publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Cancérologie

Publié le 15 jan 2021Lecture 11 min

Traitement des cancers du sein localisés évolution vers une désescalade thérapeutique ou vers l’intensification ?

D. ROTTEN Paris
Traitement des cancers du sein localisés évolution vers une désescalade thérapeutique ou vers l’intensification ?

1. Wu Z-Y et al. Long-term oncologic outcomes of immediate breast reconstrucion vs convenional mastectomy alone for breast cancer in the seing of neoadjuvant chemotherapy. JAMA Surg 2020 ; 14 : e204132.
2. Mitendorf EA et al. Neoadjuvant atezolizumab in combinaion with sequenial nab-paclitaxel and anthracycline-based chemotherapy versus placebo and chemotherapy in paients with early-stage triple-negaive breast cancer (IMpassion031): a randomised, double-blind, phase 3 trial. Lancet 2020 ; 396 : 10 : 1090-100.

 

Les deux articles présentés dans cette analyse bibliographique relèvent de philosophies thérapeutiques en apparence divergentes. Le premier s’inscrit dans le courant qui promeut la désescalade thérapeutique. Le second au contraire explore le bénéfice d’une intensification. La tension entre minimiser l’agression thérapeutique dans un cas, renforcer l’efficacité du traitement dans l’autre, est une constante de la cancérologie mammaire. La mastectomie radicale élargie de Halsted a fait place à la mastectomie radicale modifiée et à la tumorectomie. L’exploration du ganglion sentinelle a acquis sa place aux côtés du curage axillaire systématique. Parallèlement, sur l’autre versant, la chimiothérapie adjuvante a été introduite dans le traitement de tumeurs initialement localisées.

La chimiothérapie néoadjuvante (CTNA), c’est-à-dire administrée avant la chirurgie, a été introduite dans l’arsenal thérapeutique des cancers du sein dans la décennie 1960. Ses promoteurs l’avaient initialement créditée du bénéfice d’éradiquer d’éventuelles cellules micrométastatiques déjà présentes lors de l’intervention. Cette hypothèse n’a pas fait sa preuve clinique. En revanche, la CTNA a répondu à son but premier, la possibilité de rendre opérables des tumeurs inopérables d’emblée du fait de leur extension locale. Puis l’usage de la CTNA a été étendu. Dans un premier temps, pour rendre accessibles à une chirurgie conservatrice des tumeurs opérables mais volumineuses. Dans un second temps, la CTNA s’est adressée à des tumeurs de plus petite taille. Le but était de permettre l’évaluation de l’efficacité de la chimiothérapie utilisée sur la cible tumorale. En 2018, l’Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group a réalisé la métaanalyse de 10 essais randomisés comparant chimiothérapie adjuvante ou néo-adjuvante en cas de cancer du sein opérable d’emblée. L’analyse a inclus les dossiers de 4 756 patientes. La CTNA s’accompagne d’une réponse partielle ou complète dans près de 70 % des cas. Le taux de chirurgie mammaire conservatrice passe de 49 % à 65 %. L’efficacité carcinologique des deux modalités est équivalente. Ainsi, avec un recul de 15 ans, survie sans métastase, mortalité par cancer du sein ou mortalité globale sont semblables. Par contre, la chirurgie ma m maire conservatrice après CTNA expose les patientes à un taux plus élevé de récidives locales. Il passe de 15,9 % à 21,4 %, soit un excès brut de 5,5 %. L’augmentation du taux de récidives locales en cas de chirurgie conservatrice après CTNA n’est pas retrouvée dans toutes les études. Néanmoins, cette constatation rend compte de la diversité d’attitudes chirurgicales que l’on observe après CTNA, y compris en cas de réponse tumorale complète : chirurgie conservatrice le plus souvent, mais aussi abstention chirurgicale complète et, à l’autre extrémité du spectre, mastectomie classique systématique de sécurité. Parallèlement à son bénéfice concernant l’opérabilité, la réponse tumorale à la CTNA présente un intérêt prédictif, démontré dans la plupart des sous-types tumoraux. Plusieurs études ont permis de montrer qu’une bonne réponse locale est corrélée à une meilleure survie. En conséquence, la réponse histologique complète est souvent considérée comme un marqueur biologique prédictif de la survie à long terme. Dès lors, lorsque le protocole thérapeutique prévoit qu’une patiente sera éligible à une chimiothérapie, son administration en situation néo-adjuvante est en train de devenir une option thérapeutique standard. C’est en particulier le cas des tumeurs triple négatives et des tumeurs ERBB2 positives. À la suite de ces résultats, la réflexion thérapeutique s’est développée dans plusieurs directions. La première est d’améliorer les conditions permettant une chirurgie conservatrice après CTNA en toute sécurité carcinologique. C’est l’objet de l’étude de Zhen-Yu Wu et coll.(1). Du côté de la chimiothérapie néo-adjuvante, deux pistes sont explorées. La première est d’utiliser des chimiothérapies adjuvantes chez les patientes dont la réponse à la CTNA est incomplète. Ainsi, des associations comportant de la capécitabine ou des thérapies ciblées comme le trastuzumab emtansine (T-DM1) ont été utilisées. La seconde voie est de tester des CTNA plus agressives pour tenter d’augmenter le taux de réponses locales complètes, par exemple en intégrant d’emblée des thérapeutiques ciblées, comme les inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. L’étude d’Élisabeth A. Mitendorf et coll.(2) s’inscrit dans ce cadre. Mastectomie classique ou partielle après CTNA ? L’étude de Zhen-Yu Wu et coll. vise à évaluer l’efficacité et la sécurité carcinologiques lorsque, après une CTNA, on réalise une mastectomie partielle avec reconstruction immédiate, en comparaison avec une mastectomie totale (encadré 1)(1). La mastectomie partielle peut être une mastectomie avec conservation de la plaque aréolo-mamelonnaire (PAM), ou une mastectomie avec conservation de l’étui cutané. Dans cette étude, il faut noter le soin avec lequel sont retenus les critères d’opérabilité en cas d’indication de mastectomie partielle. Le type en est déterminé en fonction de l’examen clinique — aspect, couleur, texture — de la peau et de la plaque aréolo-mamelonnaire, et de l’examen anatomopathologique peropératoire. S’il n’y a pas d’atteinte cutanée et que la PAM est cliniquement indemne, l’indication de principe est une mastectomie conservatrice de la PAM. L’indication est maintenue si l’examen extemporané peropératoire montre que les marges cutanées et les recoupes rétro-aréolaires sont indemnes de tissu carcinomateux. Dans le cas contraire, la procédure chirurgicale est transformée en mastectomie conservatrice de l’étui cutané. L’exérèse est alors étendue au mamelon, avec ou sans exérèse de l’aréole selon les cas. Patientes Après appariement par score de propension, deux groupes de 323 patientes chacun sont constitués. L’analyse montre qu’ils ne diffèrent pour aucune des catégories de variables pertinentes, comme l’âge des patientes lors du diagnostic et les caractéristiques cliniques et biologiques initiales des tumeurs. Le taux de réponse complète, partielle ou absente à la chimiothérapie néoadjuvante ne diffère pas entre les deux groupes. Également, la répartition des tailles tumorales et de l’envahissement ganglionnaire lors de l’intervention sont comparables. Les traitements complémentaires sont également équilibrés. La seule différence réside dans le taux de curage ganglionnaire axillaire, qui est plus élevé en cas de mastectomie conventionnelle par rapport aux mastectomies avec conservation (57,6 % contre 46,1 %, p = 0,004). Le suivi médian est de 68 mois (extrêmes : 17-126) pour le groupe mastectomie conventionnelle et 67 mois (extrêmes : 17-125) pour le groupe mastectomie conservatrice. Résultats Dans aucun cas une transformation en mastectomie totale n’a été nécessaire. L’analyse montre que la différence de technique chirurgicale utilisée ne s’accompagne pas de différence de pronostic entre les groupes mastectomie totale ou partielle. Les taux de récidive locale, récidive régionale et métastase à distance ne diffèrent pas (figures 1 à 3). Les taux de survie à 5 ans sans récidive locale, régionale, sans métastase et la survie globale sont également comparables (tableau 1). Dans une analyse complémentaire, les mêmes comparaisons sont faites sur le sous-groupe des patientes qui n’ont pas répondu à la chimiothérapie néo-adjuvante, soit 135 patientes dans le groupe mastectomie conventionnelle et 126 patientes dans le groupe mastectomie conservatrice. Les deux sous-groupes ne présentent pas de différence démographique ou de paramètres carcinologiques. De nouveau, on n’observe pas de différence en termes de taux de survie à 5 ans sans récidive locale, régionale, sans métastase et survie globale.   En résumé L’analyse de Z-Y Wu et coll. démontre l’efficacité carcinologique et la sécurité de la mastectomie partielle avec reconstruction immédiate après CTNA, en comparaison avec la mastectomie totale. Cette conclusion est valable même en cas de mauvaise réponse à la CTNA. La validité de cette investigation est renforcée par plusieurs arguments : le nombre de patientes analysées est élevé ; la durée de suivi est longue ; les deux groupes comparés ont des caractéristiques démographiques et carcinologiques similaires. Il faut cependant souligner un point : le soin avec lequel sont sélectionnées les patientes. Avant de poursuivre l’intervention, l’examen clinique préalable est complété par des examens anatomopathologiques extemporanés. Apport de l’atézolizumab en situation néo-adjuvante Le travail d’E.A. Mitendorf et coll. vise à évaluer le bénéfice que pourrait apporter l’adjonction d’atézolizumab à une polychimiothérapie néo-adjuvante classique(2). L’atézolizumab est un anticorps monoclonal inhibiteur de point de contrôle immunitaire, dirigé contre la protéine PD-L1 (figures 4 et 5). L’investigation concerne des patientes ayant un cancer du sein triple négatif à un stade précoce (encadré 2). La CTNA consiste en l’administration séquentielle d’un taxane, suivi par une association anthracycline-cyclophosphamide. Parallèlement, les patientes reçoivent soit l’atézolizumab, soit un placebo (figure 6, voir page 22). La CTNA est suivie par une exérèse chirurgicale. L’examen anatomopathologique des tissus dont l’exérèse est réalisée lors de l’intervention conditionne l’indication d’un éventuel traitement chimiothérapique complémentaire. Lorsque la réponse locale est complète, les patientes du groupe atézolizumab continuent à recevoir cette molécule pendant 1 an ; le groupe témoin bénéficie d’une surveillance seule (figure 6). Les patientes chez lesquelles la réponse locale n’est pas complète reçoivent une chimiothérapie adjuvante selon les standards du centre où elles sont suivies. Elle peut comporter de la capécitabine et de l’atézolizumab. Pour toutes les patientes, l’indication d’une radiothérapie complémentaire est laissée à l’appréciation du praticien en charge de la patiente, selon les protocoles du centre où elle est traitée. Le critère de jugement principal est le taux de réponse histologique complète, défini comme l’éradication totale de toute tumeur invasive dans le sein et les ganglions lymphatiques (ypT0/is et ypN0). Les critères de jugement secondaires sont la survie sans événement (récidive, progression, décès), et la survie totale. L’analyse des données porte d’une part sur l’ensemble des patientes, et d’autre part sur le sous-groupe des patientes dont les tumeurs sont PD-L1 positives (les cellules immunitaires qui expriment PDL1 couvrent au moins 1 % de la surface tumorale). Résultats Le groupe atézolizumab comporte 165 patientes (durée moyenne de suivi : 20,6 mois) ; le groupe placebo en compte 168 (durée moyenne de suivi : 19,8 mois). Les caractéristiques démographiques et carcinologiques sont globalement comparables dans les deux groupes. Au total, 77 % des tumeurs sont T2, et 20 % sont T3 ; il existe des adénopathies N2 ou N3 dans 38 % des cas. Pendant la phase néo-adjuvante, on observe une progression tumorale chez 5 patientes du groupe atézolizumab (3 %) et 7 patientes (4 %) du groupe placebo. La comparaison des taux de réponse histologique complète fait apparaître une efficacité nette de l’atézolizumab (figure 7). Alors que le taux de réponse complète est de 58 % (IC95 % : 50-65) dans le groupe atézolizumab, il est de 41 % (IC95 % : 34-49) dans le groupe placebo, soit une différence brute de 17 % (IC95 % : 6-27, p = 0,0044). Le bénéfice en termes de réponse histologique complète est observé aussi bien pour les tumeurs de grade I ou II, et qu’il y ait atteinte ganglionnaire initiale ou pas. Quand on considère le sous-groupe des patientes ayant une tumeur PD-L1 positive, il existe une différence de taux de réponse en faveur de l’atézolizumab (69 % contre 49 %), mais cette différence n’atteint pas le seuil de significativité statistique (∆ = 20 % ; IC95 % : 4-35, p = 0,52). Pour les patientes PDL1 négatives, l’atézolizumab n’apporte pas d’amélioration (figure 7). Les événements indésirables observés correspondent à l’addition de ceux qui sont connus individuellement pour chacune des molécules utilisées. Les complications connues des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire le plus souvent retrouvées ici sont rash cutané, hypothyroïdie et anomalies des enzymes hépatiques. Le taux de complications est légèrement plus élevé dans le groupe recevant de l’atézolizumab (tableau 2). L’administration d’atézolizumab n’a pas affecté la délivrance de la chimiothérapie classique par rapport au placebo. Dans les deux cas, la dose intensité médiane délivrée a été de 98 % pour chaque m o l écule . Chez 13 % des patientes, l’administration d’atézolizumab a dû être interrompue en raison d’événements indésirables. Dans 11 % des cas, c’est l’administration de placebo qui a dû être interrompue (tableau 2). Les données de survie (critères de jugement secondaires) ne sont pas analysables pour des raisons de nombre de patientes et de durée limitée de recul.  En résumé L’étude de E.A. Mittendorf et coll. a évalué l’efficacité l’adjonction d’un inhibiteur de point de contrôle immunitaire, l’atézolizumab, à un protocole de polychimiothérapie néoadjuvante. Les patientes sélectionnées avaient une tumeur triple négative à un stade opérable. Le critère de jugement principal était le taux de réponse histologique complète évalué lors de l’intervention chirurgicale. On a observé une différence brute de 17 % en faveur du groupe ayant reçu le principe actif versus le placebo. Le taux d’effets indésirables est plus élevé dans le groupe atézolizumab (+2 % pour l’arrêt d’administration de l’une des molécules), mais ce surcroît n’a pas eu d’incidence sur le déroulement du traitement. Le résultat de cette étude est prometteur : dans le cadre de la chimiothérapie néo-adjuvante, la réponse histologique complète est un marqueur de pronostic favorable. Il faut cependant être prudent et attendre les données objectives sur l’efficacité en termes de survie sans récidive ou de survie globale. Le taux de réponse histologique complète est un marqueur intermédiaire, et la littérature sur l’apport thérapeutique des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire rapporte des résultats variables. L’efficacité n’est pas retrouvée avec toutes les molécules de cette classe. Également, elle peut varier selon la population traitée (cancer à un stade opérable ou non), la richesse en cibles tissulaires (PD-1 ± ou PD-L1 ±), et la composition du protocole de polychimiothérapie. Conclusion Quelle que soit l’optique selon laquelle on envisage le traitement des cancers du sein, désescalade ou au contraire intensification thérapeutique, la balance risques/bénéfices est au centre des préoccupations. Sur le premier versant, Z-Y Wu et coll. promeuvent la séquence CTNA suivie de mastectomie partielle pour diminuer le taux de mastectomies totales. Mais deux remarques s’imposent. Premièrement, les auteurs détaillent les conditions qui en permettent la réalisation ; deuxièmement, ils ont évalué la sécurité à long terme de la procédure. De leur côté, E.A. Mitendorf et coll. proposent d’adjoindre une immunothérapie ciblée au cocktail chimiothérapie utilisé en situation néo-adjuvante pour augmenter le taux de réponse histologique complète. Mais ces auteurs concluent sur deux mises en garde. Leur étude démontre l’efficacité à court terme sur le taux de réponse histologique complète. Ce paramètre est un critère reconnu d’efficacité, mais il reste un indicateur intermédiaire. L’efficacité à long terme de la procédure doit être évaluée avant qu’elle soit utilisée plus largement. Deuxième avertissement. L’efficacité de l’adjonction d’une thérapie ciblée dans un protocole de CTNA n’est pas retrouvée dans toutes les études sur le sujet. Il faut donc avoir des preuves documentées à la fois pour chacune des molécules envisagées et pour le type de polychimiothérapie associé.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème