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Société

Publié le 13 jan 2016Lecture 9 min

Excision : état des lieux en France et dans le monde

S. ABRAMOWICZ, Centre hospitalier Delafontaine, Saint-Denis

L’OMS définit les mutilations sexuelles féminines (MSF) comme l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes et/ou tout geste pratiqué sur les organes génitaux féminins pour des motifs culturels ou tout autre motif non thérapeutique(1).
On estime à 133 millions le nombre de femmes qui ont été victimes d’une mutilation sexuelle rituelle dans le monde, 1 fillette serait excisée toutes les 15 minutes et 30 millions de fillettes risquent d’être victimes les dix prochaines années.
Cette pratique viole les droits humains fondamentaux des filles et des femmes, car elle les prive de leur intégrité physique et mentale, de leur droit à une existence exempte de violence et de discrimination et dans le pire des cas, de la vie(2).

Ces mutilations sont actuellement pratiquées principalement dans 28 pays d’Afrique et du Proche-Orient avec une prévalence variant de 5 à 99 % selon les pays. Elles sont pratiquées plus rarement dans certains pays d’Asie (Indonésie et Malaisie), ainsi qu’en Europe chez les populations migrantes. Bien qu’interdite par un nombre croissant de pays, cette pratique perdure. Épidémiologie descriptive Les données les plus récentes montrent d’importantes variations entre les pays. Si les MSF sont quasi généralisées en Somalie, en Guinée, à Djibouti et en Égypte, où le taux de prévalence dépasse 90 %, elles affectent seulement 1 % des filles et des femmes au Cameroun et en Ouganda (figure 1).             Figure 1. Pourcentage de femmes victimes de MSF par pays (UNICEF 2013(5)).   Plus de 125 millions de femmes dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient ont subi une MSF et 5 % de ces femmes vivent en Europe. Ces pratiques sont également présentes à un degré bien moindre dans d’autres parties du monde, mais on ignore le nombre exact de filles et de femmes concernées. Afin d’évaluer la prévalence de l’excision, deux indicateurs sont à notre service : le pourcentage de filles et de femmes en âge de procréer (15 à 49 ans) ayant subi des MGF/E ainsi que la prévalence nationale de l’excision chez les filles âgées de 0 à 14 ans, qui reflètent leur situation actuelle, et les dynamiques les plus récentes concernant ces pratiques. Ainsi, depuis 1979, des études ont été menées. Tout d’abord ces études étaient fondées sur des témoignages afin d’évaluer la pratique. En 1989, une première carte d’estimation (étude anthropologique) est publiée. Depuis 25 ans, l’UNICEF et l’OMS mènent des études fiables, avec une méthodologie solide. Nous nous sommes ainsi aperçus que les MSF sont étroitement liées à des groupes ethniques et ne s’arrêtent pas aux frontières de certains pays ; en effet, l’excision doit être évaluée en fonction des ethnies. En prenant l’exemple du Sénégal, nous voyons que 26 % de la population féminine est excisée, mais en réalité, les Nougous sont excisées à 95 % alors que les Djobels le sont à 1 %. Dans les 29 pays où se concentrent la majorité des MSF, presque toutes les filles sont excisées avant l’âge de 15 ans. En Égypte, au Tchad, à Djibouti, en Somalie, 80 % des filles sont excisées entre 5 et 14 ans marquant le rite de passage à l’âge adulte.   Raisons de la perpétuation de la pratique L’excision perdure pour différentes raisons. En effet, malheureusement il s’agit encore d’une norme sociale, il est donc difficile pour des familles isolées de ne pas s’y conformer. Ces pratiques sont perçues comme une obligation sociale, et si elles ne sont pas respectées, des conséquences telles que l’exclusion sociale, la critique, les moqueries, la stigmatisation ou l’incapacité pour les filles de trouver un mari sont à craindre. Qui excise ? Dans la plupart des pays, l’excision est pratiquée par des exciseuses traditionnelles. Mais dans certains pays tels que l’Égypte, le Soudan ou le Kenya, l’excision est pratiquée par des professionnels de santé. Dans la plupart des pays où le personnel de santé participe aux MSF, ce sont le personnel infirmier, les sages-femmes ou d’autres agents de santé formés qui pratiquent l’excision. L’Égypte reste un cas particulier ; en effet, trois quarts des filles (77 % des cas) sont excisées par un professionnel de santé, généralement un médecin, ce qui représente une situation unique en son genre. Le pourcentage de filles excisées par un personnel de santé en Égypte est passé de 55 % à 77 % entre 1995 et 2008. Environ un tiers de ces interventions ont eu lieu dans un cabinet, à l’hôpital ou dans une clinique. Donc, plus de la moitié des interventions pratiquées par un agent de santé l’ont été en dehors de tout établissement de santé, plus précisément à domicile, à l’aide d’une lame ou d’un rasoir et une fille sur quatre n’a bénéficié d’aucune anesthésie. Cependant, cette proportion d’excision en insalubrité reste bien plus élevée dans les pays où elle est pratiquée par des exciseuses traditionnelles. Évolution de la pratique Le type de mutilation a peu évolué, notons tout de même que dans certains pays, l’ablation de tissus paraît moins importante ; par exemple à Djibouti, 83 % des femmes de 42 à 49 ans sont infibulées contre 42 % des femmes de 15 à 19 ans. Dans la plupart des 29 pays étudiés, les MGF/E sont moins courantes chez les adolescentes que chez leurs aînées. En effet, nous pouvons remarquer qu’en Érythrée, 95 % des femmes entre 45 et 49 ans sont excisées contre 78 % des filles entre 15 et 19 ans (figure 2).                   Figure 2. Pourcentage de filles âgées de 45 à 49 ans ayant subi des MSF (UNICEF 2013(5)).   La prévalence de l’excision chez les filles de 0 à 14 ans est l’indicateur le plus représentatif de la baisse de la pratique, puisqu’il montre l’évolution entre les mères et leurs filles en pourcentage et non en valeur absolue, cette dernière étant biaisée par l’augmentation de population. De plus, nous pouvons remarquer que la prévalence de l’excision baisse dans les pays à faible prévalence ; en revanche, elle stagne dans les pays à forte prévalence. Cependant, gardons à l’esprit qu’il perdure d’importantes variations entre les pays (figures 3 et 4).   Figure 3. Pourcentage de filles âgées de 15 à 49 ans ayant subi des MSF dans les pays à faible prévalence (UNICEF 2013(5)). Figure 4. Pourcentage de filles âgées de 15 à 49 ans ayant subi des MSF dans les pays à très forte prévalence (UNICEF 2013(5)).   Les MSF sont, certes, de moins en moins courantes dans un peu plus de la moitié des 29 pays étudiés, mais l’augmentation de la population fait que le nombre brut de femmes excisées ne régresse pas malgré le recul de la pratique. L’Europe et la France, terres d’asiles Les principaux pays d’asile pour les femmes venant de pays pratiquant les MSF en 2011 étaient la France (4 210), l’Italie (3 095), la Suède (2 610). Ces chiffres se fondent sur le nombre de demandes d’asile déposées en Belgique provenant de femmes originaires de pays dans lesquels les MGF sont pratiquées(3), afin de protéger leurs filles MGF. En s’appuyant sur une définition relativement restrictive de la population féminine à risque, on peut estimer qu’en 2004, il y avait près de 53 000 femmes adultes excisées en France(4). Certaines caractéristiques des femmes excisées vivant en France ont été étudiées, par exemple un quart des femmes interrogées étaient nées en Europe, un tiers en Afrique de l’Est, 19 % en Afrique de l’Ouest, 16 % en Afrique centrale. La moitié des femmes vivaient en couple et 70 % avaient eu un enfant, 20 % avaient fait des études supérieures et 35 % avait un emploi. Législation Vingt-six pays d’Afrique et du Moyen-Orient ont signé la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Sur le plan international, 33 pays du monde ont adopté une législation interdisant les MGF, essentiellement pour protéger les enfants originaires de pays pratiquant les MGF, par la loi ou par un décret constitutionnel. De plus, l’ONU, l’UNICEF, l’OMS ont mené différentes actions, ainsi en 1948, l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Et en 1979, la convention internationale demande l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. En 1990, la convention des droits de l’enfant condamnant les MSF, 192 pays ratifient cette convention sur l’abolition des pratiques traditionnelles. En 1997 et en 2008, l’OMS et l’UNICEF font une déclaration conjointe contre la pratique des mutilations sexuelles féminines. En 2012, l’ONU mène une action mondiale visant à éliminer les mutilations génitales féminines. En France, l’excision et l’infibulation relèvent de la cour d’assises sous divers chefs d’inculpation. La France est le premier pays européen à avoir intenté des procès pour MSF dès 1979. Dans le cadre de la protection de l’enfance, les professionnels sont soumis à un devoir de signalement (article 223-6 du Code pénal). Lutte contre l’excision Différents programmes ont été mis en place pour lutter contre l’excision(5). La sensibilisation de la population permet de faire évoluer les normes sociales et morales ; elle se fait grâce à des programmes de terrain, par l’éducation des populations et la place de la femme dans la société. De plus, le plaidoyer auprès des instances officielles permet de faire changer les lois et les structures. Les femmes ont une place importante dans la lutte contre l’excision, leur attitude envers les MGF/E est variable d’un pays à l’autre. Par exemple, les MGF/E bénéficient d’un soutien important au Mali, en Guinée, en Sierra Leone, en Somalie, en Gambie et en Égypte, où plus de la moitié des femmes sont favorables à ces pratiques, qui restent une reconnaissance sociale. Pourtant, dans la plupart des pays où se concentrent les MGF/E (19 sur 29), la majorité des filles et des femmes estiment que ces pratiques doivent cesser. Les hommes ont également une place importante dans la lutte contre l’excision. En effet, les mutilations génitales sont souvent considérées comme l’expression d’un contrôle patriarcal sur les femmes, sous-entendant ainsi que les hommes en seraient d’ardents défenseurs. En réalité, les femmes et les hommes manifestent une volonté équivalente de mettre un terme à ces pratiques. Dans certains pays comme le Niger, le Burkina Faso et le Bénin, on note même que plus d’hommes que de femmes souhaitent l’arrêt des MGF/E. Conclusion Les MGF/E perdurent malgré les actions menées depuis près d’un demi-siècle en vue de leur élimination. Cependant, les MSF sont en régression dans plus de la moitié des pays étudiés, mais l’augmentation de la population fait que le nombre brut de femmes excisées ne diminue pas malgré le recul de la pratique. Néanmoins, l’étude de ces pratiques a permis l’apparition de nouvelles pistes de travail. Ainsi, il est impératif de tenir compte des différences entre les groupes de population, de modifier les attitudes individuelles, et d’intégrer les attentes des groupes sociaux, pour faire évoluer les pratiques.                

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