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Cancérologie

Publié le 04 sep 2017Lecture 9 min

Les cancers du sein triple négatif

Florence DALENC, Institut Claudius Regaud, IUCT-Oncopole, Toulouse

Les cancers du sein triple négatif, représentent 15 % environ des cancers de la glande mammaire. Ils peuvent être développés sur mutation germinale BRCA1 et surviennent plus volontiers chez les femmes jeunes (< 40 ans). Ils sont à l’origine d’un risque de rechute plus élevé que les autres sous-types immunohistochimiques malgré leur bonne (voire très bonne) chimiosensibilité. La prise en charge thérapeutique locorégionale ne relève d’aucune spécificité. Sur le plan systémique, il n’existe à ce jour que des cytotoxiques. Les sels de plaine pourraient être intéressants, mais leur place est encore à définir. Les cancers du sein triple négatifs sont composés de plusieurs sous-types moléculaires qui pourraient nécessiter chacun un (ou des) traitement(s) spécifiques(s) dans un avenir très proche.

Définition immunohistochimique Les cancers du sein triple négatif (CSTN) se définissent par l’absence d’expression des récepteurs aux estrogènes (RE), à la progestérone (RP) et l’absence de surexpression/ amplification de HER2. Il convient, toutefois, de rappeler que le seuil de positivité du RE comme du RP en immunohistochimie reste discuté : pour certains (surtout en Amérique du Nord), l’expression est considérée comme positive si au moins 1 % des cellules tumorales sont positives, alors qu’en Europe (et pour la plupart des équipes en France), le seuil de positivité de 10 % est le plus souvent retenu. Cependant, le nombre de tumeurs dont le niveau d’expression du RE et/ou du RP se situe entre 1 et 9 % est très limité. Épidémiologie Les CSTN surviennent plus fréquemment chez la femme jeune, d’âge < 40 ans. Si l’on considère les vastes études américaines, les CSTN sont plus fréquents chez les femmes afroaméricaines. Parmi les autres facteurs de risque : une puberté précoce, la multiparité, un jeune âge lors de la première grossesse, l’absence d’allaitement et surtout l’obésité ainsi que le syndrome métabolique qui en découle. De plus, si 80 % environ des femmes mutées pour BRCA1 font un CSTN, 15 % des femmes ayant un CSTN sont mutées pour BRCA1. Caractéristiques cliniques et radiologiques Les CSTN sont le plus souvent diagnostiqués au stade de tumeurs palpables (autopalpation ou par un professionnel) et par voie de conséquence plus souvent des diagnostics d’intervalle, entre deux mammographies de dépistage, que le sous-type immunohistochimique RH+/HER2-, notamment. En mammographie, ils sont souvent décrits comme une masse circonscrite, sans spicule. Ils sont souvent rehaussés en IRM et hyperfixant en TEP-TDM. Caractéristiques histologiques Les CSTN sont très souvent de haut grade (grade 3 dans 75 % des cas). Ils sont le plus souvent de type canalaire (sous-type histologique non spécial : NST) ; toutefois, certains peuvent correspondre à des sous-types histologiques spéciaux, dont certains sont de meilleurs (les carcinomes médullaires, voire les apocrines) et parfois même de très bon pronostic (les carcinomes adénoïdes kystiques, carcinomes sécrétants juvéniles). Inclure l’évaluation du niveau de l’infiltration lymphocytaire (TILs) pour les CSTN dans les analyses de routine est une proposition émergente car plusieurs études montrent que les TILs sont prédictifs de chimiosensibilité et d’un bon pronostic. Enfin, il n’existe pas de corrélation forte entre la taille de la tumeur et l’envahissement ganglionnaire pour ces tumeurs du sein qui ont un mode de dissémination semble t il plus hématogène que lymphophile.     Caractéristiques pronostiques Les CSTN ont incontestablement un pronostic plus défavorable que les autres formes avec un risque de rechute locorégionale mais aussi à distance multiplié par un facteur d’environ 3 par rapport aux autres sous-types immunohistochimiques. Les récidives au-delà de 5 ans sont exceptionnelles. Les principaux organes, sites de rechute à distance sont : le poumon, les ganglions, le SNC. Les localisations secondaires hépatiques et surtout osseuses, bien qu’existantes, sont moins fréquentes. Le traitement adjuvant Il n’existe aucune prise en charge spécifique propre aux CSTN, même pour les patientes porteuses d’une mutation BRCA en ce qui concerne le traitement locorégional, en particulier chirurgical. Compte tenu du pronostic « défavorable » et de leur forte chimiosensibilité supposée, la chimiothérapie (seule thérapie systémique envisageable chez ces patientes) est quasiment toujours indiquée (quel que soit le statut pN) si l’on tient compte de l’ensemble des recommandations internationales (en dehors des sous-types histologiques spéciaux de très bon pronostic). Le rapport bénéfice/risque étant plus étroit pour les tumeurs de petites tailles (≤ 10 mm), la décision de proposer ou non une chimiothérapie adjuvante doit être débattu en réunion de concertation multidisciplinaire et avec la patiente. Les données issues de la métaanalyse de l’EBCTCG (regroupant les essais randomisées en adjuvant) sont en faveur d’une efficacité très nette de la chimiothérapie pour les tumeurs RE- dont font partie les CSTN, en termes de réduction du risque de rechute, mais aussi de survie. Il n’existe aucune donnée permettant de proposer une classe de cytotoxiques plutôt qu’une autre. L’administration d’anthracycline, d’un taxane et d’un alkylant doit donc être idéalement envisagée. Une étude récente, publiée en 2015, suggère un avantage du paclitaxel hebdomadaire versus docétaxel tous les 21 jours, spécifiquement pour les CSTN, en termes d’amélioration de la survie sans rechute et de la survie globale à 10 ans. Sur la base d’analyse rétrospective, des schémas dose-dense peuvent être discutés mais avec un faible niveau de preuve. Le traitement néoadjuvant Il n’est pas rare qu’au diagnostic, un CSTN ne puisse pas être opéré de façon conservatrice du fait du rapport de taille entre la tumeur et le sein. De ce fait, une chimiothérapie néoadjuvante doit être proposée à la patiente dans un but de conservation mammaire. La décision doit être multidisciplinaire, en accord avec la patiente. Il est impératif de mettre un repère au centre de la tumeur pour guider ultérieurement le chirurgien en cas de réponse complète, y compris iconographique, ce qui est assez fréquent d’ailleurs. En revanche, il n’a jamais été démontré que la chimio thérapie néoadjuvante puisse améliorer la survie en traitant plus tôt les éventuelles micrométastases (pas d’effet délétère non plus ; on en est certain). La réponse histologique complète, si elle est obtenue, après une chimiothérapie néoadjuvante, est un facteur indépendant de très bon pronostic (figure 1). La question de l’ajout d’un sel de platine pour le traitement néoadjuvant des CSTN fait encore l’objet de débat dans la mesure où un gain en survie n’a pas été démontré et du fait de la toxicité hématologique importante. La sous-population de femmes ayant un CSTN qui pourrait ou non en bénéficier reste également à définir (femmes mutées pour BRCA ?). Plusieurs études de phase III apporteront, dans les années à venir, des éclaircissements. On doit favoriser dans l’immédiat une inclusion dans de tels essais. Figure 1. Courbe de survie globale des patientes en pCR, soit en réponse histologique complète (courbe jaune) après une chimiothérapie néoadjuvante, versus patientes qui ne le sont pas (courbe en pointillé grenade).  Extrait de Liedtke C et al. J Clin Oncol 2008 ; 26(8) : 1275-81.   La phase métastatique Le pronostic des CSTN à la phase métastatique est relativement sombre et largement inférieur à celui des autres sous-types immunohisto-chimiques. La durée médiane de survie n’excède pas 18 mois dans les meilleures séries. La réponse à un traitement, si elle existe, est de courte durée, sauf exception. Les cytotoxiques utilisés sont ceux qui sont prescrits pour les cancers du sein métastatiques appartenant à un autre sous-type immunohistochimique (antimétabolites, inhibiteurs de microtubules, alkylants, etc.). Il faut souligner l’intérêt potentiel des sels de platine, a fortiori si la patiente est porteuse d’une mutation BRCA. Une inclusion dans une étude clinique prospective doit être privilégiée autant que possible si la patiente l’accepte. Les perspectives thérapeutiques Sur un plan moléculaire, les CSTN forment des groupes très hétérogènes, bien définis par Lehmann et coll. en 2011 (figure 2) et offrant pour chacun des 6 sous-groupes théoriques de nouvelles perspectives thérapeutiques. Les CSTN sont très souvent associés à une grande instabilité génomique se traduisant par des altérations du nombre de copies de gènes, des pertes d’hétérozygotie et des mutations somatiques aboutissant à des inactivations de gènes suppresseurs de tumeurs et à des activations d’oncogènes. Figure 2. Lehmann et coll. ont identifié six sous-types moléculaires de CSTN,  incluant deux sous-types basal-like, un sous-type immunomodulateur, un sous-type mésenchymal, un sous-type mésenchymal stem-like et un sous-type luminal  exprimant le récepteur aux androgènes. Pour chacun de ces sous-types, il existe in vitro et in vivo une sensibilité très variable aux sels de platine, mais aussi à différentes thérapies ciblées, offrant de nouvelles pistes thérapeutiques pour les CSTN.   Cibler le récepteur aux androgènes (RA) Un sous-type moléculaire a été identifié et nommé « moléculaire apocrine ». Ces tumeurs expriment le RA et n’expriment pas le RE ni le RP. Elles peuvent toutefois être HER2+. Ce sous-type appartient aux « luminal AR » identifiés par Lehmann et coll. Ces tumeurs dont la signalisation RA est au premier plan pourraient être sensibles aux inhibiteurs du RA (anti-androgène) ± associés à des inhibiteurs de PI3K (effet synergique). Une étude de phase II, en phase métastatique, conduite avec le bicalutamide a montré 19 % de bénéfice clinique (maladie au moins stable à 6 mois). Les résultats d’une étude française, également de phase II, conduite avec l’abiratérone et promue par Unicancer est en cours de publication. Exploiter les défauts des systèmes de réparation de l’ADN 15 % des CSTN surviennent chez des femmes porteuses d’une mutation congénitale BRCA (surtout 1) et d’autres sont des cancers dits « BRCAness » car il existe, pour d’autres raisons, un défect de fonctionnement de la protéine BRCA1 (mutations somatiques ou altérations épigénétiques empêchant la transcription du gène BRCA1 par exemple). Une nouvelle piste thérapeutique exploitant les défauts potentiels de réparation de l’ADN des CSTN est basée sur l’utilisation des inhibiteurs de poly(ADP-ribose)polymérase (PARPi). Cette famille d’enzymes est impliquée dans la réparation simple brin des lésions d’ADN. En cas d’inhibition de l’enzyme PARP, ces lésions dégénèrent en lésions double brins, qui ne seront pas à leur tour, réparées correctement si la recombinaison homologue est défectueuse, comme cela est le cas, s’il existe une mutation BRCA1(ou 2). C’est ce qui s’appelle le phénomème de synergie létale (figure 3). Figure 3. Phénomène de synergie létale.   Ainsi, de nombreuses études évaluent en phase métastatique mais aussi déjà, à la phase précoce (néoadjuvant ou adjuvant), les PARPi associés ou non à des alkylants tels que les sels de platine pour les CSTN, survenant chez des patientes mutées pour BCRA, le plus souvent. L’immunothérapie L’immunosurveillance des cancers, en particulier des CSTN, est maintenant considérée comme jouant un rôle majeur dans le contrôle du développement tumoral. Les immunothérapies ont pour rôle de restaurer en partie cette déficience et de réactiver le système immunitaire contre la tumeur. Les anticorps monoclonaux immunomodulateurs, qui représentent une façon de tenter de restaurer la fonction immunitaire, antitumorale, ont pour objectif d’induire une nouvelle réponse immunitaire, et des résultats encourageants ont été obtenus avec notamment les anti-PD1 et PDL1 pour les femmes ayant un CSTN. De très nombreuses études sont en cours. Conclusion Les CSTN sont, à ce jour, les cancers du sein pour lesquels il n’existe aucune thérapie ciblée qui ait amélioré le pronostic. S’ils échappent aux cytotoxiques prescrits à la phase précoce, le pronostic peut devenir très vite redoutable. Toutefois, l’hétérogénéité moléculaire de cette entité clinicopathologique commence à être démantelée et de nouvelles pistes ou cibles thérapeutiques émergent.

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