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Nutrition

Publié le 31 mar 2008Lecture 9 min

Les troubles des conduites alimentaires : Interrelations entre stress et infertilité

M. CORCOS, C. LAMAS, Département de psychiatrie de l’adolescent, Institut Mutualiste Montsouris, Paris

Deux constats alarmants : d’une part la facilité avec laquelle sont proposées des techniques de stimulation de l’ovulation ou de procréation médicale assistée à des patientes souffrant de troubles des conduites alimentaires (TCA), qui sont encore massivement dans le déni de leur trouble et qui ne le signalent pas à leurs médecins ; d’autre part, le fait démontré que cette induction des grossesses, qui dissocie « scientifiquement » l’acte sexuel et l’acte reproductif, fait se réactiver de façon plus marquée le trouble alimentaire chez la future mère, ce qui ne sera pas sans incidence sur le développement de l’enfant lors des interrelations précoces : carence affective, rationnement alimentaire en lien avec les troubles de la perception corporelle chez les mères et bien au-delà avec leur trouble de l’identité.

 
État des lieux Ces deux constats invitent à une réflexion en amont et au moment des actes d’induction : collaboration des spécialistes pour assurer le dépistage des TCA maternelles et la prévention des complications, tant chez la mère que chez l’enfant. La relative désaffection de la littérature internationale pour ce thème jusqu’aux dernières décennies et le récent regain d’intérêt relèvent sans doute de différents facteurs :   augmentation de la prévalence des TCA et notamment dans leurs formes subcliniques ;   accès possible à la maternité via les techniques d’AMP de femmes présentant des troubles de la fertilité directement ou indirectement liés aux TCA ;   modification de l’expression symptomatique des TCA avec la fréquence des formes mixtes de TCA ne s’accompagnant pas de la classique aménorrhée de l’anorexie mentale.   Poids, aménorrhée et fertilité Les premiers travaux de recherche sur l’infertilité et les troubles du comportement alimentaire ont porté sur les liens entre le poids, les menstruations et la fertilité. Ainsi, le poids constitue un paramètre important dans le déclenchement des transformations pubertaires et des premières règles. Les fluctuations et la perte de poids, plus que l’atteinte d’un éventuel « poids seuil », seraient des éléments pertinents pour rendre compte ensuite de dysfonctionnements menstruels et ovariens. Le poids constitue un paramètre important dans le déclenchement des transformations pubertaires et des premières règles. Pour autant, le lien entre TCA et troubles menstruels n’est pas réductible à la perte de poids. En effet, on retrouve une fréquence plus élevée de troubles menstruels chez des femmes souffrant de TCA subcliniques avec un poids normal, comparativement à une population témoin. Par ailleurs, il faut tenir compte de l’impact sur les règles, de la préoccupation morbide de l’image du corps et du désir de minceur, avec les contraintes alimentaires des régimes hypocaloriques qui s’y associent, contribuant chez certaines de ces femmes à un allongement du temps nécessaire à la conception, voire à des consultations dans des centres d’AMP. Ces observations incitent à la prudence lors de consultations pour des troubles de la fertilité. Les TCA sont rarement rapportés spontanément aux gynécologues obstétriciens, du fait du déni ou de la culpabilité/honte associés à la conduite. Des questions simples, et qui pour certains auteurs devraient être systématiques, peuvent amener ces jeunes femmes à évoquer leurs troubles : évolution du poids depuis l’adolescence, périodes d’aménorrhée, antécédents de TCA, satisfaction vis-à-vis de leur poids actuel et de leur apparence, etc.   Infertilité et troubles des conduites alimentaires Il existe un lien évident entre l’anorexie mentale et les troubles de la fertilité puisque l’aménorrhée est un critère diagnostique de l’anorexie mentale en phase active. Les patientes sont alors en anovulation et ne peuvent donc pas être enceintes, sauf cas exceptionnels avec ovulation passant inaperçue. L’aménorrhée est secondaire à une insuffisance gonadotrope entrant dans le cadre des insuffisances gonadotropes hypothalamiques fonctionnelles. En revanche, pendant le processus de rétablissement somatique lorsque le poids atteint 90 % du BMI idéal, les règles réapparaissent souvent, mais avec des délais extrêmement variables. Le pourcentage d’aménorrhée persistante au-delà de 6 mois/1 an varie selon les études de 13 à 30 %. Cette aménorrhée persiste malgré la restauration de la fonction gonadotrope. Les raisons avancées sont alors soit la poursuite de problèmes alimentaires à bas bruit, soit la persistance de difficultés psychologiques. De même, plusieurs études mettent en évidence un lien entre boulimie et troubles de fertilité, les femmes suivies pour boulimie étant plus souvent traitées pour infertilité que les témoins n’ayant pas de troubles du comportement alimentaire. L’évaluation de la fertilité de femmes avec des antécédents de TCA varie en fonction du nombre d’années de prise en charge et du moment de l’évaluation. Après 4 à 5 ans, on retrouve des taux de reproduction d’environ 20 %, et 50 % pour les femmes mariées ; ces taux se situent entre 41 et 68 % après 10 ans de suivi. Cependant, si l’on différencie ces femmes en fonction de leur statut marital, chez elles, les taux de conception comme d’infertilité sont similaires à ceux retrouvés en population générale. La capacité à nouer une relation amoureuse satisfaisante témoigne d’une meilleure adaptation socio-affective et concerne sans doute des patientes moins en difficulté ou ayant pu élaborer en partie la problématique sous-jacente aux troubles (acceptation de la relation et de l’ouverture à l’autre, de la sexualité, etc.). Par ailleurs, les liens entre infertilité et TCA ont été explorés dans des populations de femmes consultant pour infertilité. La prévalence des TCA avérés serait, selon les études, de 2 à 4 fois plus élevée qu’en population générale. Ces données de la littérature suggèrent qu’au-delà des catégories des TCA, le comportement alimentaire des femmes infertiles est plus souvent perturbé qu’en population générale.   Une évaluation du lien TCA/infertilité Aucune de ces études ne s’est intéressée de façon spécifique à ce lien avec les TCA chez les femmes souffrant d’infertilité médicalement inexpliquée et les critères diagnostiques d’infertilité sont souvent très larges et mal définis. Nous avons souhaité, pour notre part, explorer la relation éventuelle entre l’infertilité totalement inexpliquée et les troubles du comportement alimentaire par une évaluation tant dimensionnelle que catégorielle des troubles du comportement alimentaire « vie entière », cliniques et sub-cliniques, chez des femmes souffrant d’infertilité inexpliquée (groupe de 31 patientes). Nous avons comparé ces femmes à deux groupes témoins : un groupe de femmes ayant une stérilité tubaire bilatérale incompatible avec une grossesse spontanée (30 patientes), et un groupe de femmes fertiles (32 patientes). L’Eating Disorder Examination (EDE), traduit et en cours de validation dans sa version française dans le service, est l’instrument le plus utilisé dans la littérature internationale afin d’évaluer de manière dimensionnelle le comportement alimentaire actuel en population générale ; nous avons complété la passation de cet entretien semi-structuré par celle des dimensions strictement alimentaires de l’EDI (Eating Disorder Inventory). L’évaluation catégorielle des troubles du comportement alimentaire a été réalisée à partir du CIDI (entretien diagnostique structuré permettant de recueillir les critères du DSM-IV et d’établir le diagnostic « vie entière » de TCA), auprès de femmes consultant dans des unités de procréation médicalement assistée pour les deux groupes de femmes infertiles et auprès de femmes consultantes n’ayant pas de problème d’infertilité. Nous avons également évalué les pathologies psychiatriques pouvant être associées aux TCA et à l’infertilité : dépression, anxiété, troubles obsessionnels compulsifs et conduites addictives. Dans notre étude, les patientes souffrant d’infertilité inexpliquée ont des préoccupations alimentaires plus importantes que les femmes fertiles, centrées sur la peur de la perte du contrôle alimentaire et les difficultés à manger en public. Par ailleurs¸ elles ont une fréquence plus élevée de troubles du comportement alimentaire cliniques et infracliniques (au moins la moitié des critères de troubles du comportement alimentaire avérés) « vie entière » comparativement au groupe témoin de femmes fertiles (22,5 % contre 3,2 %). La dépression n’apparaît pas comme un facteur de confusion. Ces résultats laissent supposer que les femmes souffrant d’infertilité inexpliquée ont un comportement alimentaire perturbé. Nous considérons cette perturbation du comportement alimentaire comme un critère de gravité de la problématique psychodynamique sous-jacente, puisque la difficulté psychologique est agie par le comportement dans le corps et non maintenue dans l’appareil psychique à visée d’élaboration, ce qui justifie de proposer largement à ces femmes une prise en charge psychologique ou psychiatrique. En revanche, notre étude a une puissance trop faible pour savoir si la perturbation du comportement alimentaire est spécifique de l’infertilité inexpliquée, aucune différence n’ayant été mise en valeur par rapport aux femmes souffrant de stérilité tubaire définitive, ce qui rend nécessaire la réalisation d’études complémentaires. L’émergence ou la réapparition de symptômes alimentaires pourraient également constituer une réaction au stress et à l’anxiété, consécutifs à la situation d’infertilité chez des femmes présentant une vulnérabilité à ce mode d’expression de la détresse psychologique.        En pratique   La perturbation du comportement alimentaire pourrait constituer un critère de gravité (ambivalence plus marquée, voire clivage par rapport à la mère et au maternel, refus plus massif de la passivité) qui se traduira chez les femmes souffrant d’infertilité par une plus grande difficulté à gérer le diagnostic d’infertilité et ses traitements. Ceci justifie à nos yeux l’intérêt d’évaluer le comportement alimentaire chez les femmes suivies pour infertilité, afin de proposer largement une aide psychologique ou psychiatrique aux femmes ayant un comportement alimentaire perturbé, dans la perspective d’aider le couple parental et l’enfant à naître.   Une collaboration serait à définir et à favoriser dans l’accompagnement des femmes enceintes présentant des TCA actuels ou passés, afin de prévenir et d’accompagner ce qui apparaît chez elles comme une période de vulnérabilité (exacerbation des TCA dans la période du post-partum, prévalence accrue des dépressions du post-partum, etc.).    

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