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Cancérologie

Publié le 13 avr 2017Lecture 7 min

Activité physique et cancer

Karine BEERBLOCK(1), Réza ETESSAMI(1), Thierry BOUILLET(2) - 1. Fédération Nationale Cami Sport et Cancer, Neuilly-sur-Seine ; 2. Hôpital Avicenne, Bobigny

De nombreuses publications scientifiques rapportent que l’activité physique (AP) pendant et après les traitements du cancer diminue la fatigue et améliore la qualité de vie des patients, l’estime de soi, le sommeil et les syndromes anxio-dépressifs. La fatigue, symptôme le plus fréquent, est en partie liée à l’augmentation des sécrétions des cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNFα, etc.) et à leurs effets au niveau cérébral et musculaire. La prise de graisse, liée à l’inactivité, et la diminution concomitante de la masse et de la fonction musculaire conduisent à un phénomène d’insulinorésistance avec surproduction de cytokines inflammatoires. L’AP réduit la sécrétion des cytokines et l’insulinémie dès la première séance. elle diminue les risques de rechute et augmente la survie des cancers du sein, du côlon et de la prostate si l’on respecte les règles de dose/intensité/fréquence.

Le respect des contre-indications, l’encadrement par un éducateur spécialisé, la levée des freins des patients et la prescription possible par les médecins devraient conduire à une proposition d’AP à tous les patients dès le diagnostic et sont source d’économies de santé non négligeables. Mécanismes physiopathologiques de l’activité physique L’activité physique (AP) fait partie du traitement de la fatigue en cancérologie, symptôme décrit par la majorité des patients. Elle se définit par tout mouvement corporel produit par une contraction des muscles squelettiques, entraînant une augmentation de la dépense d’énergie. Elle inclut toutes les activités sportives de compétition mais également celles de loisirs, quotidiennes et professionnelles. Elle se mesure en Met-h (1 Met-h = dépense d’énergie assis par heure). Les principaux mécanismes expliquant l’effet bénéfique de l’AP sont liés à des effets sur les taux circulants d’hormones sexuelles et de facteurs de croissance (insulin-like growth factor-1 ou IGF-1) et à la masse graisseuse. Au niveau hormonal En diminuant la masse graisseuse, l’AP agit sur la modulation du taux circulant des hormones sexuelles (estrogènes, testostérone) par augmentation du taux de SHBG (sex hormon binding globulin). Le couple muscle-graisse : synergie d’effets La prise de poids liée à la prise de graisse, notamment intraabdominale, s’accompagne d’une fonte musculaire (sarcopénie) et d’une altération qualitative de la fonction musculaire. La sarcopénie est liée à des sécrétions de cytokines provenant des cellules cancéreuses, dont IL-1, IL-6 et TNFα diffusant par voie sanguine vers les muscles, activant des systèmes enzymatiques de dégradation des myofibrilles, mais aussi vers le système nerveux central, à l’origine de fatigue, troubles de la mémoire et du sommeil. Au niveau graisseux, les acides gras (AG) libérés activent la néoglucogenèse dans le foie ; au niveau musculaire, la compétition des AG avec le glucose inhibe la glycolyse. Cette néoglucogenèse et la diminution de l’utilisation du glucose par les muscles conduisent à une hyperglycémie, une hyperinsulinémie, facteur de croissance tumorale, puis une insulinorésistance par épuisement du pancréas. Ce phénomène est également favorisé par les cytokines du tissu graisseux, comme la leptine (antiapoptotique) dont la sécrétion est stimulée par l’insuline et le TNFα. À l’inverse, l’adiponectine (proapoptotique et anti-inflammatoire), dont le taux est inversement proportionnel au poids, favorise la captation du glucose, l’oxydation des AG par les muscles et diminue les taux d’estrogènes et de TNFα. Plus l’AP est intense, plus les taux d’adiponectine sont élevés. L’AP diminue la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNFα), favorise celle des cytokines anti-inflammatoires, réduit l’insulinorésistance en diminuant l’insulinémie et l’IGF-1, également anti-apoptotique. Des taux élevés d’insuline et d’IGF-1 sont des facteurs de mauvais pronostic des cancers du sein(1). Le bénéfice de l’AP est immédiat, surtout pour les exercices contre résistance et il perdure pendant 72 heures(2). Sarcopénie et adiposité dans le cancer du sein Après le diagnostic, une prise de poids précoce (2 à 3 kg) s’installe pendant et après la chimiothérapie(3) : la prise de graisse (± 4 kg) s’accompagne d’une fonte musculaire (1,3 kg), en particulier chez les femmes ayant un poids normal au diagnostic. Moins de 10 % des femmes retrouvent leur poids habituel. Le tour de taille, reflet de la graisse abdominale, et le ratio tour de taille/tour de hanche sont corrélés à une surmortalité globale. De même, un indice de masse corporelle (IMC) > 25 au diagnostic expose à une toxicité accrue des traitements (grades 3-4), à une surmortalité globale et spécifique chez les femmes pré et post-ménopausées comparativement à un IMC normal (18,525) et à une moins bonne réponse histologique complète après chimiothérapie néo-adjuvante(4). Il existe donc une intrication entre sarcopénie/prise de poids/prise de graisse, mais d’autres facteurs sont également impliqués, dont la malnutrition et la toxicité musculaire de certains traitements. Mesure des masses musculaire et grasse En pratique clinique, la mesure de la vitesse de marche (VM) et de la force musculaire par handgrip (HG) est une méthode simple et fiable d’identification des patients sarcopéniques (figure 1). Les masses musculaire et grasse se mesurent par scan-DEXA, à l’aide d’un impédancemètre, sur TDM ou IRM (coupes en L3). L’intérêt de la mesure de la force musculaire a été montré chez des patients atteints de cancer de l’œsophage. Les complications postopératoires sont plus sévères et la durée de séjour plus longue lorsque la force musculaire, mesurée à l’entrée du bloc opératoire, est plus faible. Figure 1. Consensus européen pour la sarcopénie (VM : vitesse de marche ; HG : handgrip).  Fatigue et activité physique La fatigue liée au cancer est un sentiment d’épuisement persistant et inhabituel ne cédant pas au repos. Elle touche 70 à 90 % des patients, se maintient plusieurs années chez 25 à 30 % de ceux en rémission complète et est liée à la persistance de taux élevés des cytokines inflammatoires (IL-1, TNFα). Plusieurs échelles de mesure sont proposées, unidimensionnelle (brief inventory fatigue) ou multidimensionnelle (multidimensionnal fatigue inventory, FACT-F) explorant la fatigue dans ses composantes physique, cognitive ou émotionnelle. En pratique clinique, l’évaluation de la fatigue est possible sur une EVA (échelle visuelle analogique). Bien que la fatigue soit d’origine multifactorielle, le déconditionnement physique est considéré comme essentiel dans son installation. Les autres causes sont l’anémie, les douleurs, la dénutrition ou les comorbidités (infections, troubles cardiaques, pulmonaires, hépatiques, neurologiques ou rénaux). Selon les recommandations de l’ASCO* et du NCCN** (en ligne), la fatigue devrait être recherchée dès la 1reconsultation en oncologie, puis régulièrement dans le parcours de soin. Les recommandations de l’AFSOS préconisent le diagnostic de la fatigue, le traitement des causes organiques et la pratique régulière de l’AP. Le repos et les siestes, sans bénéfice démontré, ne sont pas recommandés. L’AP, individuelle ou collective, doit être planifiée progressivement dès le début de la prise en charge. Seule l’AP a montré une diminution de la fatigue (20-30 %) et ce, quel que soit le moment de la prise en charge (18 % pendant les traitements, 37 % après)(5) et quels que soient le stade du cancer ou sa localisation. AP et prévention tertiaire dans le cancer du sein Une méta-analyse (8 cohortes de patientes en rémission dans les 4 ans post-diagnostic) a étudié l’impact de l’AP sur les rechutes et la mortalité. L’AP réduit le risque de rechute de 24 %, la mortalité spécifique de 34 % et la mortalité globale de 41 % (figure 2)(6). L’analyse prospective poolée (After Breast Cancer Pooling Project) sur plus de 13 300 patientes, avec une pratique dans les 18 à 48 mois post-diagnostic, montre que les mortalités spécifique et globale diminuent de 25 % et 27 % respectivement lorsque l’intensité atteint 10 Met/h/sem avec un effet dose(7). Le bénéfice absolu en survie à 5 et 10 ans est de 4 et 6 %. Figure 2. Mortalité globale dans le cancer du sein. Autres effets de l’AP Outre l’amélioration des capacités cardio-respiratoires, l’AP a un effet bénéfique sur les symptômes anxio-dépressifs, l’image corporelle, l’estime de soi et le sommeil. En luttant contre la sédentarité, elle diminue les risques de comorbidités métaboliques, cardiovasculaires, ostéo-articulaires et neurologiques. Modalités de l’AP Pour agir sur les paramètres biologiques, diminuer les risques de rechute et améliorer les mortalités globale et spécifique, l’AP doit respecter des règles de dose/intensité/fréquence. L’idéal est de combiner plusieurs types d’activité : aérobie ou endurance pour améliorer les capacités cardio-respiratoires, renforcement musculaire et osseux pour améliorer la résistance et la masse musculaire, assouplissement pour favoriser la récupération et la disponibilité du corps. L’AP doit réunir sécurité, efficacité, régularité et plaisir pour amener le patient à pratiquer au quotidien. Pendant le parcours de soins, la prise en charge doit être réalisée par un éducateur formé en oncologie, avec au moins 2 à 3 séances hebdomadaires de 30 à 50 minutes pendant au moins 6 mois. Les éducateurs assurent l’évaluation initiale et l’évolution des capacités physiques des patients et doivent rester vigilants face aux symptômes nécessitant un avis médical. La pratique collective de l’AP favorise la réinsertion sociale en luttant contre l’isolement. Peu de contre-indications absolues s’opposent à la pratique de l’AP. D’autres relatives (métastase cérébrale ou ostéolytique, toxicité des traitements) nécessitent des évaluations régulières. Conclusion L’AP diminue les graisses et augmente les masses musculaires, directement impliquées dans le mécanisme d’insulino-résistance. Elle est le seul traitement validé de la fatigue, symptôme majeur en cancérologie. L’AP diminue les risques de rechute et de décès par cancer, agit sur le surpoids et ses complications métaboliques et lutte contre l’isolement social, à condition d’être pratiquée dans un cadre sécurisé, avec des éducateurs spécifiquement formés, en respectant les règles de dose/intensité/fréquence.

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