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Publié le 06 nov 2011Lecture 13 min

Les grossesses à l’adolescence en dix points clés

R. DE TOURNEMIRE, Unité de médecine pour adolescents, CHI de Poissy- Saint Germain-en-Laye

« On ne peut plus soutenir aujourd’hui que les adolescentes deviennent mères par ignorance, naïveté ou par inaptitude à utiliser des moyens de contraception. » (P. Faucher, gynécologue obstétricien, 2002).

« Les jeunes savent tout des techniques contraceptives grâce aux campagnes d’information et de prévention, mais y opposent leurs représentations et leurs émotions personnelles. » (Rapport annuel du Défenseur des enfants au Président de la République et au parlement, 2002).

Sexualité et reproduction sont intimement liées. La contraception moderne a permis d’envisager ces deux champs autrement, les dissociant en partie, or ce changement, au regard des siècles passés, a été brutal. L’être humain peut procréer dès l’âge de 11-13 ans, la société actuelle autorise les relations sexuelles dès 15 ans (majorité sexuelle), mais l’âge du premier enfant ne cesse de reculer (30 ans en 2009), en partie pour des raisons économiques. Faut-il pour cela tendre vers un taux de grossesse quasi nul chez l’adolescente ? La reproduction étant intimement liée à la capacité d’avoir des relations sexuelles (!), il convient de rappeler que 16 à 27 % des adolescents français de 15 ans déclarent avoir déjà eu au moins un rapport sexuel (enquête Baromètre Santé 2000, données françaises de l’enquête internationale HBSC). L’âge médian du premier rapport sexuel (âge auquel la moitié des adolescents ont déjà eu au moins un rapport sexuel) se situe autour de 17 ans et demi (Bozon). Données épidémiologiques Proportion des adolescentes concernées par une grossesse Dans l’enquête française Baromètre Santé Jeune 97/98, 6,2 % des adolescentes de 15 à 19 ans sexuellement actives avaient déjà été enceintes, soit 2,8 % de l’ensemble des 15-19 ans. Une autre enquête française révèle que 3,3 % des filles scolarisées sexuellement actives (15-18 ans) déclarent avoir été enceintes au moins une fois dans leur vie (Lagrange 1999). La prévalence des grossesses dites « précoces » est bien moindre en France que dans les pays anglosaxons et ceux d’Europe centrale et orientale, mais plus élevée qu’en Italie, en Espagne, au Pays- Bas ou au Japon (figure).   Quelles sont les situations pouvant mener à une grossesse ? À l’adolescence, les maternités sont en majorité non planifiées. Elles sont même parfois la conséquence de relations sexuelles forcées, alors le plus souvent incestueuses. En dehors de ces cas extrêmes mais non exceptionnels, le degré d’ambivalence est souvent important. Figure. Taux de natalité et d’avortements parmi les adolescentes de 15 à 19 ans dans les pays développés vers 1995 (Singh et coll.). Une étude retrouve ainsi que plus de la moitié des adolescentes ayant eu un test de grossesse négatif étaient enceintes dans les 18 mois. Certains facteurs peuvent être individualisés : • Facteurs culturels Pour certains groupes ethniques, les grossesses précoces sont valorisées (gens du voyage, jeunes femmes d’origine africaine). À la maternité Jean Verdier (rapport Uzan), sur 102 adolescentes ayant poursuivi leur grossesse, 36 sont d’origine gitane et 30 originaires d’Afrique, essentiellement d’Afrique noire. La maternité est ici un acte relevant en partie d’une identification collective. Les adolescentes africaines nécessitent d’ailleurs nettement plus rarement un suivi social que les adolescentes d’autres origines.   • Facteurs socio-économiques Il peut s’agir d’une « stratégie d’adaptation » (Deschamps) pour échapper à une vie familiale, institutionnelle ou scolaire peu valorisante. Il existe clairement une corrélation entre parentalité précoce et mauvaise intégration sociale. Cependant, le devenir social de ces jeunes femmes est souvent difficile. Il dépend en partie des politiques mises en place (cf. infra).   • Facteurs psychologiques (Marcelli) : – grossesse vérifiant l’intégrité corporelle et celle des organes de reproduction – « Suis-je fertile ? ». De nombreuses adolescentes consultant en pédiatrie, quel que soit le motif, cochent sur l'autoquestionnaire de Bicêtre, l’item « J’ai peur de ne pas pouvoir avoir un enfant un jour » ; – grossesse (et plus encore enfant) comme comblement des carences de l’enfance – ce qui se rapproche des facteurs socio-économiques sus-cités – (on retrouve ici les violences subies, les carences éducatives, la faible estime de soi) ; – grossesse prise de risque, avec mise en danger du corps : l’adolescent est souvent dans l’agir et utilise son corps comme moyen d’expression de ses difficultés. Il existe enfin des grossesses accidentelles, sans forcément penser ambivalence, qui se différencient peu des grossesses non prévues de l’adulte, à ceci près que la maîtrise de la fécondité est plus complexe lorsque l’on est novice et que les relations sexuelles à l’adolescence restent « sporadiques et irrégulières » (Lagrange).   Devenir des grossesses à l’adolescence Alors que chez l’ensemble des femmes en âge de procréer, une grossesse sur cinq aboutit à une interruption volontaire de grossesse (IVG), environ deux tiers des grossesses chez les mineures conduisent à une IVG. La proportion d’IVG est plus importante chez les plus jeunes (80 % à 13- 14 ans) que chez les adolescentes de 18-19 ans (proche de 50 %). Environ deux tiers des grossesses chez les mineures conduisent à une IVG. Dans l’enquête Baromètre Santé 2000, 5,5 % des 15-19 ans sexuellement actives ont eu recours à une IVG. Les adolescentes et les femmes les plus âgées ont en commun, pour des raisons différentes, de recourir à l’avortement à un âge gestationnel plus avancé que la moyenne des femmes (d’environ une semaine). Ailleurs dans le monde, on observe un ratio entre IVG et naissances vivantes très variable. L’influence des facteurs religieux et culturels est majeure (figure).   Risque des grossesses chez les adolescentes La grossesse d’une adolescente est-elle plus à risque que celle d’une femme adulte ? Quel est le devenir de l’enfant et de sa jeune mère ? Contrairement à une idée répandue, et malgré une croissance du bassin qui n’est pas achevée, il n’y a pas plus de problèmes obstétricaux, tant pendant la grossesse qu’au cours de l’accouchement. L’enquête réalisée en 1998 à l’hôpital Jean Verdier (rapport Uzan) montre même un taux de césarienne très en dessous des chiffres nationaux (5,9 % contre 15,5 %). Le taux de malformations est un peu plus élevé avant 20 ans (autour de 3,2 %) qu’entre 20 et 24 ans. Le taux d’allaitement est identique à celui des femmes adultes. Le retard de croissance et la prématurité, plus fréquents, sont liés au suivi insuffisant du fait de la précarité de certaines jeunes filles, de difficultés psychologiques mais aussi d’un certain ostracisme sociétal. En pratique, le risque de complications obstétricales et néonatales est plus la conséquence de difficultés psychosociales que celle d’un jeune âge. Sans la précarité et la clandestinité, responsables d’un suivi tardif et chaotique, le pronostic de ces grossesses semble identique à celles des autres femmes. Le risque de complications obstétricales et néonatales est plus la conséquence de difficultés psychosociales que celle du jeune âge. Concernant l’avenir de ces jeunes filles, il est notable que 50 à 75 % d’entre elles abandonnent l’école au cours de leur grossesse. La moitié seulement y retournera. L’insertion professionnelle est difficile en raison du peu de places en crèche et des difficultés matérielles. Lorsqu’un couple décide de rester ensemble, une séparation a lieu dans 75 % des cas avant 5 ans. Concernant le devenir des enfants, il existe une surmortalité infantile par maltraitance.   Évolution du taux de conception, de naissances vivantes, d’IVG depuis 30 ans chez les adolescentes En France métropolitaine, le nombre total de grossesses (conduisant à une naissance vivante ou à une interruption de grossesse) chez les mineures a diminué de 36 % entre 1980 (n = 20 710) et 1997 (n = 13 192). Cette baisse importante des grossesses s’est traduite par une diminution majeure, de 60 %, du nombre de naissances vivantes issues de mineures (10 614 en 1980 ; 4 170 en 1997). À l’inverse, le nombre d’IVG chez les adolescentes mineures métropolitaines a augmenté, tout comme chez les jeunes femmes (18- 19 ans et 20-24 ans). Le taux des IVG chez les 15-17 ans s’élevait à 7,4 ‰ en 1991 ( n = 8 794), 9,1 ‰ en 2001 (n = 10 153), puis 10 ‰ en 2005. Chez les 18- 19 ans, le même phénomène est observé avec un taux d’IVG passant de 18 ‰ en 1990 à 22 ‰ en 2005. Ce taux, chez les mineures dans les départements d’outre-mer, atteint 25,6 ‰ en 2001. La diminution des grossesses chez les adolescentes à la fin du XXe siècle s’explique en grande partie par les actions menées en matière de contraception (cf. infra). Le bilan – en terme de grossesses évitées – de l’accès facilité à la contraception d’urgence est plus nuancé. L’augmentation du recours à l’IVG chez les jeunes s’explique davantage par la tendance au retard des premières naissances que par l’augmentation du nombre de grossesses non prévues due à un déficit de prévention (C. Rossier). Entre 1990 et 2005, les taux de conception sont restés globalement stables avant 20 ans. La baisse du nombre de naissances vivantes depuis 30 ans chez les mineures est ainsi la conséquence d’une diminution des conceptions entre 1980 et 1995 (information et accès à la contraception) et d’une augmentation des IVG depuis 1990.   Les différents types de politiques de prévention « On peut distinguer trois types de réponses fondées sur le degré d’acceptation de la sexualité des adolescents dans une société donnée, qui correspondent aussi à une typologie par pays. » (A. Daguerre) • Les adolescents doivent être préservés le plus longtemps possible de la sexualité, qui est une activité réservée aux adultes, donc socialement acceptable lorsque les individus sont en mesure de fonder une famille autonome sans dépendre de l’aide sociale. Cette perception de la sexualité adolescente est très répandue aux États-Unis où elle a encouragé la mise en oeuvre, dans les années 1980, de dispositifs d’abstinence sexuelle aux résultats très controversés. • La sexualité adolescente est présentée comme un mal inévitable qu’il faut accompagner en raison de l’inefficacité des politiques répressives. Ce type de représentation intermédiaire de la sexualité des jeunes se retrouve surtout au Royaume-Uni, en Irlande, et dans une moindre mesure aux Pays-Bas. • Dans un troisième type de pays, la sexualité apparaît comme une dimension normale de l’adolescence. Il s’agit alors de permettre aux jeunes de contrôler les risques associés en mettant à leur disposition les moyens de contraception adéquats et en tenant compte de leurs moyens financiers et de leur besoin de confidentialité. Ces politiques vont dans le sens d’un encouragement à la maîtrise par les adolescents de leur propre corps, avec le soutien bienveillant et discret de la société adulte : pouvoirs publics, parents, éducateurs. Ce scénario est celui des pays scandinaves, de certains pays d’Europe continentale comme la Suisse et, dans une moindre mesure, de la France. Ce type de politique est actuellement repéré comme étant le plus efficace pour prévenir les maternités précoces.   Mesures prises en France pour limiter les grossesses précoces La loi Neuwirth, relative à la régulation des naissances, légalise en 1967 la contraception. En 1974, les centres agréés de planification familiale peuvent délivrer, de façon anonyme, la pilule aux mineures. Cette mesure est élargie à tout médecin en 2001. En 2000 et 2001 sont votées les lois relatives à la contraception d’urgence. Le Norlevo® est délivré gratuitement et anonymement aux mineures qui en font la demande dans les pharmacies ; les infirmières scolaires sont autorisées à le distribuer. En 2005, 29 % des filles de 15-19 ans ayant déjà eu un rapport sexuel, ont déjà eu recours à la contraception d’urgence (INPES 2005). Une éducation à la sexualité dans les lycées, les collèges, puis les écoles est inscrite dans le programme scolaire avec les circulaires de 1996, 1998 puis 2003. Le recours au préservatif lors du premier rapport a régulièrement et fortement augmenté en 1987 et 1995, et se maintient à un taux élevé supérieur à 85 % entre 2000 et 2005 (Baromètre santé 2005). Le ministère de la Santé et l’INPES lancent régulièrement des campagnes d’informations à l’intention des plus jeunes. L’enfant à venir : une calamité ? Pour Nathalie Bajos, sociologue et directrice de recherche à l’INSERM, plus le discours social est favorable à la sexualité des jeunes, moins on le médicalise en parlant de risque, et plus les jeunes femmes auront facilement accès à la contraception. Patrick Alvin (2006) est un des seuls à parler de l’enfant : « il faudrait certainement ne pas simplement le nier, en faire un sujet tabou, mais bien au contraire l’évoquer, le faire exister. Le faire exister, d’abord en tant que réalité en chair et en os, pour mieux se convaincre de son caractère souvent non souhaitable dans le contexte ; mais surtout, le faire exister comme enjeu respectable, projet légitime en puissance et surtout objet naturel de désir à l’adolescence ». C’est là que le bât blesse, car l’enfant à venir est souvent présenté comme une calamité (la dernière publicité télévisuelle pour les préservatifs Zazoo est éloquante), voire comme une maladie sexuellement transmissible : « Si vous avez des rapports sexuels, le risque de grossesse rôde toujours. Et si c’était vous ? Vous n’auriez plus de temps à vous et une grande partie de votre argent irait dans l’achat de vêtements et de nourriture pour bébé. Ajoutez à cela des nuits sans sommeil, interrompues par ses cris et ses pleurs, et tout à coup l’idée d’un enfant ne vous semble plus si bonne ! » (dépliant Durex®).   Quelles mesures d’accompagnement seraient utiles ? Le rapport Uzan préconisait un nombre plus important de maisons maternelles avec un quota pour les mineures et une priorité pour l’accueil en crèche. En 2011, il reste difficile de trouver une place dans ce type de structure. Lorsqu’une jeune fille placée en foyer se retrouve enceinte et désire poursuivre sa grossesse, elle se voit souvent exclue de la structure au motif qu’elle donnerait de mauvaises idées aux autres ! Les centres maternels n’accueillant pas les jeunes femmes avant le 3e trimestre, certaines de ces adolescentes passent quelques mois dans une chambre d’hôtel !   Et les partenaires masculins… ? Le comportement des jeunes hommes vis-à-vis de leurs homologues féminins est un axe de recherche important, car ces derniers détiennent « la moitié de la solution » (U. Gelder). On évoque rarement l’âge des hommes concernés. Aux États-Unis, plusieurs enquêtes ont estimé que plus de 50 % des pères d’enfants nés de mères mineures étaient âgés de plus de 20 ans. En Grèce, une étude a montré que l’écart d’âge moyen entre la jeune mère et son partenaire est de 7,5 ans. En France, les données sont parcellaires. Par exemple, en Champagne- Ardenne en 2005, le premier partenaire était en moyenne âgé de 19 ans, soit 2 ans de plus que la fille (Baromètre santé jeunes). De nouvelles études sur ce sujet et une information à destination des jeunes hommes (médecine universitaire, mutuelles étudiantes, médecine du travail…) seraient utiles. La dernière campagne de l’INPES, en 2010, avec le slogan « Contraception : filles et garçons, tous concernés ! » a le mérite de responsabiliser les deux sexes.   Conclusion Faut-il tendre vers un taux de grossesse quasi nul chez l’adolescente, voire chez la jeune femme, parce que les couples attendent aujourd’hui 29 ans pour avoir leur premier enfant ? Que penser d’une société qui imposerait une contraception sûre (DIU ou implant) à partir de 13 ans ? En est-on si loin, lorsque l’on entend certains professionnels jugeant préoccupant le taux, somme toute raisonnable, de grossesses précoces, eu égard aux différentes situations dans d’autres pays ? Il y aura toujours des grossesses à l’adolescence et vouloir les voir disparaître conduirait à nier les enjeux psychologiques de l’adolescence, les racines culturelles, la pauvreté… Aussi, outre une information en matière contraceptive, il faut aider les adolescentes à tolérer l’attente, leur parler de l’enfant à venir, leur permettre d’y penser.  

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