décès par cancer du sein, avec un suivi de 11 ans, il faut dépister tous les 2 ans 450 femmes de 70 à 74 ans, 720 femmes de 50 à 69 ans et 2 100 femmes de 40 à 49 ans. Le bénéfice est donc plus important chez les femmes plus âgées. En revanche, le surdiagnostic rapporté à un décès par cancer évité est seulement de 2 pour les femmes de 70 à 74 ans, de 4 entre 50 et 69 ans et 10 entre 40 et 49 ans. Figure 5. Bilan de l'avantage et des inconvénients du dépistage selon www.canadiantaskforce.ca. Ainsi, le dépistage entre 40 et 49 ans, après un suivi de 11 ans, aura évité un décès par cancer du sein et transformé à tort 10 femmes en patientes atteintes d’un cancer du sein, et traitées en conséquence. C’est pour cette raison que le dépistage n’est pas organisé avant 50 ans en France. La pratique du dépistage en France La pratique actuelle du dépistage mammographique en France n’est pas bonne. On fait en effet beaucoup trop de mammographies avant 50 ans : 77 % des femmes qui entrent dans le dépistage organisé ont déjà eu au moins une mammographie antérieure, et en 2008-2009 36 % des femmes de 40 à 49 ans avaient eu une mammographie dans les 2 ans. En même temps, seulement 60 % des femmes de 50 à 74 ans avaient eu une mammographie dans les 2 ans, comme il est recommandé. Figure 6. Recours à la mammographie dans les 2 ans, données 2008-009 de l'Échantillon Généraliste des Bénéficiaires de l'Assurance maladie, régime général. Un futur possible Si on voulait moduler l’âge du début du dépistage en fonction des facteurs de risque, on pourrait imaginer de retarder à 60 ans le début du dépistage organisé chez les femmes sans antécédent familial de cancer du sein et ayant toutes les caractéristiques suivantes : avoir eu un premier enfant avant 35 ans, boire moins de 4 verres de boissons alcoolisées par semaine, ne pas avoir eu un traitement hormonal de la ménopause, n’être ni obèse ni en surpoids (IMC < 25 kg/m2), ne pas avoir d’antécédent de mastopathie bénigne, avoir une activité physique d’au moins quelques heures par semaine. La surestimation de l’efficacité du dépistage conduit à une promotion excessive dans les campagnes Octobre Rose, au détriment de messages de prévention, beaucoup plus efficaces. Ainsi, on ne dit jamais que l’alcool (vin, spiritueux, bière et cidre) est un facteur de risque de cancer du sein important en France. En pratique Il faut arrêter de prescrire des mammographies de dépistage avant 50 ans, le bénéfice est trop faible et le risque de surdiagnostic trop grand. En attendant que de meilleures règles de prescriptions des mammographies de dépistage soient d’une part proposées, d’autre part validées, il semble raisonnable de continuer avec le système actuel.  

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