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Sexologie

Publié le 12 jan 2010Lecture 11 min

Violences et abus sexuels dans l’enfance : les conséquences à l’âge adulte

F. RAMSEYER, Thionville

Abus sexuels et violences subies dans l’enfance sont la seule maltraitance dont la fréquence augmente. Ces violences entraînent de nombreux troubles psychopathologiques, de nombreuses souffrances qui perdurent avec le temps, avec une période aggravante lors de l’adolescence. La sexualité adulte de la femme va en souffrir, l’éveil psychoaffectif s’étant éteint au moment de la violence subie : le corps adulte est vide de « sens », dénié. Il ne peut ressentir, pire, il souffre, ce qui pose de nombreux problèmes au couple. Prévenir ces violences, les diagnostiquer à temps, les prendre en charge, comprendre les troubles sexuels en résultant, permettre enfin à ces femmes de ressentir et de se sentir libre d’accepter ou refuser le désir, tels sont nos objectifs.
 

Définition « Toute participation d’un enfant ou d’un adolescent à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre, qui sont inappropriées à son âge et à son développement psychosexuel, qu’il subit sous la contrainte, par violence ou séduction ou qui transgresse les tabous sociaux ». La violence sexuelle peut comprendre l’exhibitionnisme de la part d’un adulte, une invitation à un attouchement, des caresses ou une agression sexuelle de la part d’un adulte, être forcé(e) de regarder des actes sexuels ou des vidéos pornographiques, être forcé(e) de poser pour des photos de nature séductrice ou sexuelle, le viol oral, le viol, la sodomie et/ou l’inceste. Les violences sexuelles se distinguent, d’une part, en abus extrafamiliaux avec un abuseur proche de la victime ou inconnu, d’autre part, en abus intrafamiliaux (inceste).   Fréquence Selon différentes enquêtes, une fille sur 8 et un garçon sur 10 seraient victimes de viol ou d’inceste : – avant l’âge de 18 ans : 1/25 fille, 1/33 garçon, – généralement entre 4 et 11 ans (CFV, SNATEM) : 45 % ont moins de 9 ans, 22 % moins de 6 ans, 10 % 15 à 18 ans. Les très jeunes enfants et les bébés sont aussi des victimes potentielles. Dans 85 % des cas, l’enfant connaît son agresseur (parent, ami de la famille, voisin) ; dans 40 % des cas, il s’agit du père ou de celui qui joue ce rôle. Huit fois sur 10, les abus sont répétés. La fréquence de cette maltraitance augmente : elle représente aujourd’hui un tiers des maltraitances, comparativement à un quart en 2001. Les abus sexuels prennent différentes formes : inceste, abus entre mineurs, viols isolés ou en groupe, survenant dans le cadre des activités sportives, en institution, sous forme de pornographie, prostitution, pédophilie, mais aussi dans le cadre des sectes, durant les guerres et les actes de terrorisme, etc.   Conséquences chez l’enfant Le stress post-traumatique se définit par des symptômes entraînant des troubles psychopathologiques  Le symptôme de réminiscence est caractérisé par l’émergence impromptue et répétée du souvenir tragique (flash-back), des cauchemars, le sentiment que l’événement traumatisant va se reproduire, des réactions violentes survenant dans des situations rappelant l’événement traumatique.  Le symptôme d’évitement est caractérisé par l’effort de la personne concernée pour esquiver toute situation, idée ou discussion pouvant réveiller les souvenirs du traumatisme. La personne évitera également les lieux, le contact avec les personnes ou les activités en lien avec l’événement. Le symptôme d’évitement peut également être caractérisé par certaines lacunes dans le souvenir du déroulement de l’événement.  Le symptôme de surexcitation peut s’exprimer par des troubles du sommeil (difficultés d’endormissement ou réveils intempestifs), une irritabilité, des crises de colère, des difficultés à se concentrer, une vigilance accrue et excessive et des réactions d’effroi disproportionnées (figure 1).   Figure 1. Principaux troubles psychopathologiques ● L’état de stress post-traumatique est le premier risque. ● États dépressifs avec l’idéation suicidaire. ● Troubles anxieux et troubles somatiques fonctionnels. ● Comportements addictifs plus fréquents. ● Image négative de soi, sujet renfermé. ● Perte d’élan vital, de perspective d’avenir. ● Conduites infractantes : fugues à l’adolescence, prostitution, prise de risques sexuels (IST, IVG, grossesses < 16 ans), délits, désinsertion sociale conduisant à la grande précarité (SDF). La sévérité des abus de l’enfance semble corrélée à la gravité de la psychopathologie présente à l’âge adulte.   Revictimisation ou violence L’adolescence constitue un facteur de risque pour une revictimisation par des tiers. Mais l’adolescent peut à son tour perpétrer des violences, des victimisations, des actes criminels et utiliser de la drogue. Les femmes victimes durant leur enfance ont plus volontiers des enfants qui deviennent victimes.   Sexualité à l’âge adulte Troubles sexuels après violence Les violences subies durant l’enfance peuvent entraîner, au moment de l’éveil psychoaffectif, un blocage du comportement ludique, de la curiosité sexuelle, ainsi que de profonds désordres qui perdurent, pour resurgir, en général de manière aiguë, dans des situations de blocage au cours de la vie adulte.   Figure 2. Le corps adulte ne pourra plus ressentir. Plus l’inceste a lieu tôt, plus les blessures risquent d’être irréversibles au niveau de l’identité, avec déni de l’image de soi et de son corps (figure 2).   Troubles sexuels chez la femme Certaines femmes parviennent à renouer le dialogue avec leur corps. Mais chez d’autres, l’agressivité peut se substituer au plaisir, prenant la forme de conduites à risque (fugues, sexualité compulsive, prostitution, prise de risques sexuels [IST], IVG et grossesses dans le jeune âge, voire délits, agressions, etc.). Certaines développent une phobie de la sexualité, n’ont pas confiance en l’autre, afin de ne plus risquer le scénario de l’abus… Pour soustraire leur corps au désir de l’autre, elles adoptent des habits trop larges, informes (corps caché), perdent ou prennent du poids (corps sans formes), ont un comportement agressif. Quand le désir est impossible, il est volontiers remplacé par du dégoût trahissant le corps non aimé, la souillure, la honte, la culpabilité. L’absence de désir fait le lit de la dépression, des comportements de fuite et d’évitement avec, à l’extrême, le suicide et les troubles psychiatriques. L’excitation amoureuse est contrariée. L’anticipation de la douleur terrible déjà vécue, de la honte… bloque la congestion et l’acceptation de l’autre. La souffrance du corps donne lieu à de nombreuses somatisations depuis le moment de l’abus : génito-urinaires (douleurs pelviennes), digestives (colites spasmodiques). Le plaisir se paie avec de la douleur tant la culpabilité est lourde : dyspareunies, vaginisme, vaginites récidivantes, vulvodynies, etc. La douleur plonge dans l’anxiété, réactive l’abus. Le plaisir est vécu comme angoissant, dans l’impossibilité d’abandon, de perte de la maîtrise.   Difficultés avec le partenaire « Ne pas reconnaître son corps de femme comme un corps érotique, aimé, rend l’amour physique impossible avec un homme. » La sexualité adulte de la femme victime d’agression sexuelle, c’est de nouveau la sexualité seulement de l’autre… son désir et son plaisir… Se refuser, c’est s’exposer à l’angoisse de le décevoir (ne ressentant rien), d’où un rejet de celui qu’on aime pour être rejeté à son tour (baisse de l’anxiété). C’est s’exposer à l’abandon, à la violence de l’autre, à la culpabilité de soi. Céder, c’est « céder, une fois de plus », sans désir, pour le plaisir de l’autre…, se retrouver dans le rôle de victime. Le partenaire se retrouve dans le rôle de « l’agresseur malgré lui », rôle confirmé par son insistance frustrée, innocente. Pour la victime de violence dans l’enfance, cela rappelle le scénario déjà vécu, avec le risque de réactivation, sinon de multiples somatisations. Fuir peut se traduire par des relations conflictuelles, voire violentes, avec le conjoint, la consommation de produits psychoactifs avant les rapports (alcool et surtout cannabis), avoir de multiples partenaires, afficher des préférences homo- sexuelles, secondaires ou intermittentes (l’orientation sexuelle se modifie).   Prévention L’éducation sexuelle est la meilleure méthode préventive : enseigner le respect de son propre corps et celui des autres. On peut offrir à l’enfant les moyens stratégiques de se protéger, de faire respecter son intégrité physique et sexuelle, lui faire acquérir des informations sur l’éventualité d’une agression physique ou sexuelle…, afin de ne plus être une « proie innocente ».   Diagnostic Chez le nourrisson et l’enfant d’âge scolaire La découverte d’une des quatre composantes (négligences, violences physiques, violences psychologiques et carences, abus sexuel) de cette équation, doit faire suspecter l’existence des autres.   Figure 3. Il faut s’attacher aux deux formes d’expression privilégiées de l’enfant : le dessin et le comportement (jeux) (figure 3).   Chez le grand enfant, l’adolescent Le diagnostic doit être suspecté devant les conséquences d’un PTSD, fugues fréquentes à cet âge, syndromes dépressifs avec tentatives d’autolyse (motif d’hospitalisation), toxicomanie, prostitution, délinquance ; des échecs ou au contraire des conduites de surinvestissement scolaire ; des manifestations psychosomatiques : douleurs abdominales sans substratum organique, lipothymies, crises dyspnéiques, troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie). Toutes ces manifestations sont éloquentes lorsqu’elles surviennent sans raison particulière apparente. Le rôle du gynécologue Ce diagnostic doit être évoqué dans les situations suivantes : – chez un enfant qui parle du sida et réclame des tests, ou qui présente une infection sexuellement transmissible ; – chez une jeune fille accompagnée de son père ou son beau-père (inceste ?) demandant une IVG ; – chez un sujet craignant une détérioration irrémédiable des organes génitaux (arrêt des règles, peur du sida, frigidité, craintes concernant une stérilité ultérieure, etc.) ; – chez des patients présentant des douleurs pelviennes chroniques sans pathologies organiques évidentes, des actes automutilateurs (scarifications) ; – chez un sujet ayant une sexualité anarchique avec changements fréquents de partenaires sans protection ; – devant une personnalité borderline ; – chez de jeunes adolescentes enceintes, comme si elles avaient nié leur possibilité fécondante (façon de dénoncer l’inceste indicible), négligeant leur grossesse… ; – chez une accouchée ayant une relation perturbée avec son enfant ; – en cas de prostitution, toxicomanie… ; – chez un sujet multipliant les investigations invasives et la chirurgie.   Traitement Une fois le dépistage effectué, on note que 20 à 40 % des victimes de maltraitance sexuelle ne semblent pas éprouver de problème d’adaptation ou de santé mentale atteignant des seuils cliniques. Un facteur important de résilience tient à la nature et à la qualité des relations avec les pairs. Les rares études disponibles montrent que des enfants malmenés dans leur enfance peuvent devenir des parents suffisamment bons.   La résilience L’enfant ne doit pas obligatoirement avouer son secret pour s’en libérer. La résilience, c’est « résister et se construire », l’estime de soi, la sociabilité, le don d’éveiller la sympathie, un certain sens de l’humour, un projet de vie… En ce qui concerne l’entourage, une ou plusieurs personnes en qui le sujet a confiance et qui lui font confiance et, plus largement, le soutien social pour être en sécurité, permettent à l’enfant de se développer. Mais la résilience ne signifie ni absence de risque, ni protection totale et définitive.   Modalités de traitement Plusieurs types de thérapie peuvent être envisagés : thérapie cognitive, psycho-éducation, relaxation, psychothérapies, etc. Parmi les traitements pharmacologiques, citons les antidépresseurs (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine), les benzodiazépines (efficaces mais avec le risque de tolérance et d’addictions), la clonidine (agoniste α2-adrénergique). Une mention particulière doit être faite pour les traitements antiadrénergiques. En effet, il a été montré que le blocage bêtaadrénergique durant la consolidation perturbe sélectivement la synthèse protéique du souvenir de peur au niveau de l’amygdale, entraînant une « déconsolidation » de la trace du souvenir de peur, tout en laissant la mémoire déclarative dans l’hippocampe.   Traiter les séquelles sexuelles « Guérir, c’est reprendre peu à peu l’expérience affective du corps (bloqué), c’est ressentir de nouveau, c’est apprivoiser son plaisir, c’est se sentir libre d’accepter ou de refuser le désir. » M.-H. Colson.

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