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Profession

Publié le 11 jan 2015Lecture 13 min

Tabagisme et femme enceinte

G. GRANGE*, I. BERLIN**, *Maternité Port-Royal, CNGOF, Société française de tabacologie (SFT), **Service de pharmacologie AP-HP, Pitié-Salpêtrière
Dans la plupart des pays européens, le tabagisme en cours de grossesse est la principale cause évitable de morbidité périnatale. En effet, il a été montré que la consommation de tabac augmente la probabilité de grossesse extra-utérine, de fausse couche, d’accouchement prématuré, de mort fœtale in utero, de petits poids de naissance et de mort subite du nourrisson(1). Ainsi, le tabagisme in utero multiplie par deux le risque de mort subite du nourrisson. On sait également que les femmes fumeuses sont moins candidates à l’allaitement et qu’en cas d’allaitement, les nourrissons sont plus rapidement sevrés(2).
En France, environ un tiers des femmes en âge de procréer fument régulièrement ou occasionnellement. Chez les femmes enceintes, presque la moitié des fumeuses habituelles cessent leur pratique toxique, aboutissant à 17 % de fumeuses jusqu’à la fin de la grossesse. Parmi les femmes fumeuses enceintes, un tiers fume au moins dix cigarettes par jour(3). Il existe une inégalité psychosociale devant le tabac, puisque les femmes qui fument sont plus jeunes, plus souvent célibataires et ont un niveau socio-économique inférieur à celui des non-fumeuses(4). La grossesse est considérée comme l’événement majeur de la vie des femmes pouvant intervenir dans leur arrêt du tabagisme, puisque presque la moitié réussit le sevrage avant même la 1re visite médicale. Cette population de femmes sevrées au 1er trimestre est particulière : elle fume moins, a déjà connu une période de sevrage par le passé, a un partenaire plus souvent non fumeur, est mieux soutenue par l’entourage et connaît mieux les effets nocifs du tabac. Certes, bien des femmes arrêtent spontanément de fumer en début de grossesse, mais l’immense majorité recommence après la naissance ou dans l’année qui suit. Si l’effet bénéfique de la grossesse a ainsi presque disparu au bout d’un an, la raison en est peut-être que l’on accorde moins d’attention à ces patientes qui ont réussi à se sevrer seules. La prévention de la rechute constitue donc un axe de travail et d’aide, sinon capital, du moins tout aussi important(5). Enfin, si ce n’est surtout, les médecins sont très peu investis dans l’aide au sevrage tabagique des femmes enceintes. Une étude de 2000 rapporte qu’en cas de tabagisme, le conseil minimal n’était pratiqué que dans 16 % des cas, avec 7 % des femmes dirigées vers un tabacologue et seulement 0,5 % ayant bénéficié d’un traitement de substitution nicotinique(6). L’enjeu tabacologique de la consultation préconceptionnelle devrait être considéré comme prioritaire : il serait opportun d’utiliser cette consultation pour informer les femmes sur les risques du tabagisme, car leur méconnaissance en ce domaine est élevée, notamment pour ce qui a trait à l’hypofertilité(7). Ou encore, il faudrait accompagner toute prescription de pilule d’une information qui utilise au moins le conseil minimal. Mais cette notion n’est pas maîtrisée par le personnel de santé. Les chiffres français d’études non publiées sont proches de ceux des Anglo-Saxons.   Les professionnels de santé devraient pouvoir donner conseils et informations à toutes les femmes enceintes fumeuses, et ce, tout au long de la grossesse : toutes les actions engagées ont un effet sur le taux de sevrage, quel que soit l’âge gestationnel. L’entourage n’étant pas négligeable, l’aide au sevrage devrait être élargie au père et aux membres de la famille qui vivent avec la patiente. Chacun d’eux devrait comprendre les conséquences pour le nouveau-né et pour eux-mêmes. Quand le conjoint arrête de fumer au cours de la grossesse de sa compagne, le taux de réussite de sevrage chez la femme est maximal.   Prise en charge Un des obstacles majeurs au dialogue concernant le sevrage tabagique est la crainte de froisser ou de blesser la femme enceinte, car l’échec d’un sevrage peut être ressenti comme culpabilisant, tant pour la patiente que pour le médecin. Il convient de poser des questions qui aident le fumeur, à savoir où il en est dans l’histoire de son tabagisme plutôt que de donner des ordres ou conseils qui seront ressentis comme culpabilisants. Une substitution nicotinique adaptée est une aide souvent nécessaire chez la femme enceinte pour le sevrage tabagique. Afin d’adapter la posologie, il convient d’évaluer la dépendance avant la grossesse et parfois d’objectiver le niveau d’intoxication par le taux de CO expiré et idéalement le dosage de cotinine urinaire ou salivaire.   Différentes aides Les interventions médicales pour l’aide à l’arrêt sont essentiellement des aides individualisées. Elles sont de plusieurs types : – conseils et informations délivrés à la patiente sur des supports variés : fiches, ressources électroniques ou appels téléphoniques, accompagnés de thérapie comportementale ou d’aide motivationnelle à différents degrés ; – informations et conseils adaptés au stade de la fumeuse dans son cycle de sevrage ; – information donnée à la femme sur son degré de tabagisme par une mesure objective ; – aide pharmacologique donnée à la patiente, comme la nicotine, en cas de dépendance nicotinique ; – support social et entretien motivationnel ; – autres interventions, qui ont fait l’objet d’évaluation : par exemple, l’hypnose.   Efficacité des aides Pour l’ensemble des interventions chez la femme enceinte, l’efficacité doit être évaluée en termes d’effets sur la santé, et pas seulement de taux de sevrage ; chaque intervention doit être comparée aux autres, et son efficacité à l’intensité des moyens mis en œuvre. La revue Cochrane, coordonnée par Lumley, identifie 72 essais entre 1975 et 2008 sur l’aide au sevrage en cours de grossesse(8). Ces études comprennent plus de 25 000 patientes. On peut en tirer les enseignements suivants : – toutes les interventions menées permettent de réduire de façon significative le taux de femmes fumeuses en fin de grossesse (RR = 0,94 ; IC = 0,93-0,96 ; ce qui signifie que la différence entre les deux groupes est de 6 %) ; – toute action est significativement efficace, mais il n’y a pas de solution miracle ; – parmi les études analysées, celles considérées comme les plus robustes donnent des résultats moins favorables, même si elles restent significatives ; –les études proposant un traitement substitutif par nicotine sont aussi performantes que celles proposant des thérapies cognitivocomportementales (TTC) ; – quelques études travaillant sur le stade du cycle de sevrage n’ont pas montré leur supériorité sur les thérapies comportementales ou le traitement substitutif ; – les quatre études randomisées utilisant le retour d’information par dosage biochimique maternel ne sont pas significativement efficaces (RR = 0,92 ; IC = 0,84-1,02). Un deuxième type de résultats concerne la réduction du tabagisme sans arrêt total. L’effet observé des aides au sevrage sur la résolution du tabagisme est sensible lorsque les patientes rapportent elles-mêmes le degré d’intoxication. Quand la réduction est validée biochimiquement, la différence du taux de sevrage entre le groupe aidé et le groupe témoin n’est pas significative. Quelle que soit l’intervention entreprise, l’effet positif sur les issues de grossesse est sensible, essentiellement sur le poids de naissance et les accouchements prématurés. On note une augmentation du poids de naissance moyen de presque 40 g (IC = 16-63). En revanche, d’autres paramètres ne sont pas significativement améliorés, comme les morts fœtales in utero, les morts néonatales ou les admissions en unité néonatale de soins intensifs. Quelques rares études ont examiné l’intérêt de l’aide à l’arrêt sur le taux de césariennes ou celui d’allaitement, et montrent l’absence de différence significative. Notons ici que l’ensemble des études randomisées a été réalisé dans les pays développés. Les résultats obtenus des différentes interventions sur le poids de naissance et le taux d’accouchements prématurés justifient, à eux seuls, la mise en place d’aide au sevrage au moyen d’une volonté politique forte.   Deux marqueurs du tabagisme maternel intéressants(17) – la mesure du CO dans l’air expiré : cette mesure est intéressante en raison de son caractère non invasif, de sa simplicité de réalisation, de l’expression immédiate des résultats en ppm et de son faible coût (une fois l’appareil acquis). Il est donc facile à utiliser chez la femme enceinte dans une consultation prénatale. Une quantité de CO expirée supérieure à 10 ppm signe un tabagisme actif, des mesures entre 6 et 10 ppm signent un tabagisme passif ou l’effet d’une pollution atmosphérique. Enfin, des valeurs de 0 à 5 ppm sont retrouvées chez les non-fumeurs ; – le dosage de la cotinine plasmatique, urinaire ou salivaire n’est pas utilisable en routine pour le dépistage du tabagisme ni pour le suivi du TSN. La mesure du CO a le mérite de donner à la femme enceinte fumeuse une valeur instantanée de son niveau d’intoxication tabagique. Ce peut être le point de départ d’un dialogue constructif avec les professionnels de santé et un facteur déterminant pour que la femme arrête de fumer. Il existe un consensus professionnel pour reconnaître l’analyseur de CO comme un outil facilement intégrable dans toute consultation prénatale.   Traitements substitutifs nicotiniques Le traitement substitutif nicotinique pendant la grossesse ne semble pas avoir de supériorité évidente par rapport aux autres types d’interventions. Néanmoins, aucune étude n’a cherché à comparer ce traitement à une autre stratégie. L’innocuité des traitements nicotiniques a fait l’objet de plusieurs controverses. C’est ainsi que la nicotine a été accusée de la plupart des effets néfastes de la cigarette, tendant à décrédibiliser cet outil. Sept études(9-15) rapportent les issues de grossesse. Une étude a été interrompue (181 patientes incluses au lieu des 300 prévues) en raison d’une augmentation significative des effets indésirables graves dans le bras « intervention »(9). L’arrêt de cette étude est regrettable, car, dans ce même bras, les antécédents obstétricaux des patientes étaient beaucoup plus lourds, pouvant expliquer les issues plus défavorables. La revue Cochrane a associé trois études pour rechercher l’augmentation du poids de naissance dans le groupe « intervention »(9-11). Cette augmentation est réelle, de 34 g, mais non significative. Une des trois études ne rapporte pas d’amélioration du taux de nouveau-nés hypotrophes (< 2500 g), mais celle-ci comporte seulement 17 % d’adhésions au traitement dans le bras « intervention »(11). Le traitement substitutif nicotinique semble donc moins efficace chez les femmes enceintes que dans la population générale. Ainsi, il semblait, au regard de ces premières études randomisées en double aveugle, que le traitement par nicotine améliore le poids du nouveau-né, mais n’influe guère sur la morbidité ou sur le taux de sevrage maternel. Un travail britannique d’envergure est paru récemment, l’étude SNAP(15). Ses résultats sont décevants, mais la méthodologie est discutable. Il s’agit d’une étude randomisée incluant 1 050 patientes réparties en deux bras : patch de nicotine (15 mg) pendant 8 semaines contre placebo. Le taux de patientes sevrées et les poids de naissance des nouveau-nés ne sont pas significativement différents au jour de l’accouchement. Les limites de ce travail sont les suivantes : – les patchs ont été fabriqués pour l’étude, ils n’ont pas fait l’objet de contrôles indépendants ; – la dose de nicotine n’a pas été adaptée au taux de cotinine salivaire ou au CO expiré, pourtant mesurés ; – il n’y a pas eu de suivi ni d’ajustement des doses : le taux de surdosage ou de sous-dosage est donc inconnu ; – l’adhésion au traitement ou au placebo a été très faible à un mois : 7,2 et 2,8 %, respectivement ; – le nombre total de patchs utilisés par chaque patiente est inconnu. SNIPP, l’étude française concurrente vient de s’achever après plusieurs années de travail. Elle contrôle mieux ces différents paramètres(16).   Post-partum Cinquante pour cent des femmes fumeuses ayant réussi leur sevrage tabagique en cours de grossesse ont repris dans un délai de 2 à 6 mois après la grossesse. Les facteurs de reprise identifiés sont la multiparité, la prise de poids, une grossesse peu suivie et des événements stressants. Les programmes de sevrage tabagique devraient, par conséquent, être également dirigés vers les patientes ayant cessé de fumer durant la grossesse, car elles sont le plus à risque de reprendre une intoxication tabagique après l’accouchement.   Éléments de prise en charge La dépendance avant la grossesse est le principal facteur d’échec du sevrage en cours de grossesse. La mesure du score de dépendance tabagique par le test de Fagerström est un des éléments permettant de définir la stratégie thérapeutique. Il est important de noter que celui-ci a été calculé pour la période précédant la grossesse car, à l’usage, il ne nous donne pas satisfaction dès lors que la grossesse a commencé. En effet, on sait aujourd’hui que la diminution du nombre de cigarettes fumées entraîne un phénomène de compensation et qu’en inhalant plus intensément, l’absorption des toxiques, dont le monoxyde de carbone, reste identique.  Les approches psychologiques et/ou comportementales suivantes sont recommandées avec un style de relation spécifique fondé sur la coopération avec le sujet, c’est à-dire l’alliance thérapeutique : – le conseil minimal : il consiste à demander le statut tabagique, à interroger sur l’existence ou non d’un projet de sevrage et à remettre un simple document écrit sur le sujet ; – l’intervention brève : elle peut, lorsque c’est possible, remplacer le conseil minimal et doit être effectuée dans les mêmes conditions. Elle consiste à approfondir l’interrogatoire avec des questions ouvertes ; – l’entretien motivationnel : il consiste à rechercher et à mettre en valeur les ressorts personnels des patientes permettant d’envisager ou de construire le sevrage ; – la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) : elle permet la construction de moyens pratiques pour contourner et dépasser les envies ; – la consultation psychologique ; – la consultation en addictologie en cas de consommation associée.  En cas d’échec et de dépendance nicotinique, un traitement pharmacologique utilisant des substituts nicotiniques peut prendre le relais. L’utilisation des substituts nicotiniques pendant la grossesse doit être réservée aux femmes enceintes qui ne peuvent arrêter de fumer sans ce traitement. Mais ne tombons pas dans le piège inverse qui serait de ne pas les prescrire et de laisser ces femmes poursuivre leur tabagisme. Les patientes sous patch ont eu un nouveau-né de poids supérieur, comparées aux autres fumeuses. La contre-indication de la nicotine était illogique jusqu’en 1997 ; en effet, si l’arrêt du tabac est impossible sans aide médicamenteuse en raison d’une dépendance trop forte, les apports nicotiniques par la fumée du tabac persistent de façon importante. Cet apport est associé à l’inhalation d’autres toxiques comme le monoxyde de carbone et les substances cancérigènes, ce qui rend la cigarette plus nocive que le traitement substitutif. Ainsi, ce traitement permet de réduire la toxicité liée au tabac. Et chacun doit avoir conscience qu’il est possible de fumer avec un patch. L’absorption de la fumée est alors moins forte. Les recommandations sont à peu près identiques en ce qui concerne l’allaitement avec l’utilisation des substituts nicotiniques en cas d’échec du sevrage sans traitement. Cependant, il est plutôt recommandé d’éviter les systèmes transdermiques et d’utiliser les gommes après la tétée, afin d’éviter une concentration élevée de nicotine dans le lait maternel.   Conclusion Ainsi, nous recommandons les interventions suivantes : – améliorer les connaissances de professionnels de santé ; – orienter et renforcer les liens avec les unités de tabacologie et d’addictologie ; – inclure le conjoint dans la prise en charge ; – utiliser des substituts nicotiniques en cas de dépendance nicotinique ; – faire de la prévention de la rechute un enjeu majeur pour les patientes ayant réussi leur sevrage sans l’aide des professionnels.  Communication en partenariat avec la Société française de tabacologie

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