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Sexologie

Publié le 13 jan 2016Lecture 9 min

Prise en charge sexologique du cancer du sein

A. SEVENE, Paris

La prise en charge des troubles sexuels dans le cancer du sein nécessite de comprendre le fonctionnement de la réponse sexuelle féminine et les conséquences sur celui-ci de toutes les atteintes liées au cancer ou iatrogènes. C’est le travail de tous les membres de l’équipe qui doivent se poser la question, à chaque étape, des répercussions possibles des troubles sur la sexualité de la patiente ou du couple.

Si la préservation ou la reconstruction mammaire permettent de limiter au mieux les troubles de l’image corporelle, il est aussi possible d’aider la patiente à assumer et à réinvestir son corps/plaisir en l’aidant à se détacher des exigences sociales sans renier son identité de femme ou sa féminité.

Dans certains cas, les thérapies sexocorporelles seront une aide précieuse pour des couples en difficulté.

Sur quels principes s’appuie la prise en charge sexologique ? La sexualité s’articule autour d’un corps considéré comme « normal », c’est-à-dire d’une certaine taille, d’une certaine forme, voire d’un certain âge, cette conception étant influencée par des modèles sociaux très puissants et les limites que nous-mêmes pouvons offrir. Deux directions s’offrent à nous : soit nous détacher des exigences sociales, soit exalter notre corps jusqu’à le rendre plus puissant que la nature. Le cancer du sein vient réactiver ce dilemme en modifiant l’espace de ce corps et en créant une rupture temporelle, interrompant le processus normal d’évolution et en remplaçant le corps source de plaisir par un corps souffrant. Ces processus sont le signe de quelque chose que nous devenons sans le vouloir et qui fait écho à la maladie. Ils témoignent d’un corps infidèle, source d’insécurité. Le corps devient un terrain de lutte qui oscille entre la défaite et l’abandon devant la maladie (dépression) et la ténacité de la récupération. Mais au-delà de la parole et du langage, le corps est avant tout une fonction dont la sexualité est au premier plan. C’est sur elle que va porter l’intervention thérapeutique. De nombreuses femmes trouveront seules les solutions ou sauront préserver, avec l’aide de leur compagnon, une qualité relationnelle et sexuelle satisfaisante, mais certaines d’entre elles éprouveront des difficultés sexuelles interférant lourdement avec leur qualité de vie. Le sexologue s’inscrit dans une chaîne d’interventions et d’intervenants thérapeutiques dont le but est, bien sûr, de restaurer un corps proche de la normale dans son apparence et sa fonction, mais aussi d’aider la patiente à assumer et réinvestir son corps en se détachant des exigences sociales en ne reniant ni son identité de femme ni sa féminité. Quelle évaluation ? Cette réhabilitation doit s’appuyer sur une évaluation de la fonction sexuelle avant le traitement et nécessite la capacité à savoir évaluer le désir, la fonction excitatoire ou orgasmique de la patiente. Il faut également pouvoir évaluer la charge symbolique dont le sein a été investi ainsi que les capacités d’adaptation de la patiente. La sexualité du couple devra également faire l’objet d’une évaluation (facteur pronostique). Dans l’idéal, le couple devrait pouvoir être reçu avant le traitement et les choix thérapeutiques discutés en fonction des conséquences sexuelles directes ou indirectes des traitements. L’équipe entourant la patiente devrait pouvoir proposer une aide sexologique ou psychothérapeutique à toutes les étapes de la prise en charge et tous les effets des traitements doivent être pensés sous l’angle de leur retentissement possible sur la sexualité pour mieux en contrer leurs effets. Trois domaines sont particulièrement affectés par les traitements : l’image du corps et l’identité sexuelle féminine (cicatrice disgracieuse, lymphœdème, chute des cheveux, arrêt des règles, etc.), les atteintes gênant la réalisation de l’acte sexuel (lymphœdème, cicatrice douloureuse, sécheresse vaginale, arthralgies…) et les difficultés relationnelles (perte de communication et d’intimité du couple…). Le modèle de réponse sexuelle féminine, tel que l’a élaboré Rosemary Basson, nous permet d’identifier comment les atteintes dans ces domaines altèrent la reprise de la sexualité de la femme (figure 1). Ainsi les troubles de l’image du corps, les difficultés relationnelles et même les simples conditions nécessaires au bien-être préalable à un acte sexuel perturbent la mise en place d’une « intimité émotionnelle » et d’une « neutralité sexuelle bienveillante » permettant à la femme de se sentir « réceptive ». Dans les rares études à ce sujet, la perception par la femme d’une distance émotionnelle avec son partenaire a été identifiée comme un facteur prédictif d’une gêne sexuelle.               Où et comment intervenir ? À toutes ces étapes, chaque atteinte peut nécessiter un intervenant spécialisé (psychiatre en cas de dépression, psychothérapeute ou sexologue, thérapeute de couple pour des difficultés relationnelles, chirurgien pour la mise en place d’une prothèse, esthéticien, gynécologue pour une sécheresse vaginale, etc.), qui chacun contribue pour sa part à améliorer les conditions rendant possible une activité sexuelle. Le rôle du gynécologue sera prépondérant dans la phase de l’excitation sexuelle où une attention particulière doit être portée à la qualité de la lubrification altérée par les hormonothérapies adjuvantes, en particulier les inhibiteurs des aromatases qui provoquent une carence estrogénique profonde. Si les estrogènes locaux sont contre-indiqués, on dispose de produits locaux, lubrifiant ou restaurant l’humidification de la cavité vaginale et sa trophicité, qu’il faut savoir prescrire largement. Les autres signes, comme les bouffées de chaleur, peuvent également bénéficier de nombreux traitements (clonidine, gabapentine, etc.), voire de placebos ou de thérapies comportementales associées aux traitements qui sembleraient donner des résultats intéressants sur les signes de carence estrogénique. Mais le domaine le plus affecté dans le cancer du sein reste celui de l’image du corps. L’approche de la sexualité pourra privilégier ou associer le travail dans deux directions différentes. Il est toujours souhaitable de chercher à préserver l’image corporelle par une chirurgie aussi conservatrice que possible. À défaut, le thérapeute aidera la patiente à restaurer une image proche du réel en l’accompagnant vers une reconstruction mammaire… ou bien dans sa recherche vers une image plus « artificielle » (soins cosmétologiques, prothèse mammaire externe ou interne…) afin qu’elle puisse rencontrer le regard de l’autre pour la rassurer dans son identité féminine. Il est également possible de privilégier un travail développant les capacités de la patiente à utiliser ses propres ressources pour assumer et réinvestir un corps en se détachant des exigences sociales pour mieux le vivre, en ne reniant pas sa place de femme ce qui sous-entend sa féminité et sa capacité de séduction. À l’extrême, cela peut signifier assumer sa féminité avec ce sein unique comme le propose un site de lingerie féminine qui offre aux femmes opérées un modèle sexy adapté (figure 2). C’est ici que les psychothérapies ou des sexothérapies peuvent avoir toute leur place avec des outils comme les massages californiens qui valorisent la sensualité. Le toucher occupera certainement une place privilégiée dans les thérapies corporelles, permettant d’accompagner la femme vers une réappropriation de ses sensations corporelles, de l’ensemble du corps jusqu’au sein présent ou absent. Au-delà des massages cicatriciels permettant d’éliminer les adhérences et de diminuer les douleurs, le sein opéré doit redevenir un « bon » sein, le sein manquant un « beau » vide, le sein restant un sein « rassuré ». La cicatrice du sein perdu doit devenir la signature d’un engagement à gâter le sein unique restant. L’approche spécifique du sexologue Les troubles sexuels peuvent nécessiter une intervention spécialisée par un sexologue. Les sexothérapies classiques, de type Sensate Focus, présentent de nombreux avantages. Elles sont réalisées en couple, après quelques séances individuelles, sous la forme de jeux de rôles alternés avec des caresses corporelles, à domicile, où l’expérience dans l’ici et le maintenant, la communication et l’apprentissage de l’écoute de l’autre (alors que la communication verbale autour du cancer est peut-être en impasse) sont privilégiés. Les exercices de caresses délaissent dans un premier temps les zones érogènes pour privilégier les autres parties du corps pour les valoriser et réinitialiser le corps/plaisir. Il est ainsi possible de détourner l’attention des seins et de prendre en compte une pudeur mise à mal par le cancer. Le travail progressif intègre peu à peu les zones érogènes où les seins trouveront leur place.   En pratique Tous les intervenants sont concernés et chacun doit se poser la question de la répercussion possible des atteintes sur la sexualité à toutes les étapes de la maladie. Mais cela nécessite : – un intérêt pour la santé sexuelle, – des connaissances sur le sujet, – une collaboration entre les différentes disciplines. Il faut pouvoir disposer de référents en sexologie (sexologue médecin, psychosexologue) ou d’intervenants compétents en sexologie (gynécosexologue, oncosexologue…). Au minimum, chaque structure de grande taille devrait disposer d’un référent en sexologie. À défaut, chaque intervenant dans une structure prenant en charge des femmes opérées d’un cancer gynécologique doit pouvoir travailler en lien avec un réseau en sexologie ou disposer des coordonnées d’un sexologue*. On ne doit pas s’arrêter à la survie ou à la réparation médico-chirurgicale. La prise en charge du cancer du sein doit aboutir à redonner à la femme son identité féminine et sa fonction sexuelle, sources de qualité de vie et de bien-être physique et mental. * Société Française de Sexologie Clinique (SFSC) : 32, avenue Carnot 75017 Paris Tél : 01 45 72 67 62  

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