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Endocrinologie

Publié le 13 déc 2015Lecture 14 min

Prise en charge de l’aménorrhée primaire

E. TRYOEN, C. PIENKOWSKI, Unité d’endocrinologie et gynécologie médicale, Hôpital des Enfants, Toulouse

L’aménorrhée primaire est définie par l’absence de ménarche après l’âge de 16 ans. La prévalence est de 3 à 4 % dans la population générale d’adolescentes.
Le diagnostic est basé sur un trio d’outils – clinique, échographique et hormonal – permettant l’orientation étiologique et la décision thérapeutique la plus adaptée.
Les investigations étiologiques dépendent du niveau du déficit et sont essentiellement basées sur les recherches génétiques.
Le traitement est basé selon les cas sur un apport estrogénique adapté ou un traitement estroprogestatif pour supplémenter la carence hormonale. La prise en charge nécessite d’expliquer les conséquences potentielles sur la vie sexuelle et de prévoir les possibilités sur la fertilité. 

Orientation diagnostique Il existe un trio d’outils diagnostiques permettant d’orienter la recherche étiologique de l’aménorrhée. La clinique Elle se base sur les mensurations, poids et taille, qui permettent de tracer les courbes de croissance staturale et pondérale et de calculer l’indice de masse corporelle (IMC) défini par la formule P(kg)/Taille2(m) pour rechercher un surpoids/obésité ou une cassure pondérale. L’examen clinique permet d’apprécier le développement pubertaire (stade de Tanner) et d’interroger sur l’ancienneté du développement mammaire. L’existence de leucorrhées objective la perméabilité vaginale. La recherche d’hirsutisme oriente vers une hyperandrogénie clinique évaluée par le score de Ferriman et Gallway. L’interrogatoire permet d’évaluer l’équilibre alimentaire, le type d’activité physique et le nombre d’heures par semaine. On interroge l’adolescente sur la présence de leucorrhées afin de voir si les signes secondaires de puberté sont présents. L’examen gynécologique externe n’est pratiqué qu’avec le consentement de l’adolescente et se justifie devant une aménorrhée primaire sans leucorrhées et un développement pubertaire ancien. Il permet de vérifier l’existence et la perméabilité de l’hymen. Ce geste effectué avec une bougie de Hégar est fait en milieu spécialisé ; il est souhaitable de le différer après une première consultation. L’imagerie L’examen de base dans le cas d’aménorrhée est l’échographie pelvienne par voie abdominale pour rechercher la présence ou non d’utérus et de vagin, et évaluer la morphologie et le volume des ovaires et les signes d’imprégnation de l’utérus. Le bilan hormonal Le dosage des gonadotrophines LH et FSH est l’élément de base du raisonnement étiologique associé au dosage des estrogènes et des androgènes de base. L’AMH (hormone antimullérienne) n’est pas un examen de routine, mais il permet d’évaluer la réserve ovarienne. Le bilan est complété selon les cas par le dosage hypophysaire (TSH, prolactine et cortisol-ACTH) ou par un bilan des androgènes.   Orientation étiologique Il existe plusieurs orientations étiologiques en fonction du bilan hormonal et de la présence ou non des caractères sexuels. Le raisonnement étiologique est basé sur l’imagerie et le dosage des gonadotrophines, et notamment la FSH qui permet de différencier les causes gonadiques (FSH élevée) d’une cause centrale (FSH basse). Nous ne déclinons les différentes causes que pour en envisager les différentes prises en charge thérapeutiques. Bilan hormonal normal (FSH normale) et présence de seins L’absence de ménarche, alors que le développement mammaire est complet et évolue depuis plus de 3 ans, oriente vers des causes gynécologiques basses et en particulier utéro-vaginales. Il est nécessaire de poser la question sur l’existence ou non de leucorrhées et de douleurs. L’examen gynécologique et l’imagerie (échographie pelvienne ou IRM pelvienne) permettent de différencier les étiologies (figure 1).   Figure 1. FSH normale, seins +.   • L’existence de douleurs pelviennes et d’une masse bombant à l’hymen avec syndrome compressif (dysurie et constipation) oriente vers un hématocolpos. Le traitement consiste à rechercher une malformation et faire une chirurgie d’ouverture avec aspiration. • L’absence d’utérus et/ou de vagin oriente vers une agénésie utéro-vaginale. La fréquence de cette malformation est d’environ 1/4 000 femmes 46,XX et peut s’intégrer dans le cadre des MURCS (syndrome malformatif associant une agénésie rénale dans 30 % des cas et des anomalies rachidiennes dans 15 à 20 % des cas). Ces anomalies ont fait l’objet d’un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) en octobre 2012 (www.has-sante.fr, PNDS aplasie utéro-vaginale). L’annonce difficile s’appuie sur une prise en charge pluridisciplinaire avec psychologue, médecin, chirurgien. Le traitement est basé sur la création d’un néo-vagin, soit par auto-dilatation, soit par greffon sigmoïdien. L’avenir est sans doute à la possible greffe utérine et aux autogreffes de tissu vaginal. • L’absence de douleurs et la présence de vagin demandent un avis spécialisé et des investigations génétiques. L’absence ou une raréfaction de la pilosité pubienne, une testostérone et une AMH très élevées orientent vers une insensibilité aux androgènes. Le caryotype est 46,XY, l’arbre généalogique familial est souvent informatif, seule la biologie moléculaire des récepteurs aux androgènes permet de confirmer le diagnostic. La prise en charge pluridisciplinaire nécessite un abord psychologique, la surveillance des gonades et la programmation avec la patiente de la gonadectomie en raison du risque de dégénérescence tumorale.   En pratique L'échograhie pelvienne se justifie dans tous les cas d'aménorrhée primaire alors que la progression pubertaire s'est effectuée à un âge normal. L'association avec des douleurs croissantes oriente vers un hématocolpos. L'absence d'utérus nécessite une prise en charge dans un centre spécialisé.     Bilan hormonal avec FSH élevée et absence de développement mammaire (figure 2) La présence d’un utérus impubère, des gonades peu visibles et une FSH élevée orientent vers une insuffisance gonadique par dysgénésie gonadique. Le bilan de base comporte un caryotype, une imagerie pelvienne et un bilan malformatif avec échographie cardiaque et rénale. Dans tous les cas, le traitement estrogénique est débuté à 1/8 de la dose adulte, progressivement augmenté par palier en associant un progestatif. Ce traitement permet un développement des seins et de l’utérus, le maintien des menstruations. Les possibilités de fertilité ultérieure nécessitent le recours au don d’ovocytes.   Figure 2. FSH élevée - seins -.   • L’interrogatoire permet d’écarter les insuffisances ovariennes secondaires au traitement gonadotoxique : chimiothérapie (alkylant, greffe de moelle) ou radiothérapie (au-delà de 4 grays), ou secondaires à des chirurgies bilatérales pour masse ovarienne ou torsion. • La cause la plus fréquente est le syndrome de Turner qui affecte 1/2 500 femmes et qui correspond à une anomalie de l’X. Il est caractérisé par une petite taille et une dysgénésie gonadique. Le caryotype peut révéler une anomalie de nombre (monosomie 45X) ou de structure (délétion X) ou une mosaïque. Le bilan malformatif doit être exhaustif pour rechercher une pathologie cardiaque (biscupidie aortique, coarctation aortique), rénale (rein en fer à cheval), ORL (surdité de perception) et auto-immune (dysthyroïdie, maladie cœliaque). La prise en charge thérapeutique est basée sur le traitement par hormone de croissance, toujours possible jusqu’à un âge osseux de 13 ans, puis sur une supplémentation par des estrogènes, puis des estroprogestatifs. Il est important d’évoquer l’infertilité et de parler du don d’ovocytes et du bilan préconceptionnel indispensable qui peut contre-indiquer ce projet selon l’état cardiologique. Le risque cardiologique majeur chez l’adulte est basé sur le risque de dilatation aortique. Le suivi auprès de cardiologues spécialisés se fait par angio-IRM avec mesure du diamètre aortique en 4 points rapportés à la surface corporelle. l • Si le caryotype est normal 46,XX, il s’agit d’une insuffisance ovarienne primitive et prématurée qui peut relever de divers mécanismes auto-immuns ou génétiques (prémutation X fragile, blépharophimosis, mutation RrFSH, mutation SF1). Outre le bilan étiologique nécessaire, la prise en charge thérapeutique est identique. • Le caryotype est 46,XY avec présence d’utérus. Il s’agit des pathologies touchant la détermination sexuelle fœtale (DSD) avec défaut de production d’androgènes et d’AMH, expliquant le développement de l’utérus ; on parle de réversion sexuelle. Le bilan génétique recherche des mutations de différents gènes, par exemple SF1, SRY… Le traitement hormonal est basé sur la supplémentation estroprogestative. Une surveillance gonadique puis une exérèse chirurgicale de la gonade dysgénétique sont conseillées dans ces cas, du fait du risque de dégénérescence. Le don d’ovocytes est aussi à évoquer pour la fertilité future.   En pratique L'absence de développement mammaire et une FSH élevée orientent vers une dysgénésie gonadique. Le caryotype est indispensable. La prise en charge est effectuée dans des centres spécialisés.   FSH normale ou basse Le bilan est orienté vers des anomalies hypophysaires ou hypothalamiques (figure 3).   Figure 3. FSH normale ou basse - seins ±.   • L’interrogatoire, l’examen clinique avec le tracé des courbes de croissance et d’IMC permettent d’orienter vers les aménorrhées hypothalamiques telles que l’anorexie mentale ou le sport intensif. Ailleurs, il peut s’agir du retentissement de la maladie chronique (maladie cœliaque, mucoviscidose, maladie inflammatoire digestive). Le traitement est étiologique sur la pathologie de base, puis sur une supplémentation estroprogestative. • Le dosage de prolactine fait partie du bilan initial. À ce stade, le développement mammaire peut être absent, incomplet ou présent sans galactorrhée. Un taux élevé de la prolactine fait évoquer un adénome à prolactine et réaliser sans retard une IRM hypophysaire. Une fois le diagnostic d’adénome à prolactine fait, la mise en place du traitement médical est à base d’agonistes dopaminergiques. Ces traitements non seulement inhibent la sécrétion de prolactine, mais ont aussi un effet antitumoral significatif. • En dehors de tout antécédent, la première cause à évoquer est l’hypogonadisme central dont la fréquence est d’environ 1/10 000. La clinique permet d’évoquer ce diagnostic : la courbe staturo-pondérale montre un retard statural et la présence de signes centraux tels que l’anosmie et les céphalées orientent vers des étiologies. Le bilan hypophysaire recherche des déficits associés comme une insuffisance thyréotrope, corticotrope, somatotrope et prolactinique qui feront l’objet d’un traitement substitutif approprié. L’IRM centrée sur la région sellaire et sur les bulbes olfactifs peut orienter le diagnostic vers la présence d’une hypoplasie hypophysaire, d’une masse tumorale (craniopharyngiome), ou d’un syndrome de Kallman (hypoplasie des bulbes olfactifs). Le traitement est une supplémentation estroprogestative progressive. La prise en charge de la fertilité nécessite une induction de l’ovulation par les gonadotrophines.   FSH normale avec développement mammaire et hyperandrogénie C’est une des situations les plus fréquentes d’aménorrhée ou de spanioménorrhée de l’adolescente. La présence d’un hirsutisme ou du développement excessif de la pilosité dans les zones androgéno-dépendantes, évalué par le score de Ferriman et Galwey, doit faire évoquer une hyperandrogénie. Le bilan des androgènes est à interpréter selon les taux retrouvés. L’imagerie par échographie pelvienne et l’IRM permettent d’orienter le diagnostic. • Une élévation de la testostérone (> 0,6 ng/l) et de l’AMH (> 5 ng/ml) avec de gros ovaires (> 10 ml) oriente vers un syndrome des ovaires poly kystiques. C’est la cause la plus fréquente d’hyperandrogénie qui débute à l’adolescence. Le traitement est antigonadotrope, basé sur l’acétate de cyprotérone (Androcur®) et les estrogènes ou la pilule estroprogestative avec possibilité d’induction ovulatoire ultérieurement. Une surveillance métabolique est recommandée du fait du risque potentiel de dyslipémie, d’hyperinsulinisme et de diabète de type 2 à l’âge adulte, ce qui fait le lit du risque cardio-vasculaire. • La 17-hydroxyprogestérone élevée (> 0,2 ng/l) oriente vers une hyperplasie congénitale des surrénales à révélation tardive (confirmée par la biologie moléculaire) ; le traitement est basé sur l’hydrocortisone et le conseil génétique pour envisager une grossesse. • La testostérone élevée (> 1,5 ng/l) oriente vers une tumeur rare surrénalienne (SDHA très élevée) ou ovarienne. Le diagnostic repose sur l’IRM. Le traitement est basé sur la chimiothérapie et la chirurgie.   En pratique Une aménorrhée associée à une hyperandrogénie oriente vers une sécrétion d'androgènes, soit ovarienne, soit surrénalienne. Le syndrome des ovaires polykystiques est l'endocrinopathie la plus fréquente, touchant 5 à 8 % des femmes, à début précoce à l'adolescence. Le bilan est basé sur le dosage des androgènes : testostérone, SDHA, D4 et 17-hydroxyprogestérone. L'échographie pelvienne est informative quand elle note une augmentation du volume ovarien > 10 ml.   Traitement Le traitement de l’aménorrhée dépend de la cause et de l’intensité du déficit estrogénique. • Devant un impubérisme, l’induction pubertaire est basée sur l’emploi quotidien de 17β-estradiol à faible dose (1/8 de la dose adulte) en gel, patch ou comprimé. La dose initiale est faible de l’ordre de 1/8 à 1/6 de la dose adulte de 2 mg (par exemple une demi-pression de gel de 17β-estradiol par jour ou une pression 1 jour sur 2) et augmentée par palier très progressivement tous les 6 mois. Le maintien des cycles se fait par traitement séquentiel : utilisation d’estrogènes pendant 20-25 jours puis progestérone en deuxième partie de cycle pendant 10-15 jours. L’utilisation de formes combinées est courante. • Devant des caractères sexuels présents associés à une imprégnation utérine, le test au Duphaston® est indiqué. Il consiste à administrer 2 comprimés par jour à raison de 10 jours par mois pendant au moins 3 mois. L’apparition de règles prouve une carence en progestérone et le traitement est basé sur un traitement estroprogestatif. Si ce test est positif, le traitement est poursuivi pendant au moins 1 an. La surveillance du traitement est basée sur l’examen clinique et paraclinique. • L’examen clinique permet de surveiller la progression du développement mammaire et la croissance pubertaire. Il est important de surveiller la prise de poids (par l’IMC) et l’installation des cycles (régularité, dysménorrhées). • La surveillance gynécologique est basée sur le frottis cervico-utérin à partir de 25 ans. En France, le schéma vaccinal propose la vaccination antiHPV en 2 injections à partir de 11 ans et 3 injections après 14 ans. Une contraception est envisagée s’il existe une activité sexuelle, dans le respect des contre-indications. • La surveillance échographique évalue le développement de l’utérus (avec la hauteur et l’épaisseur de l’endomètre) et l’apparition de la ligne endocavitaire. • L’ostéodensitométrie permet d’évaluer l’acquisition de la masse osseuse, témoin d’une bonne imprégnation estrogénique. Une supplémentation en vitamine D, ampoule trimestrielle, est conseillée. • Cette surveillance a des bénéfices tant pour la patiente que pour le médecin, les bénéfices attendus par la patiente sont un bon développement de l’appareil génital (mammaire, trophicité vaginale) permettant une sexualité normale. Les bénéfices pour le médecin sont une surveillance régulière de la masse osseuse et des risques cardiovasculaires. En pratique La supplémentation hormonale chez les patients avec un syndrome de Turner se fait par palier : – palier 1 pendant 6 à 12 mois pour l'imprégnation estrogénique. Il faut utiliser soit Œdim® 25 1/8 de patch le soir, soit le gel 17B-estradiol une demi-pression 1 jour sur 2 ou en comprimé 1/4 1 jour sur 2 ; – palier 2 et 3 pendant 6 mois. La dose d'estrogènes estdoublée à chaque palier et lorsqu'elle est à 1 mg, introduction de progestérone ; – palier 4 pour l'administration de progestatif en prise discontinue calquée sur les cycles de "pilules". L'utilisation d'estrogènes pendant 21 à 25 jours puis de progestérone 10 jours par mois peut se faire par des formes combinées telles que Climaston® 1/10 ou 2/10.   Conclusion L’ensemble de ces affections qui touchent la fertilité de ces jeunes patientes nécessite une prise en charge adaptée lors de la période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Le but est d’aboutir à une prise en charge personnelle, permettant à la patiente de comprendre son affection et ses traitements.  

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