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Endocrinologie

Publié le 07 fév 2016Lecture 10 min

Impact du DES sur le cerveau

M.-O. SOYER-GOBILLARD*, C. SULTAN** *Directeur de Recherche Émérite Honoraire au CNRS, Présidente de Hhorages-France (Halte aux Hormones Artificielles pour les Grossesses), Asnières-sur-Oise, mog66@orange.fr ** Unité d’Endocrinologie-Gynécologie pédiatriq

Les conséquences somatiques de l’exposition in utero à des hormones de synthèse telles que le diéthylsilbestrol (DES) ou l’éthinylestradiol (EE), sont reconnues depuis longtemps.
L’analyse de témoignages spontanés de deux cohortes issues de l’Association Hhorages-France* montre l’émergence de troubles psychiatriques graves et de suicides chez les descendants.
Aucun trouble n’est signalé chez les premiers nés non exposés, alors que des troubles somatiques et/ou psychiatriques sont remarqués chez les enfants exposés après traitement ou pour certains, nés après une exposition lors d’une grossesse antérieure.
Une recherche à l’échelle génétique et épigénétique est en cours pour démontrer le lien de causalité.

* Hhorages-France (Halte aux HORmones Artificielles pour les GrossessES, Association Loi 1901) www.hhorages.com

Le développement du cerveau est sous le contrôle génétique de neuro-hormones durant la vie foetale. Des perturbateurs endocriniens tels que les estrogènes de synthèse (comme le diéthylstilbestrol), ou DES, qui ont été prescrits pendant des décennies à des femmes enceintes dès 1939 ont été montrés comme étant responsables d’effets somatiques dévastateurs chez les enfants nés de ces femmes. De plus, l’exposition prénatale à ces facteurs capables de perturber le neurodéveloppement est suspectée d’augmenter le risque de troubles psychiatriques dans la descendance. Des études sur l’animal (rat, souris) confortent ces conclusions aux plans somatique et comportemental. DES ou éthinylestradiol (EE) provoquent, outre des avortements spontanés, des troubles du comportement tels qu’agressivité, troubles anxieux ou mimant la dépression. Peu de recherches ont été entreprises à ce sujet chez l’homme, sur le développement foetal et en particulier sur celui du cerveau et rares sont les enquêtes épidémiologiques. L’une d’elles réalisée en double aveugle en 1983 par Vessey(1), 30 ans après un essai clinique de Dickmann et coll.(2), a montré sur une même cohorte de 700 femmes imprégnées in utero avec le DES versus 700 femmes dont la mère avait reçu un placebo, une augmentation de dépressions et de troubles anxieux. Mère concernée par ce grave problème, l’un des auteurs est également chercheur et participe aux travaux qui contribuent à démontrer le lien de causalité entre l’apparition de ces troubles et l’exposition des descendants à ces hormones. L’Association Hhorages a été fondée dans ce but, et un recueil des effets délétères de ces hormones synthétiques sur les enfants exposés in utero a été réalisé auprès des familles à l’aide d’un questionnaire détaillé contribuant à la création d’une base de données. La cohorte de Hhorages Nous avons analysé une cohorte issue des témoignages spontanés de 529 mères à l’Association Hhorages. Les mères ont fourni soit les ordonnances, soit les dossiers médicaux gynécologiques, soit des attestations sur l’honneur ou de témoins du traitement. Cette cohorte concerne 1 182 grossesses (Cohorte I), parmi lesquelles 180 enfants premiers nés n’ont pas été exposés in utero à des hormones de synthèse (DES et/ou EE) et ne sont atteints d’aucun trouble. Parmi les 740 enfants exposés sur ordonnance, 70 ne sont atteints d’aucun trouble alors que 670 sont atteints de troubles somatiques (malformations génitales diverses, azoospermie, cancers…) associés ou non à des troubles psychiatriques, en plus de 20 enfants mort-nés ; 262 enfants sont nés ensuite sans exposition sur ordonnance, mais après une grossesse antérieure de leur mère sous hormone(s) (post-DES) ; 242 de ces enfants ne présentent aucun trouble alors que 20 enfants présentent à la fois des troubles somatiques et psychiatriques. Les diagnostics ont été relevés chez les garçons et les filles de seconde génération d’après le témoignage des familles suite à l’examen des dossiers d’hospitalisation en psychiatrie, soit celui des ordonnances, soit celui de certificats médicaux (tableau). Tableau. Détail d'une cohorte de 1182 enfants (Cohorte I) nés de 529 mères. Ces témoignages ont été comptabilisés en fonction du type d'hormones synthétiques prescrites : DES, EE, estroprogestatif, progestérone retard seule.   Troubles psychiatriques des fils Parmi les troubles psychiatriques observés chez 250 garçons exposés soit au DES soit à l’EE ou au cocktail des deux estrogènes de synthèse, liés ou non à de la progestérone retard synthétique, on dénombre 112 cas de schizophrénies et troubles schizoaffectifs, 85 cas de dépressions récurrentes, troubles bipolaires, anxiété, angoisse, suicides ou tentatives de suicide (TS), 40 cas de troubles du comportement, violence, agressivité, 7 cas de TOC, épilepsie, et 6 de troubles du comportement alimentaire (boulimie et/ou anorexie). Ces cas sont ou non liés à des troubles somatiques (figure 1). Troubles psychiatriques des filles Parmi les troubles psychiatriques observés chez 353 filles exposées soit au DES, soit à l’EE, soit au cocktail des deux estrogènes de synthèse, liés ou non à de la progestérone retard synthétique, on compte 163 cas de dépressions récurrentes, troubles bipolaires, anxiété, angoisse, suicides ou TS, 62 cas de troubles du comportement, troubles de l’humeur, 53 cas de schizophrénies ou troubles schizo-affectifs et 75 troubles du comportement alimentaire (boulimie et/ou anorexie) (figure 2). Dans tous les cas d’enfants exposés et présentant des troubles du comportement liés ou non à des troubles somatiques, les filles sont toujours plus affectées que les garçons(3). L’exposition prénatale au DES affecte le comportement à travers son action au niveau des récepteurs alpha et bêta de l’hypothalamus, récepteurs dont la concentration est plus élevée chez le fœtus femelle que chez le fœtus mâle(4). Figure 1. Détail des troubles psychiatriques de 250 fils DES exposés de la Cohorte I. Observer la majorité de cas de schizophrénies (112/250) en comparaison avec les cas de dépression, bipolarité, anxiété et angoisse (85/250).   Figure 2. Détail des troubles psychiatriques chez 353 filles DES exposées de la cohorte I. Observer la majorité de dépressions récurrentes (troubles bipolaires), anxiété et angoisse (163/353) en comparaison avec les cas de schizophrénies (53/353) et le nombre relativement important de cas de troubles du comportement alimentaire (anorexie et/ou boulimie). (Hhorages data). Suicides et tentatives de suicide Sur une cohorte élargie de 820 mères dont sont nés 1 935 enfants (Cohorte II), 318 enfants premiers nés non exposés n’ont présenté aucun trouble (113 garçons et 105 filles). Aucun suicide ni tentative de suicide n’a été noté. Sur les 1 614 enfants exposés (1 098 exposés après traitement et 516 post-DES, dont 20 enfants présentent des troubles somatiques et psychiatriques dont 1 suicide), on a noté : 163 séries de tentatives de suicide (63 fils et 100 filles), les séries étant comprises entre 2 et 15 TS par personne et 52 suicides aboutis (41 fils et 11 filles) souvent avant l’âge de 30 ans, ce qui représente un pourcentage de 3,22 % rapporté au nombre d’enfants exposés (1 614 enfants pré- et post-DES) : ce pourcentage est sans commune mesure avec celui des suicides dans la population générale qui est de 1/5 000).   Le passé, le présent et la recherche du lien de causalité Synthétisé en 1938 par Dodds mais non breveté, le DES, estrogène de synthèse non stéroïdien, fut considéré comme « un progrès indiscutable de la thérapeutique des carences ovariennes » ainsi qu’il fut décrit dès mai 1939 dans les publicités. Malgré diverses alertes publiées dès les années 1940, après des travaux sur l’animal prouvant en particulier son effet cancérogène, et malgré les travaux de Dieckmann et coll.(2) initiés en 1953, démontrant sur une importante cohorte de femmes imprégnées versus placebo l’inefficacité du produit pour prévenir les fausses couches ou les naissances prématurées, ce produit a été largement diffusé dans le monde, semant derrière lui une longue liste de méfaits qui ne sont pas encore complètement connus ni admis par la communauté médicale et scientifique internationale. La découverte de cancers cervicovaginaux dits « adénocarcinomes à cellules claires » chez les « filles DES » le fit interdire aux États-Unis en 1971 pour les femmes enceintes, mais seulement en 1977 en France où cette recommandation disparaît du Vidal® pour les femmes enceintes, mais il continue à être prescrit sporadiquement jusqu’en 1981. Cette hormone de synthèse a été administrée soit seule soit en cocktail avec l’éthinylestradiol (EE), plus puissant encore que le DES, parfois avec ajout de progestérone retard synthétique. L’EE interdit pour les femmes enceintes en 1980 est un composant majeur de la pilule contraceptive. Inhibant l’enzyme détoxifiante de dégradation P450, il est aussi très lipophile et reste en grande partie fixé sur les graisses dans le corps humain. Il peut donc continuer à être dangereux en cas de grossesse. En 2010, une étude conduite aux États-Unis par O’Reilly et coll.(5) sur une cohorte de 76 240 infirmières a permis de montrer que les filles exposées au DES in utero (1 612) présentaient plus de troubles dépressifs que les autres. Les publications récentes concernant l’origine neuro-développementale de troubles psychiatriques tels que la schizophrénie font état de l’hypothèse d’une modulation gène-environnement qui passe par des modifications structurales de l’ADN. Celles-ci modifieraient l’expression de certains gènes impliqués dans le neuro-développement et entraîneraient des anomalies structurales et fonctionnelles(6). Un programme de recherche PICRI (Partenariat Institution- Citoyens pour la Recherche et l’Innovation), soutenu par la Région Ile-de-France, est en cours depuis 2007. Issu de la collaboration entre le CERC (Centre d’Évaluation et de Recherche Clinique) du laboratoire INSERM de physiopathologie des Maladies psychiatriques, dirigé par le Professeur M.-O. Krebs (Hôpital Sainte-Anne à Paris) et l’association Hhorages, il est intitulé « Influence des traitements sur le développement cérébral pendant la grossesse, étude des modifications comportementales et biologiques dans des familles informatives dont les mères ont été exposées aux hormones artificielles lors de grossesse(s) ». Cette équipe s’intéresse plus particulièrement à l’étude génétique et épigénétique de l’origine neuro-développementale des troubles psychiatriques et vient de mettre en évidence l’implication de gènes de la famille des HDAC (histone déacétylases) dans les schizophrénies et les troubles schizo-affectifs. Ces gènes sont des acteurs importants du mécanisme d’enroulement ou de déroulement correct ou non des histones autour de l’ADN, mécanisme qui altère la transcription et affecte le développement du système nerveux (7, 8). Par ailleurs, l’observation d’enfants post-DES atteints de troubles somatiques et psychiatriques est à mettre en relation probable avec le caractère lipophile du DES et de l’EE qui, loin de se dégrader comme les hormones naturelles via l’enzyme détoxifiante P450 qu’ils inhibent(9), sont rémanents et restent fixés sur les graisses, puis sont relargués lors de la grossesse suivante.   Conclusion Les résultats préliminaires d’une enquête épidémiologique française diligentée par Réseau DES-France(10) semblent confirmer nos observations : ces résultats suggèrent en effet une augmentation du risque de pathologies psychologiques/psychiatriques chez les filles DES (analyse réalisée sur 3 436 filles DES versus 3 256 femmes témoins). Les effets non seulement somatiques mais aussi psychiatriques de ces hormones de synthèse, et du DES en particulier, sur les enfants exposés in utero, constituent un grave problème de santé publique puisqu’ils sont en plus transmissibles aux générations ultérieures(11). La cohorte spontanée de Hhorages (3 000 enfants à ce jour dont 500 non exposés sans troubles, et 2 500 exposés in utero (pré- et post-DES), présentant des atteintes somatiques et/ou psychiatriques) représente un exemple grandeur nature de l’impact neurodéveloppemental de ces hormones sur l’apparition de troubles du comportement chez l’homme. Dernière minute : des analyses génétiques et épigénétiques de familles de Hhorages effectuées dans le Laboratoire du CERC de l’hôpital Sainte-Anne sous la direction du Professeur M.-O. Krebs ont permis de montrer pour la première fois chez l’Homme que l’exposition prénatale au DES est associée à des modifications de méthylation spécifiques sur l’ADN en lien avec le neurodéveloppement(12).    

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